/image%2F1405552%2F20230522%2Fob_16b63b_345143781-1651114075335602-79426736746.png)
Chaque année au mois de mai, Lasalle accueille la foule des festivaliers dont l’écho des accents du monde entier, enchante la rue aux façades austères. Des groupes colorés, joyeux, stationnent aux entrées de la Filature, du Temple, du Foyer et de la Chapelle où sont projetés les films de cette 22e édition. Sur la place, les stands des associations nous permettent de nous restaurer en découvrant les spécialités locales. J’ai dégusté mercredi soir une délicieuse omelette aux champignons en compagnie d’un étudiant vietnamien descendu de Paris et d’une népalaise.
Fidèle à ses origines DOC-Cévennes est à l’écoute du Monde, de ses drames et de ses luttes. Ecoutons Laurence Barrau, au nom de l’équipe organisatrice : « En cette période de pertes - perte de confiance en l’avenir, perte d’acquis sociaux que l’on pouvait croire intangibles, perte de visions politiques… ne nous résignons pas. Souhaitons-nous plutôt l’abondance ! Abondance de luttes, de solidarités, d’utopies ! Abondance d’émotions partagées, de découvertes, d’ouverture au monde ! Abondance de convivialité et d’accueil dans un village et un environnement préservés ! »
Ce 22e Festival nous invite donc à la découverte de « l’autre », à travers une cinquantaine de films qui nous ouvrent une fenêtre sur une vingtaine de nations, Allemagne, Belgique, Biélorussie, Brésil, Burkina Faso, Canada, Colombie, Equateur, Espagne, France, Grèce, Inde, Irlande, Israël, Norvège, Palestine, Portugal, Suède, Suisse, Ukraine. Une abondance de documentaires suivis d’échanges avec les réalisateurs.
Et puis, et puis…des soirées musicales avec Les oiseaux du trottoir, DJ Tikimato, Phaos, Que tengo, Les Fanfarons de Lasalle. Une exposition de sérigraphe avec l’artiste plasticienne sardine.Na. Un espace de Libre Expression…
Lasalle n’est qu’à trois kilomètres de mon nid de verdure des Horts de Soudorgues, au pied de la Tour de Peyre. Je peux ainsi pleinement profiter du festival. Je ne pourrai cependant pas assister à toutes les projections dont les horaires se chevauchent. J’ai donc sélectionné huit films.
La vie de tempête de Marc Khanne, filmé pour l’essentiel à Toulouse, me replonge dans l’atmosphère des moments que j’ai passés avec les gilets jaunes sur le rond-point de Saint-Hippolyte-du-Fort. L’exaltation du combat commun, l’expérience de la solidarité, les échanges, les débats, la maturation politique, l’extrême-droite peu à peu isolée et l’émergence de revendications progressistes. A la même époque j’ai vécu le hirak en Algérie. Des similitudes au-delà des spécificités culturelles. Une différence de taille cependant entre l’un et l’autre. La répression brutale en France. La retenue de l’armée et de la police en Algérie dont l’Etat depuis se venge en poursuivant les activistes du hirak et en interdisant des médias. Ces deux mouvements historiques ont laissé une empreinte profonde dans les consciences ; ils ne seront pas sans lendemains.
Je ne connais pas la Colombie, mais sa situation m’interpelle. Dans ce pays d’Amérique latine, en bordure de l’Océan pacifique, les peuples autochtones ont été, à partir de 1499, décimés par la colonisation espagnole et refoulés dans la forêt amazonienne où leurs descendants s’efforcent de perpétuer leur culture ancestrale. Sergio Guataquira Samiernto, le réalisateur d’Adieu sauvage est l’un de ces Indiens qui a longtemps vécu en France et en Belgique. Il veut retrouver ses racines et filmer les membres de sa tribu d’origine, le peuple Cacua. Le dialogue avec l’un de ses parents, ancien officier de l’armée colombienne, resté au pays et très attaché à sa culture, est d’une rare humanité. Sergio découvre que, moqué par les Blancs parce que « trop indien », il est aux yeux de sa tribu « trop blanc pour être indien ».Une brève allusion aux FARC, nous renvoie à un épisode marquant de l’histoire de la Colombie et à Annehll69 du réalisateur Théo Montoya né à Medellin. Cette capitale ravagée par les guerres entre trafiquants de drogues, des années de dictature et de guerre civile, a, sur un fond de désespérance sociale, le record des morts violentes et des suicides, et une partie de la jeunesse cherche l’évasion dans les paradis artificiels. Ce sont ces jeunes, filles et garçons, que Théo Montoya a interrogés et filmés avec empathie, sans les juger, et qui nous disent leur espoir d’une autre vie. Une petite lumière s’était allumée avec l’accord pour un cessez le feu conclu en 1984 entre le gouvernement de Belisario Betancur et la gueriila communiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), issue des mouvements d’autodéfense paysanne des années 1930 contre les grands propriétaires terriens. Mais l’élection, par la suite, d’un président d’extrême-droite avait replongé la Colombie dans le désespoir. Depuis le 7 août 2022, la Colombie a pour la première fois un président de gauche, Gustavo Francisco Petro Urrego.
