Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 avril 2021 1 12 /04 /avril /2021 12:52

   

L’article que l’hebdomadaire français Le Point-Afrique publie dans son numéro du 6 avril sous la signature de Nicolas Normand est une charge contre l’ACCORD POUR LA PAIX ET LA RECONCILIATION AU MALI ISSU DU PROCESSUS D’ALGER.

Qu’en est-il réellement ?

   Une première remarque, l’insécurité au Sahel ne date pas de 2015. Rappelons en effet que c’est en 2013 que François Hollande engagea l’opération militaire française Serval contre les groupes armés qui se réclamaient du djihad. Et depuis lors, en dépit des importants moyens humains et matériels déployés sur le terrain, la situation n’a cessé de s’aggraver. Le Secrétaire général de l’ONU Antonio Gutteres lui-même déclarait le 25 septembre 2019 : « Dans les seuls pays du G5-Sahel (Burkina-Faso, Mali Mauritanie, Niger, Tchad) le nombre de morts civils entre 2012 et 2018 a été multiplié par quatre. Plus de 5 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire, plus de 4 millions ont été déplacées, 3 millions d’enfants ne sont pas scolarisés et près de 2 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire. »(1)

   De janvier 2013 au 27 mars 2021, 55 militaires français ont trouvé la mort au cours des opérations Serval et  Barkhane. Le 2 avril, quatre Casques bleus tchadiens ont été tués et 19 autres blessés dans une attaque contre un camp de la Minusma à Aguelhok, dans la région de Kidal.

   Les opérations militaires n’ont rien résolu et elles sont mal reçues par les populations: « Les forces étrangères au Sahel sont  de plus en plus contestées » écrivait le journal  La Croix le 5 novembre 2019, qui ajoutait que  dans la population : « ils sont de plus en plus nombreux à demander le départ des 4.500 soldats de l'opération Barkhane déployés au Sahel, des 13.000 Casques bleus de la Minusma au Mali et d'autres partenaires présents, tous déployés au nom de la lutte antiterroriste et de la protection des civils. »

   Misère endémique, pillage des ressources naturelles par des multinationales occidentales, occupation militaire étrangère, mauvaises gouvernances locales, corruption…Ces séquelles de la colonisation sont le terreau sur lequel se développent les groupes terroristes. Ces maux ne peuvent pas être guéris par les armes, mais par des politiques de développement économique, social, culturel et démocratique. C’est ce qu’avait décidé – outre le désarmement des groupes armés et leur intégration dans l’armée nationale du Mali - l’Accord d’Alger (2) conclu entre l’Etat du Mali et la Coordination des Mouvements de l’Azawad composée du Mouvement National pour la Libération de l'Azawad (MNLA), du Haut Conseil pour l'Unité de l'Azawad (HCUA) et d’une aile du Mouvement Arabe de l'Azawad (MAA).

L’article du Point dénonce :

   « La montée en puissance de la nébuleuse djihadiste depuis la signature de l'accord d'Alger en 2015, malgré la présence de Barkhane, (qui) ne paraît pas être ainsi une simple coïncidence mais au moins en partie l'effet des conséquences de l'accord.»  

   A l’appui de ses affirmations, Le Point fait référence à la Résolution 2374 adoptée par le Conseil de sécurité le 5 septembre 2017 et aux rapports des experts de l’ONU. Cette résolution indique au contraire que l’Accord d’Alger représente : « une occasion historique d’installer durablement la paix au Mali » et salue « le rôle joué par l’Algérie ».  La Résolution mentionne il est vrai « les violations répétées des dispositions du cessez-le-feu par les groupes armés des coalitions Plateforme (loyaliste,ndlr)(3) et Coordination (rebelles signataires de l’Accord d’Alger, ndlr) » et «l’intensification des activités criminelles telles que le trafic de drogues et la traite d’êtres humains dans l’ensemble du pays.» Selon l’article du Point, cette situation serait due à la « compétition économique, politique et militaire entre les communautés locales qui a contaminé la région » en raison de : « l'attrait que constitue le statut d'ex-combattant pour bénéficier des gratifications prévues par l'accord (de désarmement des groupes armés, ndlr) ».

Les textes officiels et diverses études démentent ces affirmations

    J’ai consulté les textes de l’ONU  et notamment le Rapport final des experts du 6 août 2019. Le rédacteur de l’article du Point l’interprète à sa façon, à moins qu’il ne l’ait pas lu. Si les actions terroristes se sont multipliées, ce n’est pas à cause de l’Accord mais parce que celui-ci n’a pas été appliqué dans ses aspects essentiels : démocratisation des institutions et mise en œuvre d’une politique de développement économique, social et culturel du Nord-Mali. Les experts portent à cet égard une accusation grave contre l’Etat malien : « Le Fonds pour le développement durable est le principal mécanisme de financement de la zone de développement des régions du nord […] il était déjà inscrit au budget des dépenses publiques destinées à la mise en œuvre de l’Accord au cours de la période 2015-2017. Il ressort des enquêtes menées par le Groupe d’experts sur les dépenses du Ministère de l’économie et des finances que celui-ci a, par le passé, maquillé les dépenses, abusant les mouvements signataires et les donateurs internationaux et entravant la mise en œuvre de l’Accord. »

     Une étude (4)  réalisée par  Mathieu Pellerin, chercheur associé au Centre Afrique Subsaharienne de l'Ifri,  à partir des documents recueillis par la Fondation Carter (5) et publiée par Crisis Group le 20 juin 2020 apporte des précisions complémentaires.

