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15 mars 2016 2 15 /03 /mars /2016 09:55
J'AI LU DEUX ROMANS QUI NOUS PARLENT DU TEMPS DES COLONIES

L’un se déroule en Algérie, La nuit de Zelemta (René-Victor Pilhes, Albin Michel, novembre 2015), l’autre en Tunisie, Les prépondérants (Hédi Kaddour, Gallimard, octobre 2015).

J’avais été conquis dans les années 70 par L’imprécateur de R.V.P. Une image m’est restée, celle de jeunes cadres ambitieux et pressés qui marchaient sur les pieds de leurs voisins dans les files d’attente des aéroports. Les débuts de l’ère Tapie… Ce nouveau roman nous donne à lire le dialogue imaginaire de Ramdane Abane, l’initiateur du Congrès de la Soummam (20 août 1956) dans la prison d’Albi (il y fut effectivement incarcéré en 1953 jusqu’à l’été 1954), avec un jeune français d’Algérie Jean-Michel Leutier, issu d’une famille socialiste, alors étudiant dans cette ville. Pari osé, l’année du 60e anniversaire de la Soummam! C’est la lente et douloureuse découverte par le jeune homme de la réalité de la condition des « indigènes », qu’il ne soupçonnait pas et du combat naissant du peuple algérien pour arracher son indépendance. Et comme rien n’est simple, Leutier, en dépit de la sympathie qu’il éprouve pour ce combat, interrompra ses études, devancera l’appel sous les drapeaux et deviendra un adversaire impitoyable du FLN car il refuse que sa famille soit à l’Indépendance chassée d’Algérie. Mais une nuit, en opération à Zelemta, au sud de Mascara, il feindra de ne pas reconnaître Ramdane Abane qui venait d’être capturé et lui sauvera la vie. Déroulement improbable, mais c’est un roman qui nous dit la complexité d’un cheminement personnel.

Les prépondérants, le roman de Hédi Kaddour qui a été couronné par l’Académie française, nous conte la longue histoire en 460 pages et 49 tableaux de Raouf, fils de caïd et étudiant nationaliste féru de littérature française; de Rania, une fière jeune femme de 23 ans qui dirige une grande ferme ; elle est la fille de Si Mabrouk un ancien ministre du souverain de Tunisie et son mari a été tué en 1916 en Champagne; de Ganthier un riche colon ancien combattant de 14-18 nostalgique de la fraternité d’armes; de Gabrielle, une journaliste française plutôt de gauche dont Ganthier est amoureux; de Kathryn, une star du jeune cinéma américain qui deviendra la maîtresse de Raouf, et d’une pléiade de personnages, parmi lesquels des militants communistes, qui évoluent dans le village de Nahbès au cours de l’année 1920. Les Américains sont venus tourner un film dans cette petite ville (imaginaire) et c’est la rencontre de deux civilisations, l’une marquée par la tradition avec ses règles, ses valeurs, son élégante générosité, mais aussi parfois sa cruauté et une société moderniste, décomplexée, tape à l’œil, moralement rigoriste et débridée à la fois, d’une inhumanité hypocrite. On ne sait ce qui est le plus cruel de la lapidation d’un simple d’esprit réfugié sur un toit de Nahbès ou des complots ourdis dans les milieux du cinéma et qui conduisent également parfois à la mort. Et il y a les Prépondérants, ces Européens qui se croient d’une race supérieure, méprisent les Tunisiens et les écrasent de leur prépondérance. Ils seront à l’origine de la mort de Raouf tué au cours d’une manifestation réprimée par le pouvoir colonial. Raouf sera pleuré par Ganthier, le colon, qui abandonnera alors sa propriété et rejoindra l’Ordre des Pères Blancs.

J’ai dévoré ce roman dont la langue remarquablement maîtrisée m’a rappelé la pureté du style de Marguerite Yourcenar, une de mes auteures préférées. Une nouvelle illustration de l’enrichissement de la langue française par des auteurs d’origine étrangère.

Bernard DESCHAMPS, 10 mars 2016

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