/image%2F1405552%2F20251010%2Fob_8b3811_r1.jpeg)
Quand la fiction s’empare de la réalité pour l’éclairer. La réalité, ce sont les 800 000 morts du génocide des Tutsi au Rwanda entre le 7 avril et le 17 juillet 1994. (2)
Le Rwanda est un petit pays de l’Afrique de l’Est subsaharienne, de 26 338 km2 et de 7 millions d’habitants en 1994, 14 millions aujourd’hui, surnommé le « pays des mille collines », où vivent principalement deux ethnies, les Hutu et les Tutsi ; limitrophe de l'Ouganda, de la Tanzanie, du Burundi et de la République démocratique du Congo. Sa capitale est Kigali.
Les Tutsi étaient stigmatisés, en particulier au travers de la Radio télévision privée des Mille Collines, et il est prouvé que des listes de Tutsi à éliminer avaient été établies par les extrêmistes Hutu de l’entourage du Président rwandais Juvénal Habyarimana. Le prétexte au déclenchement du massacre va être donné par un attentat, le 6 avril 1994, contre le Falcon 50 qui transportait Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira, le président du Burundi, perpétré au-dessus de l'aéroport de Kigali par le tir d'un missile. Cet attentat qui provoqua la mort des deux présidents et de dix autres occupants de l'appareil, a fait l'objet de plusieurs enquêtes, notamment celle des juges Marc Trévidic et Nathalie Poux qui conteste l’enquête bâclée et partisane du juge Bruguière, et conclue à la responsabilité d’extrémistes hutu aidés par des spécialistes français.
On ignore toujours, trente-et-un ans plus tard, l’identité des auteurs de l’attentat, mais Michel Bussi, au terme d’un passionnant suspense, nous livre une audacieuse hypothèse que l’on ne découvre qu’à la fin du livre.
L’ouvrage s’ouvre sur l’appel angoissé de l’Attaché-défense de l’Ambassade France à Kigali, qui, le lendemain de l’attentat, tente vainement de joindre François de Grossouvre à l’Elysée dont il apprendra le décès brutal.
Certains protagonistes de cet ouvrage écrit par un enseignant-chercheur en géographie qui a exercé pendant vingt-cinq ans, ont réellement existé. C’est le cas notamment de la Première ministre du gouvernement de transition, Agathe Uwilingiyimana, figure emblématique de la lutte pour la paix et la démocratie au Rwanda, qui a été assassinée, de même que Lando Ndasingwa et sa famille. Mais également ceux des génocidaires comme Agathe Kanziga, la veuve du Président Habyarimana qui vit en France, de son frère Protais Ziginyiarazo, de Pauline Nyiramasuhuko, ministre de la Famille dans le gouvernement génocidaire, et des protagonistes français François de Grossouvre, conseiller du Président Mitterrand et du mercenaire Paul Barril. Est également conforme à la réalité la responsabilité de François Mitterrand qui a laissé faire.
D’autres, par contre, sont issus de l’imagination de l’auteur comme Espérance, Aline, Maé, Nado une journaliste belge, les capitaines de l’armée française Jorik Arteta et Jean-Charles Libreville (Charly).
Espérance est tutsi, car née d’une liaison extraconjugale de son père Primien Mugenzi, le maire de la localité de Kibeho, avec Dative, elle-même tutsi. En raison de la fortune de son père, Espérance a pu suivre des études supérieures. Elle tient un journal qui débute le 4 octobre 1990, le jour où elle fait la connaissance de deux militaires français animés de sentiments démocratiques et alliés des Hutu modérés, Jorik qu’elle épousera et Jean-Charles qui va devenir un ami proche. Espérance donnera naissance à une fille Aline, et elle-même disparaitra mystérieusement.
Trente ans plus tard, Aline et Maé la petite fille d'Espérance qui vivent en France avec Jorik le grand-père, décident de retourner au Rwanda sur les pas de leur famille. Avant le départ, Jorik confie à Maé le journal d’Espérance. Dès lors, vont cheminer de concert la quête anxieuse de l’histoire de leurs proches pendant le génocide, et le récit des évènements de cette époque tel que Maé le lit dans le Cahier de sa grand-mère.
Nous cheminons ainsi avec Aline et Maé sur les routes sinueuses qui slaloment entre les collines habitées ou revêtues du manteau vert des champs de thé, empruntées autrefois par Espérance et Aline, de Kibeho à Kigali et à Goma sur les bords du Lac Kivu, ainsi qu’avec Jorik dans les Montagnes des Virunga, le domaine des gorilles.
Un parcours semé d’embuches et de drames, car dans le Rwanda désormais pacifié et réconcilié sous le régime de Paul Kagamé, les génocidaires n’ont pas tous été mis hors d’état de nuire et certains recherchent la boîte noire du Falcon 50 qu’Espérance dit détenir et qui permettrait de connaître les noms des auteurs de l’attentat du 6 avril 1994. Le récit de cette recherche se déroule comme une enquête policière avec de multiples et imprévisibles rebondissements. A l’issue de celle-ci, nous découvrirons que la journaliste belge Nado n’est autre qu’Espérance, qu’Astérie la fille d’amis assassinés a été substituée à Aline décédée, et que le gentil Charly (Jean-Charles Libreville) est en réalité Silver Back l’auteur, avec l’aide de Jorik, de l’attentat contre le Falcon.
Ceux-ci ont été manipulés par Paul Barril, le mercenaire, ancien Commandant du Groupe d’Intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN), proche des extrémistes hutu, mais toujours en relation avec l’Elysée. Ils ont cru naïvement qu’en faisant disparaître le Président hutu du Rwanda, ils éviteraient l’effusion de sang et mettraient fin au génocide des tutsi.
Ils symbolisent la conviction de l’auteur qui irrigue le livre, selon laquelle l’être humain n’est ni bon ni mauvais. Les pires peuvent évoluer et les meilleurs devenir des assassins selon les circonstances. Il y a peu de héros, la lâcheté souvent l’emporte pour sauver sa peau.
On peut ne pas partager, mais ce livre mérite d’être lu…et 10% des droits d’auteur sont reversés au Secours populaire.
Bernard DESCHAMPS
10 octobre 2025
1-Les ombres du Monde, Les Presses de la Cité, éditeur, août 2025.
2- Lire aussi : Au nom de la France, guerres secrètes au Rwanda, éditions La Découverte, mars 2014. Recension sur mon blog/www.bernard-deschamps.net, en date du 4 juin 2014.
Ainsi que, Petit pays de Gaël Faye, Grasset et Fasquelle, 2016. Sur mon blog/ 21 octobre 2018.