J’avais choisi deux films sur la Biélorussie où règne une dictature qui soutient la Russie dans son agression contre l’Ukraine : Motherland d’Alexander Mihalkovitch et Hanna Badziaka, et Belarus 23.34 de Tanya Svirepa. Le premier est la relation glaçante des sévices parfois mortels infligés aux jeunes soldats qui accomplissent leurs obligations militaires. Le second décrit la répression sanglante des importantes manifestations d’août 2020 pour des changements démocratiques.
J’étais curieux de faire la connaissance de l’œuvre du réalisateur israélien Avi Mograbi dont plusieurs films sont au programme. Comme de nombreux spectateurs, j’ai été désarçonné, intrigué et finalement séduit par Aoùt avant l’explosion dont le caractère burlesque n’en souligne que davantage la violence de la société israélienne que nous révèle la caméra. Pour un seul de mes deux yeux, film à mon sens plus abouti, nous montre l’omniprésence de l’armée et les humiliations infligées aux Palestiniens. Dans les écoles, dès leur plus jeune âge, les enfants sont conditionnés à tuer, au nom de la Thora. Mais comme l’explique, à juste titre, une intervenante dans le film, ce n’est pas la religion juive qui est responsable. Ce ne sont pas les Juifs qui sont responsables de l’occupation des territoires palestiniens, mais l’Etat d’Israël qui interprète et instrumentalise la religion. Le film se termine sur les images effrayantes d’un groupe de rock qui, devant une foule en transe, pour un seul de leurs deux yeux, appelle au meurtre contre les Arabes.
Les lecteurs de mon blog savent combien je suis préoccupé par la situation au Sahel et singulièrement au Mali et au Burkina Faso. J’attendais donc beaucoup de Si tu es un homme de Simon Panay. D’une grande délicatesse, sans pathos, ce film remarquable nous décrit la dangerosité de la tâche des ouvriers burkinabés qui vont sous terre, sans casque, pieds nus, dans des galeries non protégées, pour arracher à la terre quelques grammes d’or.
Opio, un adolescent de 13 ans, agile, décontracté, est employé en surface pour actionner le treuil artisanal - une simple corde - qui permet de descendre et de remonter les mineurs, mais son rêve est d’aller à l’école. Celle-ci malheureusement est payante et son père n’en a pas les moyens. Surmontant la peur que lui inspire « le trou », Opio obtient, malgré son âge, l’autorisation exceptionnelle de descendre, afin de gagner l’argent nécessaire. Le film de Simon Panay nous décrit les différentes phases de l’extraction de l’or : l’attaque de la roche aurifère au marteau et au burin, la remontée en surface des éclats de roche, leur broyage, l’amalgame de la poussière ainsi obtenue avec du mercure, le chauffage de cet amalgame pour faire évaporer le mercure dont les vapeurs sont hautement toxiques. Tout cela pour quelques grammes de métal précieux. Le rêve d’Opio ne pourra cependant pas se réaliser, il avait parait-il, trop de retard à rattraper à l’école. Il retournera à sa triste situation d’enfant de pauvre dans le pays que Thomas Sankara voulait sortir de la misère et de l’inculture.
J’ai relu à cette occasion son projet de réforme, Faisons de l’école nouvelle burkinabé une école par le peuple pour le peuple :
2.2.2. Une école révolutionnaire
“Elle devra déboucher sur sa transformation en un instrument au service de la révolution. Les diplômés qui en sortiront devront être, non au service de leurs propres intérêts et des classes exploiteuses, mais au service des masses populaires.” […]
L’école révolutionnaire qui sera mis en place s’imprégnera de la tradition de lutte patriotique et anti-impérialiste de notre peuple, dont elle vivra les réalités, partagera les peines et les victoires. Elle sera le foyer incandescent de révolutionnaires conscients et responsables, capables d’assumer la relève de demain dans la dignité et de s’associer en internationalistes prolétariens aux combats libérateurs des autres peuples.
2.2.4. Une école démocratique et populaire
Elle doit offrir des chances égales à tous les citoyens et permettre à chacun de s’instruire et de s’éduquer de façon permanente. À cette fin elle sera gratuite et obligatoire pour les enfants âgés de 3 (trois) ans révolus. Au regard de la situation actuelle, elle s’efforcera d’enrayer toutes les entraves sociales à un égal accès de la fille à l’instruction par rapport au garçon. Populaire, cette école bannira de son enseignement l’élitisme et prônera la promotion collective.
Thomas Sankara sera assassiné en 1987 et sa réforme ne sera pas mise en oeuvre.
Cette 22e édition du Festival international de documentaires de Lasalle fut une réussite. J’y ai vécu des moments d’une grande intensité. Que toute l’équipe de l’association Champ-contrechamp, la mairie de Lasalle, les collectivités et les organismes qui contribuent à son succès, en soient chaleureusement remerciés. Et à l’an prochain…
Bernard DESCHAMPS
22 mai 2023