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El Watan, quotidien algérien
La chaîne Histoire refait à sa façon l’histoire de l’Algérie française
le 10.04.16
Huit soirées complètes consacrées à l’Algérie d’avant- indépendance jusqu’à la libération nationale, c’est une première pour une chaîne de télévision française. Deux hebdomadaires de droite accompagnent le mouvement de la chaîne Histoire dans sa semaine Spécial Algérie, qui devait débuter hier soir, Le Figaro Magazine qui reconsidère l’indépendance façon «erreur fatale», comme si nous étions en 1962. Et Valeurs Actuelles, la voix de l’extrême droite, dont le contenu renvoie à des heures sombres. Au programme, depuis hier soir et jusqu’à samedi prochain, il y aura cependant de belles choses à voir ou revoir, entre autres La Bataille d’Alger de Pontecorvo (rarement télédiffusé) ou, mardi soir, Le Fusil de bois, un film de Pierre Bellerive et, vendredi soir, un documentaire de Marie Colonna et Malek Bensmaïl : 1962, de l’Algérie française à l’Algérie algérienne.
Hélas, cette initiative, qui permet à une mémoire encore vive de s’exprimer utilement et de donner une large place à ce conflit majeur du XXe siècle, se heurte à une limite imparable : la connotation à charge contre l’Algérie combattante qui a rejeté la soumission coloniale longue de 130 ans. Le regard est au contraire tendance Algérie française teinté de regrets de la colonisation, même si l’analyse, 54 ans après le cessez-le-feu, reste ouverte et nourrit de nombreux témoignages dans lesquels chacun fera le tri en fonction de son histoire personnelle. Cela n’empêche pas que prime, au vu du programme, un regard nostalgique dans le sens «avant, c’était mieux ou on aurait pu éviter cela», si «on n’avait pas fait des erreurs». Cette dérive qui gâche tout ne doit rien au hasard, car la chaîne est dirigée par le très droitier Patrick Buisson, ancienne éminence grise de l’ancien président Nicolas Sarkozy. C’est lui qui lui avait conseillé, en avril 2012, pendant la campagne présidentielle, d’inclure dans son programme politique de réélection la dénonciation des Accords d’Evian. Celui qui était alors chef de l’Etat pour quelques jours encore avait renoncé, suscitant l’ire de Buisson, d’après les journalistes Ariane Chemin et Vanessa Schneider qui, en 2015, ont publié un livre sur l’ex-conseiller de Sarkozy sous le titre Le mauvais génie (éditions Fayard). Cette année, il y a un mois, le même Nicolas Sarkozy avait été le plus virulent à protester contre la décision inédite du président François Hollande de commémorer l’anniversaire du 19 Mars. La filiation est donc intacte.
EXACERBER DES PASSIONS
Ainsi, à côté des documentaires sur la guerre d’Algérie à découvrir, car tout le cheminement de la colonisation à l’indépendance y est exposé, la chaîne entend malheureusement réécrire l’histoire en faisant croire que l’Algérie coloniale était une félicité pour tous et qu’elle n’aurait jamais dû prendre fin. On y rouvrira des plaies que certains veulent faire renaître non pour trouver des réponses aux questions légitimes que tout conflit génère - surtout qu’en Algérie il a commencé en 1830 -, mais pour exacerber des passions inextinguibles. On parlera, pendant cette semaine télévisuelle, de la politique gaulliste, venue pour régler le problème d’une Algérie pour tous - comme si un jour elle aurait été possible ! - et qui aboutit à l’autodétermination, puis à l’indépendance ; on rappelle le sort des disparus, notamment des soldats ; on donne la parole sans gêne à l’OAS ; les rapatriés et les harkis parlent de leurs blessures sans se soucier vraiment des centaines de milliers de martyrs algériens. Et on réécrira la Bataille d’Alger version «para», avec notamment un docu sur Bigeard.
Parmi les moments-clés, mercredi dernier : Les dieux meurent en Algérie - la guerre des combattants, un documentaire inédit projeté à Paris en avant-première dans une salle où tout le gratin de l’extrême-droite était présent… C’est dire.
Walid Mebarek