Dans mon livre Les Gardois contre la guerre d’Algérie (2002).
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L’année 1957 s’est terminée par l’arrestation, le 23 décembre, de 13 responsables F.L.N. de la région d’Alès. Ce qui n’empêchera pas les actions armées du mois d’août suivant.
En 1958, tout bascule. L’armée, avec Massu et Salan, se soulève et un « comité de salut public et militaire » s’empare des pouvoirs, le 13 mai, à Alger.
La IVème République se saborde. De Gaulle est investi président du Conseil par l’Assemblée Nationale, sans avoir été élu, le 1er juin 1958, par 329 voix contre 224.
Ont voté contre : les 141 députés communistes : 49 députés socialistes sur 93 : 18 députés radicaux sur 57. Parmi les opposants, on note Pierre Mendès France, François Mitterrand, Daniel Mayer, Edouard Depreux, Tanguy Prigent, Oreste Rosenfeld... Les députés gardois de gauche ont tous voté contre l’investiture : Gilberte Roca, Gabriel Roucaute, Robert Gourdon. Edouard Thibault (M.R.P.) a voté POUR, ainsi que Georges Julliard.
Du 4 au 7 juin, le Général de Gaulle se rend en Algérie où il prononce la célèbre phrase : « Je vous ai compris » dont l’ambiguïté alimentera toutes les spéculations.
Une page de l’histoire de notre pays, ouverte en 1945 à la Libération, se tourne. Une nouvelle Constitution sera votée en remplacement de la Constitution de 1946, le 28 septembre 1958. Elle concentre les pouvoirs entre les mains du Président de la République, au détriment du Parlement. C’est cette Constitution, de caractère présidentialiste qui continue d’être aujourd’hui, avec quelques modifications, la loi suprême de notre pays.
Mais revenons aux premiers mois de 1958, avant le coup d’Etat du 13 mai. Le 8 mai, plusieurs personnalités gardoises adressent une lettre aux députés du Gard pour demander que le gouvernement français négocie la paix en Algérie. Parmi les signataires, on relève les noms de Jean Coin, secrétaire général de l’Enfance Ouvrière Nîmoise au Grand Air ; de Raymond Huard et Maurice Cling, professeurs au Lycée Daudet ; de Madame Schwartz de l’U.F.F. et André Bédrani, responsable du syndicat C.G.T des cheminots.
Du 4 au 11 mai se déroule une semaine d’action du Mouvement de la paix contre la menace atomique. La Marseillaise indique que 60 000 signatures ont été recueillies dans notre département, contre l’installation de rampes de lancement de fusées dans le sud de la France.
Le 4 mai 1958, un jeune communiste d’Aigues-Mortes, Marc Sagnier, écrit au Président de la République, son refus de porter les armes contre le peuple algérien, prenant ainsi le même chemin qu’Alban Liechti en 1956.
A partir du 13 mai, les actions pour la paix en Algérie et contre la politique de De Gaulle vont être intimement associées.
La solidarité avec Marc Sagnier, qui se manifestera surtout dans le Bas-Gard, sera pour de nombreux militants anticolonialistes, une motivation supplémentaire dans leur engagement).
Les conditions dans lesquelles De Gaulle revient au pouvoir font craindre l’instauration d’un régime de caractère fasciste. Les sièges des partis politiques et des syndicats ainsi que les édifices publics sont gardés jours et nuits par des militants de gauche. Une intense activité, souvent dans l’unité retrouvée de la gauche, va se développer, jusqu’en septembre, pour le NON au référendum.
Dès le 25 mai, 53 personnalités déclarent : « Le maintien des institutions républicaines et le rétablissement de la paix en Algérie [sont] indissolublement liés ». Parmi ces personnalités : le Professeur Jean Brunel, une des figures emblématiques du Mouvement de la paix gardois; Jean Coin ; Jean Chabanis ; Maurice Cling ; Raymond Chavagneux ; Elise Colomb ; Dr Guigou ; Emile Grevoul ; Raymond Huard ; Camille Hugues ; Louis Ibanez ; Pierre Jalatte ; Robert Martin ; Alfred Nègre ; André Raulet, président départemental de la Ligue des Droits de l’Homme ; André Sarran de la Fédération des œuvres laïques ; Fernand Vigouroux...
Le lendemain de la parution de ce texte, le Conseil général du Gard vote une résolution qui manifeste l’attachement de l’Assemblée départementale « à la République » et, fait exceptionnel, décide de l’éditer et de la faire apposer dans toutes les mairies. Cette résolution est adoptée par 26 voix contre deux abstentions (Albert Drouot et Joseph Cartier) à l’issue d’un débat au cours duquel interviennent le Dr Jean Bastide (S.F.I.O) ; André Marquès (P.C.F.) qui fut interné en Algérie lors de la mise hors la loi du Parti Communiste Français en 1939 ; le Dr Viala, maire de Remoulins et Désiré Rousset, secrétaire fédéral du parti socialiste S.F.I.O.
