SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE
20 juillet 2023
De l’indécence à se prévaloir de 742 peines de prison ferme en réponse aux révoltes urbaines
Alors que le pays s’est embrasé après la mort de Nahel, tué par un policier dans un contexte de refus d’obtempérer, le ministre de la Justice a exigé des parquets une réponse rapide, ferme et systématique, aux actes de délinquance commis au cours des révoltes urbaines. Cet appel à la répression montre la méconnaissance du rôle des magistrats dans l’individualisation des modes de poursuite et des peines prononcées.
Mardi 18 juillet 2023 devant la représentation nationale et mercredi 19 juillet 2023 à l’occasion de son passage sur Radio-Télévision Luxembourg (RTL), le ministre a rendu hommage à la fermeté des décisions des procureurs généraux et il s’est félicité du taux de 95% de condamnations, de 1300 déferrements au parquet, de 905 comparutions immédiates et de 742 peines de prison ferme prononcées dans ce contexte de révoltes. C’est se réjouir d’une justice à deux vitesses qui s’inscrit dans un véritable emballement médiatique et judiciaire.
Vanter les mérites de la comparution immédiate, c’est promouvoir une procédure discriminante contre des hommes jeunes, étrangers ou d’origine étrangère, sans emploi et résidant dans des zones géographiques défavorisées.
C’est se réjouir d’un jugement biaisé, dans des conditions hautement défavorables aux alternatives à la prison ferme et aux aménagements de peine et qui entraine in fine une probabilité d'être incarcéré 8 fois plus importante que les autres modes de jugement. C’est feindre d’ignorer l’impact concret de la prison sur ces personnes avec un enfermement 23 heures sur 24 à 2 ou 3 dans 9 mètres carrés sans activité ou presque et où les possibilités d'accompagnement et de maintien d'un lien social sont mises à rude épreuve.
Les acteurs du milieu pénitentiaire et judiciaire se désolent de constater que le ministre de la Justice rende compte de l’action de la justice par une succession de chiffres censés représenter la fermeté et l’efficacité de l’action étatique. Il alimente ainsi l’idée simpliste selon laquelle la prison est la seule réponse efficace à la délinquance. Pourtant, de nombreuses études révèlent qu’elle augmente la récidive plus qu’elle ne la prévient. La loi pénale érige d’ailleurs la prison ferme comme un dernier recours, ne devant être utilisé que lorsque toutes les autres peines seraient insuffisantes à remplir les objectifs qui leur sont assignés.
Au-delà de l’indécence à se prévaloir de placements massifs de jeunes parfois mineurs en détention, alors même que la France ne cesse d’être condamnée par les juges européens pour les conditions indignes de ses prisons et sa surpopulation carcérale structurelle, il est éludé avec soin que, au 1er juin 2023, 7 personnes sur 10 s’entassent dans des maisons d’arrêt dont le taux d’occupation moyen frôle les 145% et que plus de 2300 personnes sont contraintes de dormir sur un matelas à même le sol.
Alors qu’un récent rapport parlementaire, qui s’ajoute aux précédents, vient souligner la nécessité de favoriser les peines alternatives à la prison qui sont les plus efficaces pour prévenir la récidive, le ministre de la Justice promeut le tout carcéral.
Alors que c’est précisément à la justice qu’en appellent les citoyens, les acteurs du monde judiciaire ne peuvent que dénoncer ce discours relevant du populisme pénal. A l’heure où la surpopulation carcérale ne cesse de croître avec le triste record de 73700 personnes détenues, la seule solution proposée est la création de 18000 places de prison, solution pourtant encore récemment critiquée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Le vrai courage politique est de soutenir un mécanisme de régulation carcérale.
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