A l'initiative de la section PS de Nîmes, avec la préparation de Pierre García et Pierre Jaumain et le soutien de la PS Fédération Gard , nous avons rendu hommage ce matin à Nîmes à Jean Jaurès en présence des formations politiques de gauche et écologistes . Un moment solennel ponctué par des discours engagés à l'image de l'héritage laissé par ce grand homme, mort pour ses idées, mort pour la paix .
Ont successivement pris la parole : Pierre GARCIA, Pierre JAUMAIN, Sibylle JANNEKEYN, Denis LANOY, Janie ARNEGUY, Nicolas PELLEGRINI et Arnaud BORD, secrétaire fédéral du PS.
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Ci-dessous la belle allocution de Denis LANOIS, au nom des Communistes nîmois :
"Rendre hommage est intimidant. Dire l’intimidation pour éviter de dire des banalités. Dire en évitant de parler à la place de. Rendre hommage pour dire et chanter l’homme et dire pourquoi il importe encore de le citer, de l’écouter, d’être attentif à sa philosophie politique en ce presque déjà fin de premier quart de XXIe siècle. Je vous remercie, je remercie la section nîmoise du Parti socialiste d’avoir initié ce rassemblement commémoratif ce 31 juillet 2022. Je m’exprimerais, ce n’est une surprise pour personne, au nom des communistes nîmois, au nom du PCF.
La lutte contre le capitalisme était, dès 1904 à la création du journal l’Humanité, l’axe essentiel du titre de presse fondé par Jean Jaurès. Lecteur quotidien et assidu de ce journal je peux en témoigner c’est encore l’essentiel objet des journalistes de l’Humanité. Dans le premier éditorial, signé par Jean Jaurès, toute l’ampleur de son projet philosophique, anthropologique, transparaît, je cite : « donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. »
Il y a chez Jaurès une impossibilité de taire les choses. Sans doute est-ce une des raisons pour laquelle son spectre hante encore nos pensées et nos imaginaires. Son élan vers le pacifisme est une force pour nous. Nous pouvons, nous devons nous en inspirer. La Paix en ce monde ne doit en rien le céder aux affects autoritaires et guerriers. Lorsque nous exigeons aujourd’hui la paix immédiate en Ukraine, au Yémen, en Palestine, c’est bien également avec le souci d’unir les hommes et les femmes par-delà les frontières afin qu’ils et elles puissent selon la belle formule de Jean Jaurès employée dans un article intitulé Au clair de lune, paru dans la Dépêche du midi en 1890 devenir grâce à l’instruction « les coopérateurs de la civilisation universelle ».
Malgré les possibles progrès des techniques et des technologies notre monde contemporain n’est pas meilleur que celui que connu notre illustre devancier. Sans doute, le monde, aujourd’hui, n’est pas meilleur, car le combat contre l’humanité mené par le capitalisme et ses avatars récents, le néolibéralisme, la financiarisation, le libertarisme font tout, avec de considérables moyens, pour obscurcir nos consciences. Le message de Jaurès de permettre de donner à toutes les intelligences le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes demeure bien d’une étrange et brûlante actualité.
Plus qu’un réformiste du XIXe siècle, Jean Jaurès fut un révolutionnaire du XXe siècle. Dès 1901, il développe et approfondit le concept de « l’évolution révolutionnaire », il entend alors démontrer comment peu à peu le prolétariat peut pénétrer au « centre même de la puissance capitaliste » afin que « la société nouvelle sorte de l’ancienne avec cette force irrésistible de l’évolution révolutionnaire dont a parlé Karl Marx ». C’est une pensée politique déterminée et volontaire qui en acte grâce à une dynamique révolutionnaire introduit progressivement des germes de communisme dans la société capitaliste. La conception et la mise en place de la Sécurité sociale ne fut pas autre chose. La Sécurité sociale n’est pas un palliatif à la misère du monde mais la réponse politique pour la réalisation d’un monde plus juste socialement, plus égalitaire, plus solidaire. Il est heureux que le philosophe Lucien Sève, que l’historien Jean Paul Scot, tout récemment ont décidé de reposer à nouveau la question, pour le XXIe, de la pertinence de l’évolution révolutionnaire. Pousser à fond le débat critique est nécessaire pour engager en grand les réformes révolutionnaires qui nous permettront de conquérir pour le XXIe siècle un petit bout de nos idéaux sociaux, culturels, écologiques, démocratiques.
