
Ce nouveau roman de l’auteur algérien (Julliard, juillet 2018) est une vertigineuse et bouleversante plongée dans l’âme d’un kamikaze chez qui tout sentiment humain n’a cependant pas totalement disparu.
Khalil et Driss son ami d’enfance qui ont grandi à Molenbeek dans la banlieue de Bruxelles, font route, en compagnie de deux Syriens, vers Paris au Stade de France où auront lieu les attentats du 13 novembre 2015. En chemin, tandis que la radio de la voiture qui les transporte diffuse des sourates du Coran et de la musique pieuse, les deux amis se remémorent leur vie de misère et de frustrations. La haine les submerge contre cette société qui les méprise et les écrase. Ils ont décidé de le lui faire payer au prix du sang et pour cela de se sacrifier. Ils se récitent en silence la chahada* ponctuée de nombreux taqbir*. Driss et leurs frères réussiront leur terrible « mission ». Khalil, malgré trois tentatives ne parviendra pas à faire exploser sa ceinture d’explosifs.
Sa hantise est d’être considéré par son émir comme un déserteur. Il n’en sera rien, une erreur ayant été commise, lui dit-on, dans le choix de la ceinture. Mais cette explication lui parait suspecte. L’auteur laisse planer le doute : en lui fournissant une ceinture désamorcée s’agissait-il de le mettre à l’épreuve? Une nouvelle « mission » lui sera proposée : faire un carnage lors d’un grand rassemblement festif à Marrakech afin de punir le Maroc de la mort sous la torture du cheikh Sadek.
Dans l’attente de son départ, Khalil revit le cheminement qui l’a conduit de la haine à l’égard de la société – et à l’égard de son père – au jihâd. Il ne fréquentait pas la mosquée et c’est avec réticence qu’il a accepté la proposition de Lyès pour qui il a une grande admiration, d’aller écouter les prêches de l’imam. Ce sera pour lui une révélation. Yasmina Khadra nous livre ce dialogue :
« - Qu’est-ce que la vérité pour toi, frère Khalil ?
- C’est Dieu tout puissant, mon cher imam.
- Non, frère Khalil, la vérité sur cette terre, c’est toi. »
lui répond l’imam (P.230). Son regard sur lui-même et son rapport aux autres en seront bouleversés : « Tu es respecté, écouté à ton tour, aimé ; tu te découvres une vraie famille, des projets et un idéal. Tu deviens le frère et tu marches la tête haute parmi les hommes, comme un seigneur. » (P.229). Il a dès lors une confiance aveugle en ces faux prophètes.
Mais un fait tragique va peu à peu tout remettre en cause. Sa sœur jumelle Zahra avec qui il partage une affection fusionnelle est blessée dans un attentat et meurt. L’auteur nous décrit avec minutie les interrogations de Khalil, ses angoisses et ses hésitations. Il part pourtant pour Marrakech, mais l’attentat sera déjoué en raison d’une dénonciation.
Le roman se termine sur la carte postale adressée de Marrakech par Khalil à Rayan un autre de ses amis d’enfance qui lui est resté proche. Sur cette carte postée à J-1 sont inscrits ces mots : «… Le vrai devoir est de laisser vivre. J’ai décidé « d’attendre le printemps. »
L’ancien officier de l’armée algérienne devenu écrivain nous dit là sa confiance en l’être humain. Ce roman non seulement tient le lecteur en haleine mais l’incite à la réflexion.
Bernard DESCHAMPS
09 octobre 2018
* chahada/profession de foi : « J’atteste qu’il n’y a de divinité digne d’adoration qu’Allah et j’atteste que Mouhammad est le messager d’Allah. »
* taqbir : Allah akbar (Dieu est le plus grand.).
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