   D’une part, le désarmement des ex-combattants et leur intégration dans l’armée régulière est très loin des objectifs fixés par l’Accord et surtout – je cite – « le processus de mise en œuvre de l’accord ne progresse quasiment pas : 22 pour cent des dispositions de l’accord étaient mis en œuvre en 2017, contre 23 pour cent trois ans après. Aucun des cinq piliers sur lesquels se fonde l’accord n’a été appliqué de façon satisfaisante […] Aucune des réformes politiques d’envergure relatives aux « questions politiques et institutionnelles » (titre II de l’accord — le titre I concerne les principes généraux), à commencer par la réforme de la régionalisation, n’a été entreprise jusqu’ici […] Les volets « Développement » (Titre IV) et « Réconciliation » (Titre V) restent quant à eux les parents pauvres de l’accord. Rien ne laisse présager un décollage économique réel du Nord »

   Pour bien comprendre l’importance que revêtirait cette politique de développement pour les régions du Nord, voici selon l’Accord d’Alger la destination de ces crédits :

"Article 38 : La Zone de Développement des Régions du Nord bénéficiera, de façon prioritaire, des dispositifs de soutien de l’Etat prévus dans le présent Accord […] tels que convenus et concernant notamment les domaines suivants :

- services sociaux de base;

- développement des ressources humaines;

- sécurité alimentaire;

- développement rural (agriculture, élevage et activités pastorales);

- infrastructures structurantes, en vue d’assurer le désenclavement des régions du Nord;

- mines et énergie solaire;

- emploi, en particulier pour les femmes, les jeunes et les anciens combattants

- création d’entreprises locales;

- réinsertion et réhabilitation des rapatriés, des personnes déplacées et autres groupes vulnérables;

- artisanat, tourisme, commerce et communications; et

- éducation et culture.

Article 39 : Les Parties conviennent, s’agissant des domaines de l’éducation et de la culture, de prendre les mesures suivantes :

- adaptation des programmes d’enseignement aux réalités socioculturelles des régions;

- promotion des langues et écritures locales;

- renforcement du système d’enseignement primaire et secondaire avec une  attention particulière à l’éducation pour tous;

- création d’institutions d’enseignement supérieur;

- création de centres culturels et de musées régionaux ; et

- promotion des cultures de ces régions aux niveaux local, national et international" 

   En passant sous silence ces retards dans mise en œuvre de l’Accord et en mettant l’accent unilatéralement sur le développement des actions terroristes, tout se passe comme si Le Point tentait d’apporter une justification politique et morale à l’intensification des opérations néocoloniales de guerre décidée par Macron (6). Car, ne nous y trompons pas, le président Macron loin de se désengager comme le prétendent ses laudateurs, accentue les opérations militaires au Sahel, mais en les « sous-traitant » sous sa direction à des contingents étrangers,  comme l’expose de façon détaillée une remarquable étude du Monde diplomatique d’avril dernier. (7)

Bernard DESCHAMPS

12 avril 2021

1-Sahel : « Nous sommes en train de perdre du terrain face à la ...https://news.un.org › story › 2019/09

2-Lire une analyse de l’Accord dans REVOLUTION, Bernard Deschamps, juillet 2020, pages 249 à 252.

3-Plateforme loyaliste : GATIA (Groupe d’Autodéfense Touareg Imghad et Alliés), MAA ( aile loyaliste du Mouvement Arabe de l’Azawad), CM-FPR ( Coordination des Mouvements et Front Patriotique de Résistance).

4- Mathieu Pellerin | Crisis Group  https://www.crisisgroup.org  

5-Site web de la Fondation Carter : www.cartercenter.org

6- Curieusement, la revue marxiste Recherches internationales (n°118, janvier-mars 2020) sous la plume d’André Bourgeot, critique elle aussi l’Accord d’Alger, en voyant dans la prise en compte  à mon sens justifiée des spécificités culturelles du Nord-Mali, un risque de «territorialisation de l’ethnicité ». L’auteur pense que ce «  fédéralisme larvé » est un « agent de renforcement des dynamiques néolibérales ».

 Sur mon blog/ www.bernard-deschamps.net, 1er octobre 2020.

7-Au Sahel la France sous-traite sa guerre, par Roman Mielcarek, Le Monde diplomatique, avril 2021.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : ww.bernard-deschamps.net
  • : Blog consacré pour une grande part aux relations entre l'Algérie et la France.
  • Contact

Recherche

Pages

Liens