
Arrière-arrière-petit-fils de chouan (je conserve un diplôme sur parchemin de Louis XVIII attestant que mon ancêtre Jean-Baptiste Bazin a combattu « avec valeur dans ses armées royales de l’Ouest ») et marié à une cévenole descendante de Camisards, j’ai lu avec intérêt l’ouvrage de Philippe Joutard et de Jean-Clément Martin (Alcide éditions, octobre 2018).
Les lieux cités dans cet ouvrage évoquent pour moi de nombreux souvenirs personnels, du « bressuirais » dans les Deux-Sèvres où j’ai enseigné à ma sortie de l’Ecole normale d’instituteurs, à Thouars où j’ai vécu mes premières amours, à Lasalle et Soudorgues dans les Cévennes, berceau des familles Agulhon-Mourgues où nous possédons, au pied du Fageas, la petite maison de la grand’mère que nos enfants adorent.
Je suis particulièrement sensible à ces deux mémoires si différentes en dépit de leurs points communs. A Amailloux dans les Deux-Sèvres où j’ai passé la plus grande partie de mon enfance, à quelques kilomètres de Saint-Aubin-de Baubigné le village de naissance du jeune chef chouan* Henri de La Rochejaquelein, le prêtre qui nous enseignait le catéchisme – pendant la 2e guerre mondiale - exaltait les sacrifices des « martyrs de la foi » qui avaient combattu la République. Les croix nombreuses qui, dans la forêt et à l’intersection des chemins creux, perpétuent le souvenir de combats me faisaient rêver. J’avais de la sympathie pour ces gueux armés de faux et de fourches mais j’admirais Barra transpercé pour avoir crié Vive la République. Mes héros étaient Hoche et Kléber plutôt que La Rochejaquelein. Au fond cette contradiction était le reflet de l’histoire d’un peuple de paysans qui avant même la prise de la Bastille s’étaient emparé des châteaux puis s’étaient dressés à partir de 1793 contre la République quand celle-ci s’en était pris à leur religion.
Dans les Cévennes et auprès de ma belle-famille, j’ai fait la découverte de l’épopée des Camisards, ces « fous de Dieu » qui engagèrent le combat contre les dragonnades lancées par Louis XIV pour leur faire abandonner la « prétendue religion réformée ». Les Camisards ne récusaient pas le pouvoir royal, ils combattaient pour la foi. Toutes les familles, c’est notre cas, ont conservé des Bibles de cette époque et des miroirs qui servaient à les cacher. Nombreuses sont les demeures où étaient aménagées des caches qui abritaient les prédicants pourchassés et, au cours de mes randonnées, je traverse des lieux isolés – le Désert en référence au récit biblique de la « Fuite en Egypte » - où étaient célébrés les cultes clandestins. Le Musée du Désert à Mialet est aménagé dans un de ces lieux et chaque année s’y tient un rassemblement de plusieurs milliers de Huguenots.
« Les Vendéens ou Cévenols en armes sont tout à la fois, paysans et artisans. Travailleur un jour, combattant un autre. Mais alors que les Cévenols n’ont que des gens de petite condition à leur tête (Cavalier est un garçon boulanger et Rolland un ancien cardeur), les Vendéens vont chercher nobles et notables pour les diriger : Henri de La Rochejaquelein (comte) ou Charles Sapinaud (baron) sont quelques-uns de ceux- là, même si le premier généralissime est le voiturier Cathelineau. » (P.132)
Dans les deux cas, la répression fut terrible: les « colonnes infernales » tuèrent, pillèrent, violèrent dans les départements de l’Ouest où elles firent 200 000 victimes (autant que la décennie noire des années 80-90 en Algérie, comme quoi aucun peuple n’est à l’abri d’un tel drame) et les « dragonnades » semèrent la terreur dans les Cévennes moins peuplées où elles firent 15 à 20 000 morts.
« Deux guerres contre l’Etat mais deux mémoires politiques divergentes : si Camisards et Vendéens se sont opposés à la violence d’Etat dans un élan commun, les premiers sont sortis des marges de l’histoire en épousant la Troisième République. Les seconds n’ont pu qu’entretenir des rapports conflictuels avec cette République qui les considère toujours comme trop catholiques alors que pour les Vendéens, la République est toujours trop jacobine et trop anticléricale. […] La mémoire camisarde devient le modèle de toutes les résistances face à l’oppression : que ce soit la pacifique Marie Durand face à la royauté ou les justes face à la barbarie nazie. » (P.136)
La guerre des Camisards fait partie de la geste révolutionnaire.
La Résistance au nazisme fut très active dans la montagne cévenole où "maquisard" rimait avec "camisard". Pendant la guerre d’Algérie, c’est dans les communes gardoises où l’influence des Protestants et celle des Communistes était prépondérante que la lutte contre le départ des jeunes français rappelés sous les drapeaux fut la plus vive : Alès et le bassin minier, le Piedmont cévenol, Nîmes, la Vaunage et le secteur Vauvert, Aigues-Mortes. Dans les années 80, les mineurs de charbon de Ladrecht se réclamaient des Camisards et, de nos jours, les migrants sont chaleureusement accueillis dans les communes cévenoles, comme à Lasalle, Monoblet et Soudorgues où un jeune Afghan est boulanger-pâtissier.
Dans les deux situations, le peuple s’est dressé pour défendre sa foi religieuse. J’en ai conservé, ancré en moi, un attachement viscéral à la liberté de conscience et la conviction qu’un Etat qui la remet en cause n’en sortira jamais vainqueur.
Bernard DESCHAMPS
10 décembre 2018.
* Du cri de ralliement qui imite celui du chat-huant.