Les appréciations des responsables de partis politiques algériens sont mesurées. Souvent positives. Rarement enthousiastes. Parfois franchement critiques. C’est le cas notamment du PADS (communiste) pour lequel : « La visite [du…] chef de l’Etat français s’inscrit dans le processus de renforcement des liens entre la bourgeoisie algérienne et l’impérialisme français pour préserver le système d’exploitation, de domination et de pillage international. » L’opinion publique algérienne, telle que je la ressens au travers des conversations téléphoniques que j’ai eues depuis, me paraît assez satisfaite. Elle apprécie que François Hollande ait reconnu « les souffrances que le système colonial français a infligées au peuple algérien […] Parmi ces souffrances, les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata. » et qu’il ait affirmé : « Il y a cinquante ans l’Algérie accédait à l’indépendance, elle s’arrachait à la France après une guerre longue de huit ans.[…] Elle conquérait ce droit, ce droit inaliénable, ce droit de pouvoir disposer pour un peuple de lui-même. » Venant après sa condamnation de la terrible répression du 17 octobre 1961 à Paris, ces déclarations et l’évocation de la disparition du jeune mathématicien communiste Maurice Audin assassiné par les paras de Massu, constituent, me semble-t-il, une avancée. Aucun chef d’Etat français, avant lui, n’était allé aussi loin. Il reste cependant du chemin à parcourir pour reconnaître explicitement la responsabilité de l’Etat français dans les crimes qui ont jalonné les 132 années d’occupation coloniale, plus particulièrement de 1954 à 1962. Les blessures sont encore présentes et vives dans la mémoire des Algériens qui ont perdu un proche. N’oublions jamais que l’Algérie qui comptait alors quelque 10 millions d’habitants a perdu, en huit années d’une guerre atroce, plusieurs centaines de milliers de ses enfants. Certains disent 1 million. Peu de peuples au monde ont consenti un tel sacrifice pour obtenir leur indépendance, « ce droit inaliénable » dit François Hollande. Le Président de la République française s’est adressé aux Algériens au nom de la France et non en tant que porte-parole du Parti Socialiste; j’aurais néanmoins apprécié qu’il reconnaisse la responsabilité de la SFIO dans la poursuite et l’aggravation de la guerre, en particulier à partir de 1956.
Ses discours devant les parlementaires algériens et à l’université de Tlemcen, même s'ils nous paraissent encore insuffisants, contribuent néanmoins à l’amitié entre nos deux peuples.. Quand le Président de la République française affirme : « L’Algérie est un pays courageux, il l’a prouvé après la terrible épreuve terroriste qu’il a traversée avec dignité et unité. », et quand il déclare que : « L’Algérie est un pays respecté sur la scène internationale, qui compte et qui pèse […] un pays dynamique », il prend à contre-pied l’image souvent déformée qui en est donnée par les médias français.
Chaque mot était pesé. Des phrases et des paragraphes qui figuraient dans une première version publiée par plusieurs journaux, n’ont pas été prononcés. D’autres ont été ajoutés. Parmi les phrases supprimées, j’ai relevé la référence aux Accords d’Evian qui ne font pas l’unanimité en Algérie. Bien que ces accords aient reconnu le droit à l’indépendance, certains Algériens leur reprochent une connotation néocolonialiste. Dans la première version du discours, un passage indiquait : « Je n’accepterai pas davantage que la religion musulmane puisse être stigmatisée.[…] Et si le fondamentalisme doit être combattu et le terrorisme éradiqué où qu’il soit, aucun amalgame, aucune confusion ne doit être entretenue. J’y veillerai au nom des valeurs que je porte. ». Ce passage n’est plus dans la version définitive. Mais lors de la conférence de presse à Tlemcen, il a rappelé l’apport de l’Islam à la civilisation de l’Humanité. A également été supprimé un paragraphe sur la Syrie, à propos de laquelle l’Algérie et la France divergent. Par contre, l’évocation de la situation au Mali a été profondément remaniée, affirmant les « deux volontés », celle de l’Algérie de poursuivre « les négociations politiques » et celle de la France dans sa « détermination » à soutenir une action armée. La France a présenté, dans ce but, une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU qui l’a adoptée et dans laquelle l’Algérie dit officiellement « se reconnaître ». Parmi les ajouts, signalons également l’affirmation selon laquelle les accords de 1968 sur les visas ne seront pas revus. Ce qui est mieux qu’un avenant restrictif, comme l’envisageait Sarkozy, mais n’ouvre pas la voie à la libre circulation entre les deux rives de la Méditerranée.
Au-delà des mots, il conviendra désormais de juger aux actes. Et en premier lieu en ce qui concerne les visas pour lesquels François Hollande s’est engagé à ce que les Consulats français soient moins tatillons et plus ouverts.
Dans les domaines culturel, économique, administratif et de la défense, plusieurs contrats ont été signés, dont on ne connaît pour l’instant que les grandes lignes.
Les implantations industrielles se feront en conformité avec la règle algérienne du 51/49%. 51% du capital social revenant à des investisseurs algériens. Ce seront, dans plusieurs cas, des partenariats public-privé. RENAULT s’alliant avec la SNVI détenue à 100% par l’Etat algérien. SANOFI-AVENTIS (poursuivi par ailleurs pour surfacturations !!) s’alliant avec le groupe pharmaceutique algérien SAIDAL détenu à 80% par l’Etat. Des partenariats privé-privé ont également été conclus : BIFRUIT, groupe privé algérien (familial) s’allie avec BIOGEAUD-France pour la réalisation d’une usine de confiture avec transfert de technologie à l’Algérie. VICRALYS, groupe privé algérien avec PETERS SURGICAL fabricant de sutures chirurgicales. MEDRASYS-Algérie avec MEDRASYS-France spécialisé dans l’informatique médicale. Par contre, l’accord entre la SONATRACH et TOTAL en vue de la création d’une unité de vapocraquage à Arzew est toujours en suspens et, contrairement à ce qu'avait cru pouvoir déclarer Laurent Fabius, Mme Delphine Batho a officiellement démenti qu'un accord ait été conclu pour la prospection de gaz de schiste en Algérie.
L’implantation d’une usine Renault, près d’Oran ne créera que 350 emplois directs, mais générera, paraît-il, des centaines d’emplois parmi les quelque 500 entreprises sous-traitantes. Enfin, le Président de la République française a annoncé la relance de l’Union pour la Méditerranée. Question: celle-ci sera-t-elle le prolongement de l’UPM sarkozienne qui, comme le Processus de Barcelone de 1995, incitait l’Algérie à accélérer les privatisations et prônait l’instauration d’une zone de libre-échange entre le sud et le nord de la Méditerranée, impliquant un désarmement des barrières douanières, au détriment du Sud ?
Il serait dommageable et grave que la condamnation verbale du colonialisme s’accompagne de la poursuite d’une politique néocolonialiste.
Bernard DESCHAMPS, 31/12/2012