Chabrier, Ravel, Saint-Saëns
Tout de noir tendue, derrière l’immense verrière qui surplombe la Salindrenque, la salle de la Filature du Pont de Fer bruisse de la foule des mélomanes venus à la rencontre de l’Orchestre Instrumental des Cévennes dirigé par Karen Kapfèrer diplômée de musicologie et de direction de chœur et du pianiste japonais Norihiro Motoyama, enseignant à l’Université des Arts de Tokio. Cette soirée organisée par l’Association Viv’Alto* s’annonce à nouveau comme un moment privilégié de communion entre les artistes et le public.
Au programme, trois compositeurs du XIXe siècle et du début du XXe. Emmanuel Chabrier (1841-1894) qui a connu la Commune de Paris de 1871. Camille Saint-Saëns (1835-1921) et Maurice Ravel (1875-1937) qui ont vécu l’Affaire Dreyfus et la Première guerre mondiale. Camille Saint-Saëns ayant en outre été mobilisé pendant la guerre de 1870. Je rappelle ce contexte historique car tous les trois ont participé activement aux débats et aux combats politiques de leur époque. Ils sont tous les trois considérés comme emblématiques de la musique française.
Emmanuel Chabrier était Républicain. Il combattit le Second Empire et accompagna Léon Gambetta, ministre de l’Intérieur du Gouvernement de Défense Nationale après la défaite de Sedan, résolu à poursuivre la guerre contre la Prusse mais méfiant à l’égard des Communards. Camille Saint-Saëns, nationaliste ombrageux, prit cependant le parti de Dreyfus comme son ami Emile Zola. Amoureux de l’Algérie (coloniale) il mourut à Alger en 1921. Maurice Ravel, « héritier du classicisme français », profondément patriote, il ne céda cependant jamais aux sirènes nationalistes et il fut particulièrement ouvert sur le Monde. Nous aurons ce soir un aperçu de leur répertoire.
Les lumières s’éteignent. Le silence peu à peu s’installe.
Norihiro Motoyama, sur piano Pleyel, nous plonge dans l’atmosphère des Valses nobles et sentimentales de Maurice Ravel. Le langage des fleurs pour dire l’amour. Prévenus, contrairement aux contemporains de l’œuvre, les dissonances de la première partie ne nous surprennent pas. L’apparition des fleurs, leur babillage espiègle, leur rire en cascades, interrogatives, puis dubitatives avec une pointe de regret, un amour finissant…
L’Ensemble Instrumental cévenol est dirigé ce soir par Karen Kapferer qui l’a créé en 2009. Pétri de bonne volonté, avec l’aide précieuse du piano, il nous entraîne en Espagne avec Habanera d’Emmanuel Chabrier. Dans l’arène, l’orchestre accompagne le mouvement de la muleta à l’instant quasi religieux quand le matador d’un geste suave produit sa faena. Avec Idylle, extrait de la Suite pastorale composée en 1888, nous sommes bercés par une romance qui plonge ses racines dans la France profonde.
Le Concerto en Ut mineur pour piano et orchestre de Camille Saint-Saëns, donné en troisième partie, nous fait accéder au paysage intérieur du compositeur. Des profondeurs monte une indicible angoisse mêlée d’interrogations, auxquelles répondent les notes apaisantes du piano. Mais la vague nous submerge et le piano en contrepoint se fait plus persuasif. Peu à peu, pointe une lueur d’espoir dont le piano se réjouit, mais une rechute se profile. Le calme cependant s’imposera et bientôt apparaîtront les premières notes joyeuses. Prudent, timidement, le piano les accompagne jusqu’à leur triomphe final. C’est ce final somptueux qui sera bissé à la demande du public.
Une belle soirée.
Bernard DESCHAMPS
24 février 2020
* Association VIV'ALTO
Marie-Hélène Bénéfice, Présidente
95 rue de la Place 30460 LASALLE
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