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Une foule bariolée a envahi la Place Jean Gazaix de Lasalle (30) pour cette 24e édition du Festival international du documentaire dont le succès, grâce à un public fidèle, ne se dément pas, en dépit des restrictions budgétaires.
La rue principale qui traverse Lasalle, habituellement endormie derrière ses façades qui cachent jalousement les souvenirs héroïques et douloureux des guerres de religion, est, pendant le festival, sillonnée de groupes affairés et joyeux. J’aime cette atmosphère. Avec les artistes nombreux qui y résident, les lieux de spectacles et des équipements techniques modernes, dont la Cure qui comprend un studio d’enregistrement et une station de montage, est le plus récent exemple, Lasalle est décidément la Capitale culturelle des Cévennes.
Dans une démarche tiers-mondiste et d’amitié entre les peuples, une quarantaine de films sont à l’affiche et de nombreux réalisateurs sont présents ou en visioconférence. Cette année une place importante est consacrée à l’Inde et à la cinéaste Nishtha Jain. Le cinéma québécois et canadien sera à nouveau à l’honneur, mais c’est à la Palestine que j’ai décidé de consacrer ma première séance.
Dans Avant il n’y avait rien, le réalisateur palestinien Yvann Yagchi né à Genève, dont la famille était exilée, dialogue avec un de ses plus proches amis d’enfance de confession juive, perdu de vue depuis longtemps, et qui vit désormais dans une colonie israélienne en territoire occupé de Cisjordanie. Dialogue difficile entre la bonne conscience de son ami et le sentiment douloureux de spoliation ressenti par le réalisateur qui a décidé de se rendre dans cette colonie entourée de barbelés d’où il dénonce la politique d’annexion d’Israël. Ce dialogue sera bientôt interrompu par l’ami juif qui décide d’y mettre un terme. On mesure, à partir de ce témoignage, combien le rêve généreux d’un Etat binational à l’image de l’Afrique-du Sud, est aujourd’hui, et sans doute pour longtemps, irréalisable. J’interviens dans le débat qui suit la projection et auquel participe le réalisateur en visioconférence, pour dire ma conviction de la nécessité d’une solution à deux Etats, dont un Etat de Palestine souverain, aux côtés d’Israël, dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale.
J’assisterai ensuite à la projection de Un garçon, une terre, la guerre de la réalisatrice arménienne et Jordanienne Sareen Hairabedian qui vit aux Etats-Unis. La guerre atroce de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie, vue avec les yeux d’un enfant partagé entre l’horreur, la peur et les jeux malgré tout de son âge. La vie de la population démunie peinte avec minutie au jour le jour. Un document.
Je suis d’une génération de communistes qui s’enthousiasmèrent dans les années quatre- vingt pour l’engagement des chrétiens animés par la « théologie de la libération ». Les images de manifestations populaires pour la terre en Amérique du Sud que reproduit le film L’Evangile de la Révolution de François-Xavier Drouet et les interventions de Monseigneur Oscar A Roméro, archevêque de San Salvador, assassiné par la police le 24 mars 1980, m’émeuvent particulièrement. Comme le rappelle à juste titre, un prêtre interviewé par le réalisateur, Marx ne réduit pas la foi religieuse à « l’opium du peuple », il a dénoncé le monde injuste et cruel qui écrase les âmes. Il y a bien sûr plusieurs lectures des Evangiles et le film rappelle les tensions, les oppositions, entre la hiérarchie vaticane et le peuple des chrétiens, qui allèrent parfois jusqu’à l’excommunication. Le discours provocateur du Pape Jean-Paul II prononcé le 4 mars 1983 à Managua devant Daniel Ortega et que reproduit le film, est à cet égard révélateur.
Que Dieu te protège de Cléo Cohen est dans un tout autre registre. Cléo, jeune française dont les grands-parents ont émigré d’Algérie et de Tunisie, veut savoir si elle est Arabe ou « juive ». Et elle interroge ses grands-mères, Flavie et Denise, et ses grands-pères, Maurice et Richard. La difficulté d’un dialogue intergénérationnel en raison du décalage historique. Les non-dits, les approximations. La diversité des parcours. Maurice avocat a défendu des militants du FLN. Richard est attaché à son identité juive qu’il veut ouverte à d’autres influences. Le rappel du décret Crémieux qui en 1870 accorda la nationalité française aux seuls ressortissants algériens d’origine juive, au détriment des « musulmans ». A une question posée par une spectatrice sur la pénétration de l’Islam au Maghreb, je rappelle que celle-ci date du VIIe siècle et que l’Islam s’est imposé assez facilement dans un pays où le Donatisme, variante populaire du christianisme, avait été brutalement réprimé par Rome.
A défaut de partir marcher dans la montagne, j’ai voyagé sur les traces de Stevenson avec Yann Sinic et Anglès d’Ortoli dans De passage, au rythme des pas des ânes, bravant les orages et rêvant. Mais les drames de ce monde m’ont rattrapé et j’ai vécu, le temps de la projection d’Immortals de Maja Tschumi, les affres des Irakiens confrontés à l’angoissante question, se battre ou partir, face au régime violent qui avait succédé à l’invasion des Etats-Unis en 2003.
J’attendais beaucoup de Koutkekout de Joseph Hillel. La résilience des Haïtiens qui coûte que coûte poursuivent une aventure théâtrale dans un pays ravagé par une misère insoutenable et par la terreur que font régner les gangs. Regardant ces images, me revenaient à l’esprit le souvenir de ces bus improbables peints de scènes naïves aux couleurs éclatantes et des poètes des rues rencontrés lors d’une mission parlementaire en 1980, qui fleurissent si nombreux aux milieux des immondices dans des immeubles surpeuplés. Un peuple qui surmonte la peur et la misère par une étonnante et émouvante créativité artistique. J’ai, à cette occasion, rappelé les initiatives importantes de la gardoise Marie-Françoise Matouk récemment disparue, pour faire connaître l’art haïtien dans notre pays.
Toutes les projections auxquelles j’ai assisté se sont déroulées à guichet fermé. A nouveau, une belle réussite. Bravo à Champ-Contrechamp et à DOC-Cévennes.
Bernard DESCHAMPS
2 juin 2025