
« Jamais l’espèce humaine ne poussa contre la mort cri plus triomphal et plus sonore. » écrivait en 1943 le poète Robert Desnos à propos de Pablo Picasso.
C’est ce cri que nous a donné à entendre du 15 juin au 23 septembre, le Musée Fabre de Montpellier dans une foisonnante exposition.
Comme à chaque rencontre avec ses œuvres, j’en sors ébloui, bouleversé. « La réalité doit être transpercée » disait Picasso. Je vois après cette visite la réalité sous un autre jour. Plus riche. De la période bleue à ses œuvres ultimes, quelle force, quel élan de vie !
Les tableaux exposés correspondent à 14 périodes d’intense créativité sélectionnées par Michel Hilaire, directeur du musée et Stanislas Colodiet, commissaire de l'exposition. Les habitués de l’Hôtel Salé ont revu avec plaisir La Flûte de Pan (1923), Grand nu au fauteuil rouge (1929), Femme assise aux bras croisés (1939) et découvert des œuvres prêtées par de grandes institutions françaises et étrangères : Le Peintre et son modèle (1964, coll.privée) ; Femmes d’Alger (1955, Nahmad collection) ; Grand nu (1963, Kunsthaus Zurich) et par les Musées Picasso d’Antibes et de Barcelone, le Métropolitain Museum of Art New York, la National Gallery of Art, le Musée Berggruen de Berlin…ainsi que des collections privées. « Au total plus de cent-vingt œuvres de toutes natures – tableaux, sculptures, dessins, estampes, céramiques… » .
Il faudrait les citer toutes. Arbitrairement j’ai fait le choix de cinq d’entre elles qui m’ont particulièrement accroché.
Jeune garçon au cheval (1906). « L’humanité » de la tête du cheval et son élégance. L’incroyable équilibre du garçon, jambes allongées de part et d’autre de sa monture.
Femmes d’Alger d’après Delacroix (1955). Je connais les deux tableaux de Delacroix qui ont inspiré Picasso (l’un à Montpellier, l’autre au Louvre) intitulés Femmes d’Alger dans leur appartement que j’ai commentés sur ce blog. Enfermées, ces femmes ont un regard mélancolique mais elles ont beaucoup de charme et sont d’une grande dignité. Chez Picasso – je vais me faire des ennemis – je ne sens pour ces femmes aucune empathie. L’une d'elles est d’une terrible froideur, l’autre est réduite à son sexe. Picasso n’est jamais allé en Algérie ni dans aucun autre pays du Maghreb ou d’Orient. Est-ce la raison de cette copie sans âme ?
Arlequin musicien (1924).Un feu d’artifice. Une explosion de couleurs.
Homme à la guitare (1912). C’est une composition harmonieuse de cubes de couleur marron qui représente un homme debout dont on devine les membres et le visage avec des lèvres et un œil.
Femme à la mèche. J’ai été intrigué par le regard de cette femme de la période bleue. De prime abord c’est un regard triste et résigné. Très intérieur. Mais si l’observation se prolonge on finit par deviner une petite lumière à peine esquissée, comme un soupçon de moquerie. Cette femme n’est pas au fond du trou. Comment un peintre peut-il rendre des nuances aussi ténues ? D’autres regards m’ont captivé. L’œil provocateur du Mousquetaire aux oiseaux (1972). Le regard joyeux du Portrait de Marie-Thérèse (1937). Le regard vide d’une des 3 femmes à la fontaine. Le regard interrogatif bien que stylisé car réduit à un seul trait ovale dans l’étude pour Les Demoiselles d’Avignon (1907). L’insupportable tristesse des regards dans Le repas frugal (1904). L’œil noir du Peintre et son modèle (1964).
« La vérité que Picasso essaye d’arracher de nos visages, de nos expressions, de nos mots - écrivit Hélène Parmelin*-, c’est la seule chose qui l’intéresse venant de nous : la nôtre. »
Ainsi Picasso a contribué à modifier notre regard sur le monde. Au-delà des apparences, à le voir dans ses contradictions. Il n’a pas révolutionné que la peinture !
Bernard DESCHAMPS
22 septembre 2018
*Hélène Parmelin, Picasso sur la place, société d’édition Les belles lettres, 2013, page 164.