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22 avril 2021 4 22 /04 /avril /2021 15:10

(Dernière mise à jour, 8 mai 2021)

L’Algérie aujourd'hui est en deuil. Une grande dame, Annie Fiorio-Steiner  s’est éteinte hier 21 avril et ses amis sont dévastés. J’ai eu hier soir au téléphone la personne qui l’accompagnait depuis quelques années. Elle a été emportée par un AVC  et elle n’a pas souffert.

C’est la génération des combattant(e)s pour l’indépendance de l’Algérie qui disparait. Des êtres de chair et de sang avec leurs joies et leurs peines. Des femmes et des hommes que les circonstances exceptionnelles du combat pour la liberté ont conduit à se transcender. Ils n’avaient pas vocation à devenir des héros, ils le sont devenus. Annie était une des héroïnes de la casbah d’Alger qui participa  avec courage et modestie à la cruelle bataille d’Alger de 1957. Arrêtée , séparée de ses filles, elle séjourna dans six prisons en Algérie et en France.

Elle n’était membre d’aucun parti, mais j’avais fait sa connaissance grâce à mes camarades communistes d’Alger républicain. Depuis, nous nous téléphonions régulièrement et lors de chacun de mes séjours à Alger, j’allais à son domicile la chercher  pour nos rencontres traditionnelles avec d’autres amis à l’Hôtel Suisse. En 2018, elle avait été tellement heureuse de faire la connaissance de ma petite fille Cécilia qui m’accompagnait. Et nous parlions. Ou plutôt nous l’écoutions. Pieusement. Elle parlait rarement d’elle. Son activité pendant la guerre de libération était à ses yeux naturelle. Bien que sa famille soit d’origine européenne et le père de ses enfants un architecte suisse, il ne fallait surtout pas la qualifier d’amie de l’Algérie, elle était algérienne.

Annie  Fiorio qui deviendra Steiner par son mariage, état  née le 7 février 1928 à Hadjout ( ex-Marengo) en Algérie. Son père, Fiorio Marcel, né au début du siècle dernier à Tipaza, était  issu d’une famille originaire de Florence en Italie. Il a dirigé l’hôpital de Sidi-Bel-Abbes. Sa mère  était institutrice comme sa sœur et leur mère. Son grand-père, né à Theniet El Had en 1870, est enterré à Palestro.

Annie avait fait ses études secondaires à Blida au lycée Duveyrier (Ibn Rochd) qui eut comme élèves des chouhada tels que Ali Boumendjel, Abane Ramdane et des responsables comme Benyoucef Benkheda, M’hamed Yazid, Sadek Hadjeres… Elle fit son droit à la faculté d'Alger. Elle a 20 ans quand elle fait la connaissance du poète Jean Sénac dont elle sera très proche : «  Jean Sénac . C’était une grande ouverture sur le monde et sur l’Algérie. On se voyait à la libraire Charlot, à la rue Charras. Jean m’a dédié en 1957 son petit livre Le Soleil sous les armes. » J’ai sous les yeux une photocopie de cette plaquette de textes et de poésies qu’Annie m’avait offerte. Elle comporte cette dédicace de Jean Sénac : «  A toi, Annie, ce bivouac où ta présence affirme que LE SOLEIL ne sera plus SOUS LES ARMES mais dans le cœur fraternel de notre peuple. Je t’embrasse Soleil. Jean »

 

Le sang de nos martyrs, leur unique pensée,

fleur vigilante,  lève avec l’orge nubile.

Toute votre science est épave

dans la raison pure du peuple,

dans ses matinées graves,

dans son amour déterminé, paisible.

Jean Sénac : Diwan de l’Etat-Major

 

Diplômée de droit en 1949, elle travaille dans les Centres sociaux créés par Germaine Tillon. Au lendemain de l’appel à l’insurrection du 1er novembre 1954, elle prend contact avec le FLN (Front de Libération Nationale) et, au responsable qui lui demande si elle est prête à accomplir  les missions qui lui seront confiées, elle répond : « Je m’engage pleinement ». Membre du « réseau bombes » de Yacef Sadi, le chef militaire de la Casbah d’Alger,  « On ne m’a jamais demandé de poser de bombes. J’ai transporté des ouvrages sur la fabrication d’explosifs mais j’ai surtout transporté des lettres qui ont permis les accords entre le FLN et le PCA (Parti Communiste Algérien) »  Elle est arrêtée à son travail en octobre 1956 et emprisonnée à  Barberousse (Serkadji) , où sont enfermés les militants du FLN avant leur procès. Là, elle rencontre ses « sœurs », des moudjahidate, des combattantes dont certaines du maquis. Avec elles, Annie ressent une réelle solidarité, un lien indissociable face à la dureté et la solitude de la prison. Elle était intarissable sur le sujet. « Sans solidarité, il n’y a plus de groupe. Il fallait faire bloc et se soutenir mutuellement. » Avant son procès, ses "sœurs" lui avaient préparé des bigoudis et habillée avec les moyens du bord : « Surtout, il ne fallait pas provoquer de la pitié au tribunal». Le 11 février 1957 à l’aube, dans la cour de la prison de Barberousse sont guillotinés trois militants nationalistes, Mohamed Ben Ziane Lakhnèche dit « Ali Chaflala », Ali Ben Khiar Ouennouri dit « P’tit Maroc » et Fernand Iveton, seul Européen exécuté pendant la guerre d'Algérie. Le soir même dans sa cellule, Annie Steiner compose le poème :

 

Ce matin ils ont osé

Ils ont osé vous assassiner

En nos corps fortifiés

Que vive notre idéal

Et vos sangs entremêlés

Pour que demain ils n'osent plus

Ils n'osent plus nous assassiner.

 

Condamnée en mars 1957 par le Tribunal des Forces Armées d'Alger à cinq ans de réclusion, elle est incarcérée à la prison de Maison Carrée (El Harrach), puis par mesure disciplinaire à Blida et successivement dans les prisons françaises de Paris (la Petite Roquette), Rennes et Pau. Elle est libérée en 1961. À l'indépendance de l'Algérie, elle opte pour la nationalité algérienne. En 1962, avec la création du secrétariat général du gouvernement, dont le premier secrétaire était Mohamed Bedjaoui, elle est la première femme nommée directeur d’une administration centrale par le président Boumediene. Elle y exercera pendant près de trente ans jusqu’à sa retraite en 1990. De nationalité algérienne, elle n’a plus jamais quitté son pays. Son attachement aux principes du 1er novembre 1954 l’incitait jusqu’à ses derniers jours à se révolter contre toutes les injustices. « J’ai toujours cet idéal de libération, je ne l’oublierai jamais » assurait-elle.

Annie Steiner est inhumée aujourd’hui au cimetière d' El Alia  à Alger aux cotés entre autres de Houari Boumediene, Ferhat Abbas, Mohamed Boudiaf…

Mon cœur et mes pensées sont en cet instant à El Alia.

Bernard DESCHAMPS

22 avril 2021, 15h.

Annie Steiner et Bernard Deschamps.

Annie Steiner et Bernard Deschamps.

Annie avec Yvette Maillot et Michel Berthier, secrétaire de France-El Djazaïr.

Annie avec Yvette Maillot et Michel Berthier, secrétaire de France-El Djazaïr.

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