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28 octobre 2018 7 28 /10 /octobre /2018 09:38

 

  

L’usure des mots endort notre sensibilité et brouille le sens des choses. Ainsi du mot « génocide » et singulièrement lorsqu’il s’agit du Rwanda.

Le livre refermé (Grasset et Fasquelle, 2016), j’en sors bouleversé par le récit de Gaël qui a vécu ces évènements tragiques au Burundi ce petit pays de 28 000 km2 voisin du Rwanda avec lequel il partage la même population.

   Gaël Faye vit en France où il a désormais fait sa vie, mais contrairement à sa sœur Ana qui ne veut plus entendre parler de cette époque, il a éprouvé le besoin de revoir « son » pays : « Il m’obsède ce retour. Pas un jour sans que le pays ne se rappelle à moi. » Et l’on va vivre à son rythme avec le regard d’un enfant de onze ans, la montée des haines qui culminera avec les trois mois d’horreur qui suivront la mort des présidents du Burundi et du Rwanda dont l’avion a été abattu le 6 avril 1994.

   Comment en est-on arrivé là ? Le père de Gaël lui avait expliqué : « au Burundi c’est comme au Rwanda. Il y a trois groupes différents, on appelle ça les ethnies. Les Hutu sont les plus nombreux, ils sont petits avec un gros nez […] les Tutsi ils sont grands et maigres avec des nez fins et on ne sait jamais ce qu’ils ont dans la tête. Il y a aussi les Twa, les pygmées.» Démonstration éminemment scientifique  pour expliquer cette haine en occultant la responsabilité du colonialisme.

   Dans ce pays si beau au bord du lac Tanganyika où poussent les hibiscus et les bougainvilliers et qui fournit à profusion les mangues juteuses, il ferait si bon vivre. Les Burundais avaient eu un avant- goût du bonheur à l’occasion des premières élections libres le 1er juin 1993 qui avaient vu la victoire du FRODEBU après trente ans de règne de l’UPRONA… «  C’était un matin comme les autres. Le coq qui chante. Le chien qui se gratte derrière l’oreille. L’arôme du café qui flotte dans la maison. Le perroquet qui imite la voix de papa […] Pourtant c’était une journée historique. » Avec des scènes de liesse mémorables. Ce processus sera interrompu par le coup d’Etat du 21 octobre 1993 dont l’annonce à la radio sera accompagnée de la diffusion du Crépuscule des Dieux.

   Les enfants durant tout ce temps vivent leur propre vie entre l’école, les chapardages, les baignades, les conciliabules dans leur repaire, un Combi Volkswagen. Dans des pages émouvantes, Gaël nous raconte l’épisode du vol de son vélo neuf qui est passé de main en main avant d’atterrir dans une famille pauvre dont le père a sacrifié ses économies pour acheter à son fils ce vélo volé dont il ignore la provenance. Une expédition punitive permettra à Gaël de le récupérer sans égard pour la douleur de l’enfant. Il conservera comme une blessure intime le sentiment d’avoir été le responsable de la souffrance infligée et d’une impardonnable injustice.

  Ce récit traversé d’épisodes terribles mais comme toute vie jalonné de moments de bonheur, de petites et de grandes joies, est écrit dans un style qui enchante la langue comme seuls les auteur(e)s africain(e)s savent le faire qui écrivent dans un français poétique, coloré, musical : « Les nuages sont des moutons dans une prairie d’azur. »

Certains personnages sont décrits avec une verve réjouissante comme ce bourgmestre, dont le « ventre était tendu et consistant comme celui d’une femme enceinte arrivée à terme. Il avait l’allure d’une calebasse, le bourgmestre. » Ou encore ce personnage un peu fou mais si sympathique surnommé Gorbatchev en raison d’une tache sur le front et qui parcourait le village en récitant des vers de Ronsard. Sans compter les soûlards qui  tout en buvant leur bière dans l’ombre propice du cabaret « décapsulaient leurs pensées. »

    La relation des trois mois d’horreur au cours desquels avec la complicité de la France * 800 000 Tutsi seront exterminés, décapités, démembrés, n’en sera que plus terrible. Les enfants eux-mêmes en réaction au massacre de leurs parents, de leurs amis, assassineront à leur tour avec une cruauté inouïe. Gaël, cédant au chantage de ceux qui menacent son père et sa petite sœur Ana, se résoudra à jeter un briquet enflammé dans la voiture où est enfermé un otage entravé. Il en restera marqué sa vie entière. De même que sa maman Tutsi d’origine qui n’ayant pu sauver ses neveux sombrera dans la folie.

   La vie aurait pu être si belle, telle qu’il l’imagine dans sa dernière lettre adressée du Burundi à Laure sa correspondante française :

« Des colombes s’exilent dans un ciel laiteux. Les enfants des rues décorent des sapins de mangues rouges, jaunes et vertes. Les paysans descendent tout schuss de la colline à la plaine, dévalent les grandes avenues dans des luges de fil de fer et de bambou. […] Les sôulards du cabaret boivent au grand jour un lait chaud dans des calices de porcelaine. Le ciel démesuré s’emplit d’étoiles, qui clignotent comme des illuminations de Times Square. Mes parents survolent une lune eucharistique, à l’arrière d’un traîneau tiré par des crocodiles givrés. A leur passage, Ana jette sur eux des poignées de sacs de riy humanitaire. »

 L’auteur Gaël Faye nous délivre en conclusion cette profession de foi de Jacques Roumain : « Si l’on est d’un pays, si l’on y est né, comme qui dirait natif-natal, eh bien on l’a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes… »

  Un grand merci à L… pour avoir attiré mon attention sur ce livre émouvant et beau.

Bernard DESCHAMPS

28 octobre 2018

modifié le 29/10/2018

 

*La coopération militaire entre la France et le Rwanda remonte à 1975. La France a apporté un soutien militaire, financier et diplomatique au gouvernement hutu de Juvénal Habyarimana contre le Front patriotique rwandais, dominé par les Tutsi pendant la guerre civile rwandaise débutée en 1990. Elle est soupçonnée d'avoir poursuivi ce soutien pendant1 le génocide des Tutsi au Rwanda, à la suite de l'attentat du 6 avril 1994 qui coûta la vie aux présidents rwandais Juvénal Habyarimana et burundais Cyprien Ntaryamira. L'ampleur de ce soutien et son impact sur le génocide font l'objet de vives controverses, en particulier entre les gouvernements français et rwandais et continuent d'influencer les relations diplomatiques entre les deux pays.

Le gouvernement français a jusqu'à présent rejeté toute responsabilité dans le génocide, tout en admettant à partir de novembre 2007 que des « erreurs politiques » avaient pu être commises qui ont empêché de prévenir ou d'arrêter le génocide. Divers témoignages apportent la preuve de la complicité de l'armée française.

Le lac Tanganyika

Le lac Tanganyika

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