C’est l’appel à la prière de 4 heures 30, qui, ce matin à Annaba m’a réveillé, bientôt relayé par le chant matinal et triomphant d’un coq. La ville avec les charmes de la campagne. Il fait beau, le taxi m’attend qui va me conduire à l’aéroport Rabah Bitat. Ce nouveau séjour fut court mais intense. J’ai peu dormi, mais les rencontres nombreuses furent chaleureuses et d’une grande richesse. C’est mon premier voyage en Algérie depuis le décès d’Annie. En fait je n’y étais pas retourné depuis 2014 en raison de son état de santé. J’en ai profité pour découvrir Djemila et la région du nord-est que je ne connaissais pas.
Conférence à Bejaïa
Le Café littéraire de Bejaïa m’avait invité à prononcer une conférence le 19 mars avec comme sujet, « Les mineurs algériens des Cévennes dans la combat héroïque pour l’indépendance de l’Algérie ». La salle de 300 places du Théâtre Régional Malek Bouguermouh était comble. Elle porte le nom du dramaturge algérien qui a dirigé celui-ci après avoir effectué ses études d’art dramatique à Moscou et qui a perdu la vie dans un accident de voiture.
Des amis étaient présents parmi lesquels Braham, Madani, Madjid, Mustapha, Rachid, et M. Djoudi Attoumi qui interviendra pour préciser un point d’histoire en sa qualité d’ancien secrétaire du Colonel Amirouche. D’anciens mineurs des Cévennes étaient également là et j’ai été agréablement surpris par le nombre de jeunes, filles et garçons.
Après mon exposé illustré du diaporama qu’Annélie m’avait préparé, un long débat a suivi– très politique – à la fois sur le passé et le présent. Les questions posées témoignaient d’une connaissance certaine de l’histoire de l’Algérie et de la France. Certaines furent délicates, dans un souci d’approfondissement et non pour me mettre en difficulté. Des intervenants exprimèrent leur désaccord avec plusieurs de mes réponses – concernant notamment l’arrêt du processus électoral de 1992 en Algérie et mes relations amicales avec Maître Ali Haroun – mais sans agressivité et avec déférence. J’ai été très impressionné par la maturité du public présent. Ce fut pour moi un moment agréable et enrichissant suivi de la vente de plusieurs dizaines de mes livres édités par El Ibriz.
Le matin de la conférence nous étions descendus à Ouzellaguen avec Madjid pour déposer une gerbe au monument des chouada à la mémoire de Mohand Cherif Djenkal mort au combat qui, avant de rejoindre le maquis, avait été un des dirigeants du PPA-MTLD à Alès. J'ai eu le plaisir d'y rencontrer M. Ali Mouzaoui dont le film "Le menteur" sera projeté le 23 avril à Saint Martin de Valgalgues (Gard).
Les quotidiens francophones El Watan et Liberté ont publié en bonne place des comptes rendus de la conférence et du débat, ainsi que l’APS dont la dépêche a été reprise par divers organes de presse. Comme le public de la conférence, c’est une presse très politique qui ces jours-ci évoque longuement et souvent dénonce le retour avec les honneurs officiels de l’ancien ministre de l’Energie et des Mines qui s’était réfugié aux Etats-Unis à la suite de son inculpation pour corruption. L’accent est mis également sur la menace terroriste qui, titre Le soir, « monte d’un cran ». Pour sa part le Président Bouteflika, à l’occasion du 19 mars, appelle à rester vigilant (Horizons) et met l’accent sur le « Combat sacré contre les forces du colonialisme et de l’obscurantisme ». Après les attaques déjouées d’El-Menia et de Sakiet-Sidi-Youcef, les autorités algériennes sont préoccupées par la situation aux frontières et, comme nous le constaterons les jours suivants, elles prennent les mesures de défense qui s’imposent. Cela ne nous empêchera nullement de nous rendre sur le site de Djemila désormais parfaitement sécurisé.
Djemila
En venant de Sétif, au détour de la route, nous découvrons soudain l’antique Cuicul dans son écrin de verdure, entourée de montagnes. La cité fut édifiée en 96 ou 97 de notre ère, sous l’empereur Nerva afin d’y loger les vétérans des légions romaines.
L’organisation géométrique de l’ensemble est impressionnante. Cuicul se dota d’un théâtre, de thermes, de temples, d’un arc de triomphe, l’Arc de Caracalla dont le projet de le transférer en France heureusement ne se réalisa pas. De loin, nous apercevons les colonnes qui bordent le Cardo maximus dont le dallage, comme nous le constaterons, est en parfait état.
Le site est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, mais plusieurs personnes m’avaient affirmé qu’il était à l’abandon. Il n’en est rien et j’ai été très agréablement impressionné, à la fois par la mise en valeur des vestiges de cette ville romaine et par l’exceptionnelle intérêt et la beauté des mosaïques conservées dans le musée.
En cette veille de vacances scolaires – de plus nous étions un vendredi – des milliers de personnes, souvent des familles avec des enfants, se promenaient au milieu des ruines et beaucoup, comme nous, ont pique-niqué à midi, mais aucun papier ne traînait et n’enlaidissait le sol fleuri en ce début de printemps. Une foule joyeuse… Une présence policière discrète et bon enfant (Des policiers ont accepté de nous photographier)…C’est l’Algérie d’aujourd’hui qui a réussi à surmonter le terrible traumatisme de la décennie noire.
