Nous honorons la mémoire d’un moudjahid de la Guerre d’Indépendance, Yahia Dahmouche qui vient de nous quitter. Ce combattant de la première heure avait l’habitude de dire : « Je suis contre la guerre » et il ajoutait : « Je suis un militant, j’ai aidé mon pays ».
Comment dire mieux que le Peuple algérien fut contraint à l’insurrection le 1er novembre 1954 par le refus des autorités françaises de faire droit à sa légitime aspiration à l’Indépendance.
Yahia Dahmouche, né le 20 mars 1928 à Bouhamza, fut embauché à la mine de Fontanes en février 1946 et logé –si l’on peut dire –dans les baraques du Camp de la Loubières. La France qui s’était libérée un an plus tôt, par les armes, de l’occupation nazie, recrutait des travailleurs d’Outre-Mer pour livrer une nouvelle bataille, celle de la reconstruction dans laquelle les mineurs de charbon allaient jouer un rôle d’avant-garde. Le programme du Conseil national de la Résistance française qui, avec les nationalisations et la Sécurité Sociale , était le plus progressiste que la France ait connu depuis le Front Populaire, n’était cependant pas allé jusqu’au bout de cette démarche en oubliant de libérer du joug colonial des Peuples qui pourtant avaient donné leur sang pour la Libération de la France.
Yahia Dahmouche, comme de nombreux mineurs algériens adhère en 1950/51 au PPA-MTLD le parti indépendantiste de Messali Hadj dont le responsable pour la région d’Alès est un autre mineur Aïssa MOKRANE qui vit toujours à Alger et avec lequel j’ai eu l’honneur de m’entretenir, pendant toute une journée en 2007. Il a alors connu Mohamed DJENIDI, Abdallah HIDECHE et Chérif DJENKAL. Ces deux derniers seront tués au maquis pendant la guerre d’Indépendance.
Le 1er novembre 1954, lors du déclenchement de l’insurrection en Algérie, le PPA-MTLD est divisé. Les « centralistes » - partisans du Comité central - ont tenu en août un congrès à Alger. Les « messalistes » - partisans de Messali Hadj ont tenu leur congrès en Belgique. Le PPA-MTLD est déclaré illégal le 5 novembre par les Autorités françaises et le 6, les logements de ses dirigeants du bassin d’Alès perquisitionnés et plusieurs responsables arrêtés.
Au début de l’année 1955 une réunion clandestine a lieu dans un café du quartier de La Royale à Alès tenu par DJEMAÏ Hocine. Un responsable venu, semble-t-il, de Montpellier est présent. Les participants sont circonspects ; « Ecoute frère – lui dit Yahia Dehmouche – si tu es avec ceux de la montagne, on travaillera avec toi, sinon on te tire dessus ». Cette réaction est symptomatique de l’état d’esprit d’une grande partie des mineurs algériens du Bassin minier des Cévennes, où, notent les archives de la police, le MNA créé par Messali Hadj pour combattre le FLN, ne parviendra pas à s’implanter. Cette réunion constitue le premier acte de la création d’un des premiers groupes du FLN dans le Bassin minier.
Suspect, Yahia Dahmouche sera placé par le Préfet du Gard sur une liste « préférentielle » de personnes à surveiller : le fichier Z. Considéré comme « un meneur nationaliste », il sera arrêté une première fois par la police française le 29 août 1956 puis, sur commission rogatoire du Tribunal permanent des Forces armées de Constantine pour « atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat » le 25 septembre 1958 à 6 heures du matin à son domicile dans le quartier de La Royale et interné au Camp de L’Ardoise dans le Gard, puis au Camp du Larzac dans l’Aveyron.
J’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir avec lui toute une journée dans l’été 2006 sur la terrasse de notre petite maison des Horts à Soudorgues, au cœur des Cévennes qui lui rappelaient tant sa Kabylie natale. Son témoignage très précis, que j’ai pu recouper avec les archives écrites, constitue une aide précieuse pour la connaissance de cette époque. Il m’a notamment apporté des précisions utiles sur les noms des responsables de l’Organisation politico-administrative du FLN et sur son Organisation Spéciale de 1955 à 1962, ainsi que sur la Grande Grève de huit jours, en 1957, qui fut suivie selon les rapports de police par la quasi-totalité des mineurs algériens des Cévennes.
Les vieux Alésiens s’en souviendront peut-être, c’est à l’Hôtel du Cheval Blanc dont Yahia Dehmouche était devenu le propriétaire, qu’eut lieu le 1er juillet 1962 le vote des Algériens de la région d’Alès pour le référendum sur les Accords d’Evian signés le 18 mars et qui reconnaissaient l’Indépendance de l’Algérie. Yahia Dehmouche qui était favorable au GPRA présidé par Ben Youcef BenKheda, appela à voter OUI. Le OUI, nous dit Yahia Dahmouche, l’emporta à 100% et c’est ce résultat qui fut porté en Mairie d’Alès.
Tel est brièvement résumé le parcours militant et patriotique d’un homme qui n’a jamais confondu le Peuple de France qu’il aimait et le colonialisme français qui a fait tant de mal à l’Algérie.
J’adresse, en ces douloureuses circonstances, au nom de l’Association France-El Djazaïr, mes condoléances émues aux enfants et petits enfants de M. Dahmouche et à toute sa famille.
Bernard DESCHAMPS
14.02.2010