Des réunions publiques et des manifestations sont organisées dans tout le département : le 29 mai à Aigues Mortes avec les 3 maires et le conseiller général : M.M. Ramain, Mehoulet, Molinier et Jean Bastide. A Cassagnoles, la fête du P.C.F., le 6 juillet, réunit plusieurs milliers de personnes avec Georges Seguy. 3 000 personnes dans les arènes de Beaucaire où le maire, M. Cestin, prend la parole. Le 25 juin, sous la plume d’Emile Bondurand, La Marseillaise révèle l’existence, à l’Ardoise, d’un camp d’internement de 25 hectares, entouré de barbelés et destiné à des algériens. Le 6 juillet, le Dr Guigou qui vient de créer l’Union de la gauche socialiste, prend des positions particulièrement avancées : « Les Algériens ont pris les armes comme ultime recours pour faire respecter leur droit à une vie normale » et il se prononce pour le NON au référendum et pour la « Paix en Algérie sur la base de la reconnaissance de l’indépendance algérienne ». Un Comité départemental pour le NON au référendum qui regroupe les partis de gauche, plusieurs syndicats, des personnalités, des organisations. Ce comité élit le Dr Emile Guigou à sa présidence. Le 30 août, Jacques Duclos tient un meeting à Vergèze où il appelle, en présence de M. Monteil, maire socialiste, à voter NON au référendum.
Le parti socialiste S.F.I.O. réunit ses instances afin d’arrêter sa position. Que va-t-il décider ?
Le congrès fédéral du Gard se tient le 31 août, sous la présidence de Paul Béchard. Il se prononce à 75 % pour le NON, vote d’autant plus remarquable que, majoritairement, à l’échelle nationale, la S.F.I.O. se veut « à l’avant-garde de la 5ème République ». Son congrès national se prononce pour le OUI, entraînant le départ de militants socialistes en vue comme
Edouard Depreux et Jean Bastide dans le Gard, qui vont créer le « Parti socialiste S.F.I.O. autonome », le P.S.A. qui deviendra par la suite le P.S.U. après la fusion avec l’U.G.S. (Union de la gauche socialiste).
Quelques jours auparavant, le gigantesque incendie de Mourepiane et les explosions d’Alès, le 31 août, auraient pu jeter le trouble dans la population. Loin de condamner cet acte de guerre du F.L.N., la fédération des Bouches du Rhône du P.C.F, le présente comme « la conséquence de la guerre d’Algérie » et à Alès, Gabriel Roucaute déclare : « La provocation n’est pas exclue... Seule la paix en Algérie peut mettre fin à de tels actes ».
Un ultime meeting pour le NON se tient à Nîmes, le 25 septembre, sous la présidence de Géo François où, prennent la parole, André Sarran (Fédération des oeuvres laïques), Fouques (Union des forces démocratiques), Fernand Vigouroux (Union de la gauche socialiste), Gabriel Roucaute (P.C.F.), le Dr Bastide annoncé s’est excusé. (Voir en annexe son analyse de la prise du pouvoir par De Gaulle). La bataille unitaire menée dans le Gard n’est pas sans résultat : le NON à la Constitution gaulliste y recueille, le 28 septembre, 32,5 % alors qu’il n’obtient que 20,75 % à l’échelle nationale.
Découragés par la gauche après l’espoir de paix de 1956, huit Français sur dix qui se sont exprimés, font confiance à De Gaulle, l’homme du 18 juin 1940, en qui ils voient « un homme
providentiel ».
Dans le prolongement de ce plébiscite, les élections législatives du 23 novembre et du 30 novembre 1958 donnent la victoire au parti gaulliste (U.N.R.) qui obtient 187 sièges de députés sur 464. Dans le Gard, un seul siège reste à gauche, celui de Paul Béchard. Trois députés de droite sont élus : Pierre Gamel, Jean Poudevigne et Edouard Thibault. Le P.C.F. n’a
plus que 10 députés à l’Assemblée nationale. Gilberte Roca et Gabriel Roucaute qui pourtant ont lutté pied à pied, dans des conditions particulièrement difficiles, pour la paix en Algérie, ne sont pas réélus.
Dure, dure année que l’année 1958. Léon Vergnole, l’ancien maire communiste de Nîmes, qui fut également Conseiller de la République à la Libération, est décédé le 23 août. En octobre, le département du Gard est frappé d’une catastrophe, sans précédent : les pluies d’automne entraînent des inondations qui font 34 morts, 5 disparus et 20 000 sinistrés.
Année terrible...
Bernard DESCHAMPS
2002