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El Watan
LUNDI, 17 MAI, 2021
Maître Nasr Eddine Lezzar est un avocat d'affaires adversaire du pouvoir. BD
Nasr-Eddine Lezzar. Avocat : «La loi électorale du ‘‘renouveau national’’ laisse apparaître ses effets pervers »
La quasi-totalité des exclus aux prochaines législatives ont fait les frais de l’ordonnance n° 21-01 du 10 mars 2021 portant loi organique relative au régime électoral. Quelle critique faites-vous ?
C’est dans la mise en œuvre d’un texte que ses desseins cachés apparaissent. La loi électorale du «renouveau national» laisse apparaître ses effets pervers. L’article 200 de la loi électorale 2021 fixant les conditions de candidature contient un alinéa vaseux et fumant, selon lequel, «le candidat à l’Assemblée populaire nationale ne doit pas être connu de manière notoire pour avoir eu des liens avec l’argent douteux et les milieux de l’affairisme et pour son influence directe ou indirecte sur le libre choix des électeurs ainsi que sur le bon déroulement des opérations électorales».
Cette rédaction non rigoureuse, approximative, utilisant des termes imprécis, ouvre la voix aux subjectivités, aux appréciations discrétionnaires et arbitraires de l’autorité «indépendante». Et c’est là où commence l’abus de droit ! Cette commission procède à une présélection des candidats et décide avant le peuple. La responsabilité du rejet incombe exclusivement à l’Autorité indépendante et non aux services de sécurité.
La responsabilité historique de ces services incombe aux rédacteurs du texte. En faisant un peu de droit comparé, nous remarquons que l’article 200 de la nouvelle loi ressemble comme un frère jumeau à l’article 92 de l’ancienne loi électorale de 2016, à laquelle on ajoute la situation fiscale et la limitation des mandats.
Sauf que le nouveau texte insère la condition suscitée qui est, pour le moins, incongrue et emplie d’ambiguïtés. Que peut-on entendre par «notoirement connu» ? N’est-ce pas là une consécration de la «rumeur» comme base des décisions officielles.
La rumeur se crée et se manipule mais ne se prouve pas. «Avoir un lien avec l’argent douteux.» Comment déterminer ce lien et sa nature ? Et pourquoi faire droit au doute ? Où est la présomption d’innocence ? Les milieux de l’affairisme ? La formule est totalement floue. Doit-on exclure tous les candidats qui font du commerce et qui sont dans ce qu’on appelle «les affaires» ? «L’influence directe ou indirecte sur le libre choix des électeurs ?» Cette dernière formule est plutôt cocasse ; le candidat ne doit pas avoir la capacité de convaincre les électeurs.
Enfin, pourquoi écarter quelqu’un qui influe sur le bon déroulement des élections. On devrait garder uniquement les personnes qui n’ont aucun impact sur les électeurs.
Vous avez affirmé que la disposition légale qui a permis le rejet des candidatures par la commission indépendante n’existait pas dans l’ancienne loi électorale ! Doit-on conclure à un recul des garanties pour des élections propres et honnêtes ?
En effet, tout porte à le croire ! La représentativité dans les institutions élues doit attendre une autre phase historique.
Est-il possible aux candidats aux élections et d’autres d’obtenir une copie des rapports de sécurité et connaître officiellement la ou les raisons du rejet, sachant qu’auparavant plusieurs cadres ont été victimes de faux rapports ?
Je dois d’abord vous dire que nous ne connaissons pas les véritables fondements sur lesquels la commission s’est basée pour avoir une conviction de l’opportunité d’écarter tel ou tel candidat. Cependant, sur le plan juridique, les rapports des services de sécurité ne sont pas évoqués dans le texte de la loi électorale. Ces rapports ne sont pas des documents contradictoires, c’est-à-dire portés à la connaissance des intéressés, pour qu’ils soient discutés, critiqués, corrigés, contredits ou validés par la personne concernée. Ils n’ont pas, non plus, de valeur juridique contraignante.
Cependant, si la commission des élections s’y réfère, cela doit être dû au fait que sa composante a évolué dans un système et une culture d’un Etat policier. Car rien dans le texte de la loi électorale n’indique l’utilisation d’une pareille source et la force probante qu’on doit lui donner.
C’est avec les prééminences des infirmations et décisions policières que se construit un Etat policier. Tout part de la police et tout finit chez elle. En définitive, l’utilisation et l’exploitation des rapports des services de sécurité pour l’admission des candidatures ne sont pas tant un problème de textes qu’un problème de personnes et de culture.
Les rapports des services de sécurité ne sont évoqués nulle part dans la loi et ne sauraient constituer une base légale de rejet d’une candidature. Cette pratique est aussi une survivance, une réminiscence de l’état d’urgence que nous avons vécu depuis des années et qui se caractérise par une extension des pouvoirs de police. Pour ceux qui s’en souviennent – c’était et c’est, peut-être encore et toujours, la période du tout sécuritaire, où le moindre recrutement d’un agent dépendait d’un avis favorable des services de sécurité.
En outre, et c’est plus grave, l’introduction de cette règle dans la culture du système provenait du sommet de l’Etat ! Je garde toujours en mémoire une des premières interviews de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika.
Un journaliste l’interrogeait sur les raisons du retard du mouvement des magistrats qui, traditionnellement, se déroulait au mois de juin. La réponse fut simple, glaçante et cinglante : «Nous attendons les rapports des services de sécurité.»
Pourquoi l’ex-président de la République ne s’était pas référé aux structures compétentes du ministère de la Justice et au Conseil supérieur de la magistrature ? La messe était dite ; la carrière des magistrats, théoriquement indépendants, socle de l’Etat de droit, se trouvait suspendue à un rapport des services de sécurité.
Le président de la République, garant de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice, informait les juges que l’évolution de leur carrière était tributaire de l’appréciation des services de sécurité. Cette réponse du Président à l’amorce de son mandat soumettait l’Etat de droit à l’Etat policier. Cela dura 20 ans et semble perdurer.
Pourquoi ne pas ouvrir la voie à la réclamation ou au recours contre la décision de rejet devant les services de sécurité puis dvant les tribunaux compétents, avant que l’occasion ne soit perdue, notamment pour les postulants aux postes à hautes responsabilités ?
On fait un recours contre des décisions de nature juridique. Or, les rapports des services de sécurité, qui sont parfois bien élaborés, ne constituent pas des actes juridiques. Il n’est pas question, et ce serait trop grave, de faire un recours contre les rapports des services de sécurité qui ne sont pas des éléments du dossier de candidature.
La commission indépendante décide et tranche sur pièces. Elle évalue le dossier et décide uniquement sur la base des documents, exigés par la loi, dans le dossier de candidature, sans plus. Toute décision de nature administrative qui n’est pas fondée sur une base légale, c’est-à-dire un motif prévu par la loi et prouvé par des moyens probants, est un excès de pouvoir.
Mais est-ce que la commission indépendante n’est pas une garantie contre les dérives probables que vous présentez ?
La première condition de nature à garantir l’indépendance d’une commission est la protection de ses membres par le principe et la règle de l’inamovibilité durant leur mandat. Or, il y a quelques jours, nous avons appris que des membres de ces commissions ont été remerciés et remplacés sans motif, sans explication, sans aucune forme de procès.
Il semble très difficile de soutenir qu’une personne peut être indépendante et souveraine dans ses décisions alors que son statut et sa carrière sont suspendus à une décision arbitraire non motivée.
Propos recueillis par M.-F. Gaïdi