Le profond désir de justice sociale de Jean Jaurès est source d’inspiration ! Et avec quel moyen su-t-il faire partager ce désir. Qu’on me permette ici une petite digression en tant qu’homme de théâtre sur le souffle et le corps de Jean Jaurès. Corps massif, souffle puissant. Il impressionna ses contemporains. Louis Aragon lui-même en témoigne dans un passage des Cloches de Bâle et dans un autre dans Les beaux quartiers. Jean Jaurès était d’abord une voix, un souffle. Un « fou des mots » selon l’expression de Louis Aragon. Cette folie des mots lui permit d’accompagner hautement les révoltes des sans-voix, de porter énergiquement la défense du Capitaine Dreyfus. Certainement il a su capter pour sa verve oratoire le parler populaire, le parler rocaille du midi. Il emportait son auditoire. Je cite Aragon : « Jaurès qui, dès le premier souffle, ne se ménage pas. Du premier souffle, il atteint ce qui est le paroxysme des autres […]. Du premier souffle, il les dépasse et nous transporte dans une région où il y a encore une place pour le rire, et l’on rit, de ce rire fort et puissant des foules qui a des épaules de forgeron ». J’ai parlé du souffle, parlons du corps, nous connaissons la fougue de Jaurès, la puissance expressive de son geste grâce aux dessins du caricaturiste officiel de la Chambre des députés Albert Éloy Vincent qui fit une série de portraits aquarellisés de différentes expressions de Jean Jaurès à la tribune pour un traité de l’éloquence paru en 1910. Or cet Albert Éloy Vincent, portraitiste de talent, né à Montpellier, devint directeur de l’École des beaux-Arts de Nîmes et conservateur du musée des Beaux-arts de Nîmes. Il fonda en 1920 l’École antique de Nîmes. Nous pouvons donc, assurément oser l’affirmation que Nîmes compte un peu dans le passage à la postérité de Jean Jaurès. Nous pouvons l’oser… Oui…
Mais cette postérité historique, reconnaissance bienvenue, ne peut être, en ce jour de souvenir (et quel souvenir ! celui d’un odieux assassinat par le nationaliste Villain — quel nom ! — qui fut, rappelons-le, acquitté en 1919 dans un contexte de ferveur nationaliste ce qui ne peut que nous maintenir en alerte en ce temps qui voit l’Assemblée de la République remplie pour un sixième par des nationalistes), cette postérité ne peut pas être, disais-je, en ce jour de souvenir, qu’une date parmi d’autre, une date affranchie de contenu politique. Pour nous, communistes du XXIe siècle, évoquer Jaurès c’est la possibilité de poursuivre et enrichir la conversation, le dialogue à gauche. La pensée de Jaurès est objet de recherche et d’approfondissement, de connaissance. Elle nous permet avoir des lumières sur notre temps et savoir que l’espoir doit toujours être entretenu. Que seule la violence brutale et criminelle peut faire vaciller cet espoir.
À Nîmes, ne vacillons pas, entretenons, à gauche, cet espoir. Ne ménageons pas nos efforts. L’ouvrage est beau lorsqu’il est construit à plusieurs, l’ouvrage est beau lorsqu’il est un pont qui réunit. Nîmes deviendra prochainement une ville pont si nous rassemblons nos efforts. Imaginons, ce midi, encore la voix du midi, la voix de Jaurès, laquelle parle encore et encore en nous, imaginons la voix de rocaille de Jaurès et qu’aucun d’entre nous n’empêche en l’autre cette voix de porter son flot de floraison, une rose pour Jaurès et aussi un œillet pour Jaurès. Il y a la place pour plusieurs hommes généreux, plusieurs femmes altruistes dans la voix souvenir de Jaurès. Mais prenons garde, qu’en nous Jaurès n’achève une triste nouvelle fois son repas et que juste derrière lui, derrière le rideau de la fenêtre ouverte sur la rue, il fait nuit, l’assassin rôde, son assassin est là, prenons garde qu’il ne tue une fois encore…"