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18 mars 2025 2 18 /03 /mars /2025 06:39

Par Salah Guemriche

Mouloud, Max, Marcel, Robert, Salah et Ali

Le 15 mars 1962, trois jours avant la signature desdits Accords, un commando de tueurs investit le siège des Centres sociaux et éducatifs, à El-Biar, arrondissement d’Alger. Six hommes en sont délogés, alignés dos au mur, avant d’être mitraillés. Six inspecteurs desdits Centres sociaux, créés par Germaine Tillion (ethnologue, ancienne résistante et ancienne déportée): Marcel Basset, Robert Eymard, Mouloud Feraoun, Ali Hammoutène, Max Marchand et Salah Ould Aoudia.

Trois Français, trois Algériens, dont la mort marquera à jamais l’ethnologue, qui écrira: «Entre l’écrivain Mouloud Feraoun, né en Grande Kabylie; Max Marchand, Oranais d’adoption et docteur ès lettres; Marcel Basset, qui venait du Pas-de-Calais; Robert Aimard, originaire de la Drôme; le catholique pratiquant Salah Ould Aoudia et le musulman Ali Hammoutène, il y avait une passion commune: le sauvetage de l’enfance algérienne – car c’était cela l’objectif des centres sociaux... Et c’était de quoi s’entretenaient ces six hommes, à 10 heures du matin, le 15 mars 1962…»

Parmi les victimes, il y avait donc l’écrivain Mouloud Feraoun. Celui à qui Albert Camus avait dit: «Lorsque deux de nos frères se livrent un combat sans merci, c'est folie criminelle que d'exciter l'un ou l'autre. Entre la sagesse réduite au mutisme et la folie qui s’égosille, je préfère les vertus du silence. Oui, quand la parole parvient à disposer sans remords de l'existence d'autrui, se taire n'est pas une attitude négative.»

Germaine Tillion était d’une autre trempe: elle avait pris le parti de ne pas se taire, et de porter haut le combat des Algériens. «Il se trouve que j’ai connu le peuple algérien et que je l’aime; il se trouve que ses souffrances, je les ai vues, avec mes propres yeux, et il se trouve qu’elles correspondaient en moi à des blessures.» Ce qu’elle appelle pudiquement «blessures» date de sa déportation en Allemagne nazie, au camp de femmes de Ravensbrück… Il n’y a pas eu que Germaine Tillion à s’être distinguée d’Albert Camus. Dès 1930, l’année du Centenaire de la conquête de l’Algérie, Henry de Montherlant, l’écrivain aristocrate, écrivait: «Un homme de qualité est toujours d’accord avec les indigènes, par-dessus ses compatriotes.» Camus versus Montherlant, ce que la critique littéraire n’a jamais jugé utile de rappeler. Mais c’est une autre histoire…

Trois jours après l’assassinat des six inspecteurs, les accords d’Évian sont signés. Dans Le Monde du même jour, Germaine Tillion écrira: «Mouloud Feraoun était un écrivain de grande race, un homme fier et modeste à la fois, mais quand je pense à lui, le premier mot qui me vient aux lèvres c’est le mot: bonté... C’était un vieil ami qui ne passait jamais à Paris sans venir me voir. J’aimais sa conversation passionnante, pleine d’humour, d’images, toujours au plus près du réel – mais à l’intérieur de chaque événement décrit il y avait toujours comme une petite lampe qui brillait tout doucement: son amour de la vie, des êtres, son refus de croire à la totale méchanceté des hommes et du destin (…)»

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