Le bassin houiller du Gard comptait en 1954, 1264 mineurs algériens sur un total de 14 764 mineurs. A partir du milieu de l'année 1955, ils vont être de plus en plus nombreux à être organisés au FLN (Front de Libération National, clandestin) ou à le soutenir lors de grèves, comme celle de huit jours en 1957 (28 janvier-5 février) pour l'Indépendance de l'Algérie et le soutien à l'ALN (Armée de Libération Nationale) et en versant l'impôt patriotique (ichtirâk).
En 1954-1955, un bon manoeuvre (les Algériens sont le plus souvent manoeuvres) gagne entre 35 000 à 40 000 francs nets par mois. La contribution alors imposée par le FLN jusqu'au 10 août 1958 est de 1 000 francs par mois, 1 500 ensuite. Le SCINA indique que dans le Gard, en 1960, la contribution est de 2 000 francs par mois pour les célibataires sur des salaires de l'ordre de 490 francs soit 49 000 anciens francs (ADG, Archives départementales du Gard, CA 1225). Lors d'une réunion tenue le 22 avril 1959 en Préfecture du Gard, les sommes collectées annuellement par le FLN, dans le Gard, sont estimées à 35 millions de francs (ADG, CA 1361). Ce chiffre, comparé aux 1 milliard, 500 millions de francs collectés en France, en 1957, est très supérieur à la moyenne nationale. Il est par contre, inférieur aux chiffres nationaux cités pour l'année 1961 (Benjamin Stora, Histoire de la Guerre d'Algérie, page 42). Les commerçants sont eux imposés davantage: entre 5 000 et 50 000 francs par mois en 1957 (ADG, CA 1221, SCINA n°544 des 19, 20, 21 septembre 1957) ce qui n'était pas sans poser parfois des problèmes à certains d'entre-eux. C'était aussi une des raisons qui incitait le FLN à encourager l'achat de cafés et d'hôtels par des ressortissants algériens. Ces cafés et ces hôtels constituaient une source financière appréciable et permettaient de mieux contrôler l'immigration algérienne.
Une littérature abondante continue de fleurir sur le thème des "exactions" des collecteurs du FLN. Cela bien sûr a existé. Des gens malhonnêtes en ont profité pour s'enrichir personnellement. D'autres ont fait preuve d'un autoritarisme et d'une brutalité condamnables. Certains ont d'alleurs été condamnés par le FLN qui n'était pas tendre en l'occurence. Mais "la grande majorité des Algériens " comme l'affirme Gilbert Meynier dans Histoire intérieure du FLN.
Anne Beaumanoir (Annette Roger) alors jeune médecin marseillais engagée dans le réseau Jeanson d'aide au FLN (elle sera arrêtée à Pont Saint Esprit ) et qui recueillait les sommes collectées dans le midi de la France dont le Gard pour les transporter à Paris , rapporte à ce sujet une anecdote:
"Je venais de récupérer deux petites mallettes marseillaises. Les arrestations récentes avaient condamné tous les points de chute. Je réussis à planquer l'argent chez une amie de mes parents à qui je donnais des explications parcellaires, puis me rendis chez mon amie Marceline pour y chercher conseil et aide. J'y fus reçue par un inconnu qui d'emblée se présenta comme un membre du réseau. L'idée que j'étais tombée dans une souricière s'imposa jusqu'à l'arrivée de Marceline [...] elle me prit à part pour m'expliquer que René, [était] envoyé chez elle par le réseau {...] Nous étions perplexes. Marceline avait connu l'individu une dizaine d'années plus tôt, ce qui l'autorisait à s'inquiéter de voir cet énergumène, selon elle peu scrupuleux, membre du réseau et dans quel rôle! [...] Il savait qui j'étais, je devais lui remettre la valise. Je ne l'avais pas là.[...] Je fus chercher l'une des mallettes. Pourquoi n'ai-je pas pris les deux et pourquoi lui ai-je remis celle qui était la moins lourde, plusieurs millions de francs quand même. [...] Prévenir le plus vite possible le responsable algérien [...] Je le retrouvai dans le bidonville de Nanterre [...] les millions escroqués semblaient devoir passer dans les profits et pertes. C'est tout juste si je ne fus pas félicitée d'avoir sauvé une partie de l'argent."
Sa responsabilité la conduisait de Marseille à l'Auberge de Jeunesse des Baux de Provence; à Salin de Giraud dans un cabanon; à Beaucaire dans la propriété du Docteur P. et pour se rendre à Paris, elle empruntait des voies secondaires moins surveillées. A Alès, elle se rendait "dans une petite maison, en flanc de montagne, que l'on atteignait après quelques minutes d'un chemin caillouteux [...] Il y avait là un homme âgé ainsi qu'une grande et belle femme qui ne semblait connaître que quelques mots de français. Deux ravissants bambins, dont le plus jeune s'appelait Ferhat (Ferhat Abbas alors président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) jouaient sur le perron."
Qui dit impôt dit obligation de le payer et les Algériens n'échappaient pas plus aux collecteurs du FLN que nous n'échappons à l'administration fiscale. Lorsqu'un Algérien changeait de résidence et allait habiter dans une autre localité, il se voyait remettre un document codé qui précisait s'il était ou non à jour de ses contributions. Document que lui réclamaient les responsables FLN de son nouveau domicile. (Témoignage de Alain Tassera). Ainsi le maillage et le contrôle des ressortissants algériens du Gard était étroit. Sur la base d'une adhésion volontaire massive aux objectifs du Front. Les récalcitrants, il y en avait, étaient jugés par une Commision de Justice et les peines n'étaient pas aussi sévères, sauf cas exceptionnels, qu'on l'a dit. Ainsi, par punition, un jeune mineur des Salles du Gardon, buveur et mauvais payeur, fut trempé, une nuit de décembre, dans le bassin d'eau glacée du lavoir de La Forêt à la Grand Combe. Il n'en est pas mort, mais bien malade...
(Extrait de: Bernard Deschamps, Le fichier Z, essai dhistoire du FLN dans le Gard, Le Temps des Cerises, mai 2005)