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Madame Fatima Krim est née dans le village de Msirda-Thata à la frontière marocaine, plus près d'Oujda au Maroc que de Maghnia en Algérie. Entre mer et atlas, un pays brûlé l'été par le soleil. Pays d'élevage de chèvres et de moutons dont la laine servait de matière première à l'artisanat traditionnel du tapis. Parsemé de figuiers et de grenadiers.

Le grand- père  était éleveur mais, dès l'âge de sept ans, en 1945, la famille de la petite Fatima, ses parents et ses six frères et soeurs, quittent l'Algérie pour la France car l'élevage ne leur permet plus de vivre. Le second frère, Abdelkader Mohcini qui, en fait, a la charge de la famille, a dû s'engager dans l'armée française (4 ans) pour combattre le nazisme et assurer leur subsistance. En France, dans la région d'Aubagne d'abord puis à Gardanne, ils seront ouvriers à la terre puis à la mine.

La région de Tlemcen et de Maghnia dont est issue Fatima (comme son futur mari Mohammed Krim) conserve le souvenir de l'émir Abd El Kader, auquel, encore aujourd'hui, les familles algériennes vouent un véritable culte. C'est également à Tlemcen qu'est né Messali Hadj et Ahmed  Ben Bella fut un temps conseiller municipal de Maghnia. Région de luttes sociales et politiques. Mohammed Krim y assuma d'importantes responsabilités, syndicales à la CGT et au Parti Communiste Algérien.

Fatima, qui gamine participait volontiers aux rudes jeux des garçons, a très tôt un tempérament de combattante. Avant même le déclenchement de l'insurrection du 1er novembre 1954, avec sa mère et ses frères, elle collectait déjà de l'argent pour soutenir l'action des clandestins de l'OS (Organisation Spéciale) qui avait pris le maquis en Algérie au lendemain de la répression du 8 mai 1945. Parmi eux, Ben Bella et d'autres militants du MTLD de Messali Hadj. L'OS sera dissoute en 1950, mais l'idée que seule la lutte armée pouvait permettre d'en finir avec le colonialisme grandissait. Fatima, comme sa mère et ses frères, dès cette époque, n'est plus d'accord avec Messali Hadj. C'est donc tout naturellement, qu'en 1954, elle soutiendra l'insurrection et c'est par l'intermédiaire de son frère Abdelkader qui l'a élevée qu'elle rencontrera le FLN.

Mariée à quinze ans à Monsieur Krim, elle est en 1954 à Alès, déjà mère de trois enfants. Elle a dix-huit ans. Son mari est un militant connu du PCA (puis du Parti Communiste Français) et de la CGT où il assume des responsabilités nationales et régionales. Il va jouer un rôle très important auprès du FLN dans la région d'Alès. Leurs chemins étaient donc destinés à se croiser. Mais c'est à partir de son expérience familiale et personnelle que Fatima Mohcini épouse Krim (pour reprendre la formule de la police) est devenue une militante du FLN qui ne se satisfera pas longtemps du seul transport des tracts, des affiches et de l'argent. Elle deviendra une combattante.

Le 9 juin 1960 elle est arrêtée à Alès par la police française. Elle a alors 24 ans; son mari Mohammed est interné depuis plusieurs mois. Elle est la maman de cinq jeunes enfants, Zora, Rachida, Leïla, Omar (le seul garçon) et Yasmina. L'aînée Zora qui a sept ans a assisté à l'arrestation de sa mère. Elle en restera profondément marquée. La petite dernière Yasmina a quatre ans.

Fatima, dont le logement familial était situé rue Jules Cazot (à l'emplacement de l'actuelle salle Jacques Duclos) a été dénoncée comme hébergeant un important responsable du FLN. Des réunions en présence du chef de la wilâya 3 bis, se sont tenues au domicile de Mme Krim, affirme la police.

Elle est transférée de nuit à Saint Hippolyte du Fort où elle est interrogée par une équipe spéciale de militaires venus d'Alger. Elle peut difficilement nier l'évidence, le responsable du FLN a été arrêté en même temps qu'elle. Son système de défense au cours des interrogatoires, dont j'ai consulté les PV, ne variera pas d'un yota: "Je ne connais pas cet individu qui a frappé à ma porte et m'a bousculée." Ceux qui l'interrogent, semble-t-il, ne sont pas dupes, mais le fait de s'en tenir à cette version lui évitera par la suite une plus lourde condamnation. Dans l'immédiat son courage ne lui évite pas les coups. Elle ne dira rien d'autre et ne prononcera aucun des noms des responsables que pourtant elle connaissait. Elle est terriblement inquiète pour ses enfants. Mais aussi pour ses co-détenues et notamment pour Madame Fournier d'Alès chez qui logeaient des Algériens et où un dépôt d'armes avait été découvert. Des amis puis des organisations prendront soin de ses enfants. Plusieurs seront hébergés dans la région parisienne par un centre pour enfants de la CGT qui accueillit des enfants de Résistants en 1945 et qui, depuis 1954, héberge des enfants de militants algériens. Certains de ses enfants étaient déjà hospitalisés à Hyères-Plage, à Banyuls, à Montpellier et au Centre Hélio-marin du Grau du Roi dirigé par le Docteur Jean Bastide.

Le 24 février 1961, le Tribunal des Forces Armées de Marseille la condamne à deux ans de prison avec sursis. Elle aura été emprisonnée au Fort Vauban à Alès du 9 juin 1960 (avec un passage à Saint Hippolyte du Fort) au 6 août 1960.

Pendant son séjour à Saint Hippolyte du Fort, Mme Krim, de sa cellule dans l'ancienne Ecole d'Enfants de Troupe, a vu des hommes, les bras entravés, traînés inconscients sur le sol de la cour . Un autre moudjahid de Branoux, A. Djoudi, dont j'ai eu connaisance des documents qui attestent de son activité et de son emprisonnement, a témoigné par écrit avoir assisté à la torture par l'eau et l'électricité de son chef d'équipe, dans ce même lieu. Ces interrogatoires étaient pratiqués par des équipes de supplétifs algériens venus de l'extérieur. Au cours d'une de mes conférences, le fils d'un gendarme, m'a affirmé que son père, alors affecté à Saint Hippolyte, se plaignait "du sale boulot" qui leur était imposé.

Tel est brièvement résumé le parcours de cette femme que rien, à l'origine, ne prédisposait à devenir une héroîne et qui fit preuve d'un courage exemplaire. Fatima ne regrette pas ses engagements de jeunesse et elle continue de penser que l'avenir est "sous les pieds des femmes".

Bernard DESCHAMPS

(Extrait de Bernard Deschamps,"Le fichier Z, essai d'histoire du FLN algérien dans le Gard", Le Temps des Cerises, Pantin, 2005 )

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