La réédition revue et corrigée de L’Algérie révélée. La guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle (Bouchène, janvier 2015) fait évènement. Elle est un condensé en 788 pages des 2500 pages de la thèse de doctorat soutenue par Gilbert Meynier en 1979.
Certes dense, car fourmillant d’informations précieuses et rigoureusement contrôlées, elle est cependant d’une lecture facile et agréable car remarquablement bien écrite. En 19 chapitres, le Professeur Gilbert Meynier analyse les évolutions qui ont marqué l’Algérie au cours de la première guerre mondiale et dans l’immédiat après-guerre : la place de l’Algérie dans le capitalisme français; l’économie algérienne de guerre; les prélèvements d’hommes pour les armées et les usines en France; les tentatives de soulèvements et leurs limites; l’attitude des autorités coloniales en période de guerre…Le dernier chapitre enfin est consacré à la montée du syndicalisme après 1918, aux progrès des idées révolutionnaires et à l’affirmation du nationalisme algérien.
« J’ai écrit ce livre, nous dit Gilbert Meynier, à une période de militantisme au SNESup à Nancy, j’avais une culture anticolonialiste, je haïssais le cartiérisme, et même si je me sentais plus libertaire que communiste, je tenais à passer par Marx. ». Pierre Vidal-Naquet a, dans sa préface de 1981, cette appréciation : « Gilbert Meynier appartient incontestablement, comme un très grand nombre d’historiens contemporains, à ce qu’on appelle la « dérive » marxiste, je ne vois aucun signe qui permette de le ranger parmi les doctrinaires. »
En 1914, l’Algérie est vue comme le prolongement de la France. Elle constitue un marché privilégié pour les produits français qui jouissent d’un quasi-régime d’exclusivité en particulier pour les produits industriels. Les Algériens ont été dépossédés de plus de 2 millions d’ha (P.164). Le cheptel dont ils disposent est insuffisant pour les besoins d’une population en expansion. Pendant la guerre, l’Algérie fournit ses produits à bas prix au marché « métropolitain»; les revenus de la plupart des paysans se dégradent; les salaires montent moins que les prix, avec comme conséquences, l’amenuisement des emblavures, la dégradation de l’agriculture vivrière algérienne, la baisse des rendements, la régression du cheptel… » . « C’est à la bourgeoisie coloniale que profite l’inflation. » (P.380)
« Au début du siècle, le peuple algérien est soumis par la France à un statut inférieur : juridictions d’exception, fiscalité discriminatoire, droits politiques dérisoires, mépris et humiliations répercutés, entre autres, par les Européens d’Algérie, expriment la domination française sur l’Algérie. » (P. 730). « Les Européens refluent prioritairement par une série de réflexes défensifs – racisme (Le refus de l’autre le dénigrement de sa civilisation (P. 169), violence, vitalisme expressionniste – liés à leur situation de dominants minoritaires (P188).
Fait majeur, pour la première fois, le pouvoir colonial, face à la nécessité de prélever des troupes pour le front français, doit composer, solliciter, séduire, sans pour autant remettre en cause la nature du régime colonial. Pendant toute la durée du conflit les autorités françaises, civiles et militaires, oscilleront entre : conscription, dont elles craignaient qu’elle n’entraîne une insurrection, ou encouragements aux engagements dits volontaires (en fait souvent contractés sous la contrainte). A la veille de 1914, la conscription qui avait rencontré des résistances, était alors quasi inexistante, elle sera appliquée intégralement trois ans plus tard avec prudence. La résistance active ou passive des Algériens se généralise néanmoins pendant la guerre. L’insécurité est endémique dans la plupart des régions montagneuses. Il y eut des insoumis, des désertions nombreuses et des mouvements insurrectionnels, notamment celui du Sud-Constantinois en 1916-17, mais ceux-ci furent durement et assez facilement réprimés.
Selon certains auteurs 175 000 Algériens furent alignés par l’armée française dans les combats de la Première guerre mondiale. Les pertes furent considérables : 28 000 ont été tués. «…ils [les soldats algériens] non seulement ont combattu dans l’armée française mais encore ils s’y sont bien battus, souvent mieux que beaucoup de troupes françaises. » (P. 407) Les effets de la propagande turco-allemande et l’appel au djihad ont de fait été très limités. (P. 507). « Le loyalisme actif n’est donc pas entièrement mythique. Mais il n’a pas grand-chose à voir avec une prétendue fidélité avec la France-patrie d’adoption » (P. 628), dans laquelle les Algériens ne se reconnaissent pas.
118 à 119 000 travailleurs algériens ont également été envoyés en France. Ils ont été massivement rejetés, sauf exceptions, par la population française, nous dit l’auteur (P. 475) qui est sévère avec les organisations ouvrières françaises qui serviront cependant de modèles d’organisation aux Algériens. La région d’Alès fut une de ces exceptions.
Les insertions respectives des Maghrébins dans « l’école de l’armée et celle de l’usine » seront essentielles dans l’éclosion nationaliste de l’entre-deux-guerres. Au terme « nationalisme » qui renvoie à la conception française de la nation, il faut plutôt préférer celui d’«algérianité», au sujet de laquelle Gilbert Meynier fait cette observation utile pour comprendre l’Algérie d’aujourd’hui : La guerre de 1914-18 marque une évolution sensible de la conscience d’algérianité qui est « cimentée par la foi islamique, par l’unité forgée contre les colonisateurs, mais aussi par les multiples « cognitives dissonances » entretenues avec eux. » (P.254) Au lendemain de la guerre, la conjonction de l’essor du mouvement ouvrier et de l’expression politique nouvelle du nationalisme algérien crée en Algérie, une situation inédite : « Les Algériens deviennent les acteurs de leur destin.» Gilbert Meynier indique en conclusion : « C’est un pouvoir colonial de plus en plus crispé sur ses attitudes réactionnaires qu’affronte le nationalisme algérien en gestation. » (P. 736)
« Avec le temps, écrit André Nouschi dans la postface, elle [la thèse de Gilbert Meynier] est sans doute une des recherches capitales sur l’Algérie contemporaine. » Un remarquable et indispensable ouvrage en effet.
Bernard DESCHAMPS 19 mai 2015
INVITATION
de l’association d’amitié franco-algérienne FRANCE-EL DJAZAÏR
Jeudi 28 mai 2015
15h. à 17h.
Signature chez CULTURA, Carré Sud 146, Rue Jean Lauret NÎMES
17h.30 à 19h.45
Conférence par le Professeur Gilbert Meynier
Faculté Vauban, Rue du Dr.Georges Salan, NÎMES
« L’Algérie révélée La guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle »
Entrée libre