Nous avions heureusement commencé notre visite par le musée. Notre faculté d’attention n’était donc pas émoussée et nous avons pu admirer les œuvres exposées. Dès l’entrée, nous en avons le souffle coupé, un mur entier est occupé par la grande mosaïque Asinus nica de 8 mètres sur 4. Un fabuleux bestiaire, antilopes, faisans, chèvres, autruches, lièvres,…accompagne l’âne, symbole de simplicité et cependant vainqueur (nica) de toutes les dominations. Les mosaïques La grande chasse et La toilette de Vénus, lui font face. Souvent ceintes de feuilles d’acanthe, somptueuses. De même que L’enterrement d’Europe. Dans une autre salle figurent des mosaïques à motifs géométriques traditionnels. J’ai rarement vu une collection d’une telle richesse et aussi bien conservée.
Au retour nous ferons une brève halte à Kefrida afin de prendre quelques photos au pied de la cascade de 44 mètres de haut.
Hippone
Annaba est une belle ville. C’est aussi une ville légitimiste décorée de grands portraits du Président Bouteflika. La basilique Saint Augustin construite entre 1881 et 1900 par les Français domine l’entrée de la ville. Rénovée récemment par l’Etat algérien, elle resplendit sous la lumière dorée de l’après-midi. Saint Augustin (354-430), le commanditaire de l’élimination sanglante des Donatistes…
On ne peut venir à Annaba sans visiter les ruines d’Hippone. Contrairement à celui de Djemila, le site d’Hippone est envahi par des herbes folles. Implanté dans une zone marécageuse, les moyens de désherbage sont impuissants à vaincre la nature au grand désespoir du conservateur qui nous accompagne dans la visite du musée qui, par-contre, est riche et bien entretenu.
L’autre cathédrale : le complexe sidérurgique
C’était le but principal de ma visite à Annaba. Réalisation emblématique de l’Algérie indépendante, inauguré le 19 juin 1969 par le Président Houari Boumediene le complexe d’El Hadjar est la plus grande usine sidérurgique d’Afrique. Avec ses trois filières : produits plats jusqu’à l’acier étamé; produits longs et tubes sans soudure; centre de recherche métallurgique, il permettait, avec l’Institut des Mines et de la Métallurgie, « de faire face aux défis futurs du développement économique et technologique. » (Redha Amrani, consultant en économie industrielle). Privatisé en 2001 par le gouvernement d’Ali Benflis sous la première présidence Bouteflika dans le prolongement des lois adoptées sous la présidence Chadli, le gouvernement algérien d’Abdelmalek Sellal en a repris la majorité en 2013 sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika.
Je ne pourrai pas le visiter de l’intérieur car des travaux de rénovation sont en cours pour une relance de la production dans les prochains mois. Mais j’en ferai le tour en voiture – il s’étend sur 800 ha - et j’aurai la chance et le plaisir d’être accompagné par trois anciens responsables du syndicat UGTA de l’entreprise - et anciens adhérents du PAGS* - qui m’en feront l’historique et me diront les luttes qu’ils ont impulsées pour sa sauvegarde et son développement, car, m’expliquent-ils, le groupe privé indien Arcelor-Mittal depuis 2001 n’a pas réalisé les investissements d’extension et de mise à niveau promis en contrepartie des avantages que lui avait accordés l’Etat algérien, alors que les besoins en acier dans le monde et en Afrique sont en croissance constante. Ils ont doublé dans les pays arabes. Depuis la privatisation, l’effectif de 18 000 salariés avait été réduit à 5 000.
Je souhaite bon vent à sa rénovation et à la relance de la sidérurgie algérienne.
Plongée dans l’Algérie profonde
J’aime me promener dans les rues populeuses des villes, emprunter les petites routes de campagne et faire la connaissance de villages isolés.
Avec les amis qui m’ont accueilli, j’ai flâné dans les rues de Bejaïa; engagé la conversation avec des vieux assis en groupe devant leur domicile; pris un rafraîchissement dans un café enfumé de la Place du 1er Novembre sous un portrait du Che; discuté passionnément avec des militants du FFS, du FLN, du RCD, du RND, du PADS *; j’ai été coincé dans un embouteillage monstre provoqué par des manifestants qui barraient une route; je me suis recueilli à Skikda devant le mausolée à la mémoire des victimes de la répression du 20 août 1955; traversé la montagne aux multiples virages des massifs d’El Mila, d’Aïn Zouit Cheraia et de l’Edough; humé les parfums d’agrumes sur un marché villageois; dégusté des sardines grillées à Bejaïa et des dorades sur le port d’Annaba; respiré l’air du large sur la promenade du front de mer de cette belle ville; j’ai passé des soirées merveilleuses dans des familles; bu beaucoup de thé à la menthe et de gazouz et vidé un soir une bouteille de vin rouge avec un ami…
Les Algériens aspirent viscéralement à la paix après la terrible décennie noire dont la page est désormais tournée. Ils sont en même temps très revendicatifs et le débat politique est particulièrement vif. Ils sont conscients des dangers qui existent à leurs frontières et les concentrations de troupes que nous avons vues à une centaine de kilomètres de la frontière tunisienne témoignent de la vigilance des autorités algériennes, alors que la présence policière s’est singulièrement allégée dans les villes.
Les Français sont accueillis avec beaucoup d’amitié, au point que j’étais souvent amené à dire : « Ne dites pas trop : vous êtes ici chez vous…Cela pourrait donner des idées à certains ! ». Tous les journaux algériens ont salué comme positive la déclaration de François Hollande au sujet du 19 mars 1962.
Une nouvelle fois j’ai constaté combien l’Algérie change. Et elle change vite. Un pays et un peuple extraordinairement attachants, si loin des clichés souvent malveillants de la presse française. Bernard DESCHAMPS
28 mars 2016