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27 octobre 2025 1 27 /10 /octobre /2025 16:35

Je referme bouleversé ce livre-témoignage d’une jeune algérienne pendant la guerre d’indépendance. Yamina Cherrad avait 20 ans lorsqu’elle monta au maquis en novembre 1956, deux ans après le déclenchement de la révolution.

Née en 1936 à Sétif qui conservait la mémoire de la révolte des Mokrani en 1871, dans une famille de condition modeste sans être pauvre, qui se réclamait de Ben Badis le fondateur de l'Association des oulémas musulmans algériens. Yamina inscrite à l’école française fut une excellente élève qui vouait un véritable culte pour son institutrice qui l’aidait, l’encourageait. Elle sera douloureusement impressionnée par la terrible répression du 8 mai 1945. Après l’obtention du Certificat d’études primaires, elle est admise à l’Ecole d’infirmières de Sétif dont elle sortira diplômée, Prix d’Excellence,  en 1953.

Elle rejoint l’Armée de Libération Nationale (ALN) dans la région de Jijel, entre djebel Babor et  la région forestière des Menazel. Contrairement aux années 1960-61, les déplacements en 1956 n’étaient pas encore trop surveillés par l’armée française, indique-t-elle. Elle est chaleureusement accueillie, quitte ses habits civils pour une tenue plus appropriée et des pataugas. Elle participe avec deux étudiants, l’un en médecine, l’autre en pharmacie, à la création du service de santé au douar de Ouled Askar, à la mechta de Zouitna. Elle nous dit le quotidien précaire et exposé d’une infirmière au maquis. L’absence de médicaments, les instruments médicaux rudimentaires, les amputations sans anesthésie.

Tout au long, son récit est émaillé avec une extrême précision de noms de lieux et surtout des noms de ses compagnes et de ses compagnons. De leurs actions, de leur héroïsme et souvent de leur mort au combat. Elle donne en annexes de longues listes des martyrs qu’elle a connus. Et nous allons la suivre ainsi dans ses multiples déplacements au gré des circonstances, des accrochages avec l’ennemi, des opérations de ratissage par l’armée française, pour aménager, organiser des centres de santé, à Djebel Babor, Oued Kebir, Zouitan, Les Menazel, Djebel Halfa, Boudaoud, Les Menazel à nouveau, Ouled Asker, Beni Afer, Bouhanch, Tamezguida, Beni Afer, Texenna-Agla, Guerrouche, Bouhanch....

 L’ALN, était très protégée, accueillie  et approvisionnée par la population en dépit des risques mortels que celle-ci encourait, mais nous n’imaginions pas à l’époque, bien que solidaires de leur combat, le niveau de leur sacrifice et les souffrances qu’ils enduraient. Le froid, la pluie, les nuits sans dormir, les marches harassantes, les encerclements, les frères et sœurs qui tombent, les corps déchiquetés par les bombes, la torture si l’on est capturé, ou encore, sacrifice suprême – dit au détour d’une phrase -  la mère qui étouffe son bébé pour que ses cris n’alertent pas les soldats français tout proches…Yamina ne fut pas épargnée par la « bleuite » qui sévit un temps parmi les mujâhidûn.

Autorisée en 1960 à se marier, elle accouchera de son fils Saïd au maquis quelques jours après la mort qu’elle ignorait  de son mari Bachir Bennaceur, « les armes à la main »

En lisant ce témoignage plein de retenue, j’ai repensé à celui de Primo Lévi dans Si c’est un homme… La même émotion pudique, « la vérité sans fard ni sentimentalisme » (2), l’extraordinaire modestie des véritables héros. Leurs blagues et les séances de fou rire… « Dieu, qu’elles étaient belles, ces années de lutte pour un idéal, l’indépendance de l’Algérie et la liberté de tous les Algériens. Années chargées pourtant de frayeur et d’épouvante, parfois, de prières, souvent, de rêves. Et d’espoir, toujours. Il nous fallait vaincre la peur en ce temps-là, et trouver les forces de mener le combat de chaque instant» (page 17).

L’immense joie de l’Indépendance enfin acquise est pour Yamina assombrie par la mort de son mari qu’elle a apprise deux mois plus tôt. Anéantie, elle avait  cependant fait face à ses responsabilités de soignante et le 3 juillet 1962 elle est affectée à Constantine au dispensaire de la sinistre Ferme Ameziane (3). Sa mère vit désormais avec elle et elle est en contact étroit avec la famille de son mari décédé.

Elle vit mal l’arrogance et le mépris des soldats de l’ALN venus de Tunisie et les dissensions entre « les révolutionnaires de l’intérieur et de l’extérieur » (page 160). Elle quittera alors temporairement l’Algérie pour Tunis. A son retour, en 1963,  elle sera nommée infirmière au lycée de Biskra, la ville de Bachir son mari. Elle terminera sa carrière à Alger.

On ne sort pas indemne de la lecture d’un tel livre.

Bernard DESCHAMPS

27 octobre 2025

1-Six ans au maquis, Yamina Cherrad Bennaceur, El kalima éditeur, Alger, septembre 2017. Un grand merci à M. le Professeur Guy Dugas pour  m’avoir fait connaître ce témoignage.

2- Préface de M. Lamine Khene, ancien Ministre, Secrétaire général de l’OPEP 1973 et 1974.

3- Lire le récit de ma visite de la Ferme Améziane dans mon livre REVOLUTION (pages 19 à 21),  NOVEMBRE 2018, JE REVIENS D’ALGERIE.

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