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14 juin 2025 6 14 /06 /juin /2025 15:16

 

L’ancien condamné à mort qui fut sauvé de la guillotine par les accords d’Evian du 18 mars 1962, s’est éteint le 4 juin la  veille de l’Aïd El Kébir une des principales fêtes célébrées par le monde musulman.

Alors qu’un soleil de plomb inonde la ville d’Alger et que les rues connaissent une animation trépidante, je  retrouve, à l’entrée du cimetière, en cette douloureuse circonstance, mes amis  Mahmoud Arbadji, Tahar El Houcine et plusieurs autres anciens mujâhidûn de la Casbah  parmi lesquels d’anciens membres du PAGS. Dans l’attente du convoi funèbre, chacun évoque ses souvenirs du défunt, du combattant, du camarade. Ils sont sensibles au fait qu’un ami de France soit présent et je rappelle les initiatives de l’association d’amitié France-El Djazaïr, auxquelles il a participé et notamment sa présence aux côtés de l’ancien ministre Ali Haroun lors du Colloque  que nous avions organisé en mars 2012 à Nîmes sur l’Histoire de la Fédération de France du FLN.

Une noria de voitures noires officielles franchissent l’imposante grille ouvragée qui donne accès à l’immense complexe funéraire de 78 ha dans la banlieue Est d’Alger, où sont inhumés les chefs d’Etat algériens et les Martyrs de la Révolution. Plusieurs ministres sont présents ainsi que de nombreux membres des cabinets ministériels et les chefs des grandes administrations de l’Etat. La foule qui s’est rassemblée sur l’allée centrale, conduite par le Premier ministre M. Nadir Larbaoui, accompagne le cercueil recouvert du drapeau algérien jusqu’au chapiteau érigé à proximité du lieu de l’ensevelissement où va se dérouler la cérémonie. Conformément à une certaine tradition musulmane, seuls les hommes sont présents. Les femmes viendront se recueillir sur la tombe demain matin. Une longue prière  ponctuée de Allahu Akbar est dite par l’imam,  et c’est le ministre des mujâhidûn M. Laïd Rebigua qui fait l’éloge du défunt. Il rappelle son activité de mineur dans le bassin houiller de Saint-Etienne en France ; son engagement au FLN en tant que membre d’un groupe de choc ; son arrestation et sa condamnation à l’âge de vingt ans en 1960 par le Tribunal de Lyon et sa longue attente dans le couloir de la mort de la prison du Fort Montluc, dont il sera sauvé in extrémis en 1962 ; son retour à la vie civile et son action inlassable de militant syndical pugnace à la direction de l’UGTA ; puis sa présidence de  l’Association nationale des Anciens Condamnés à mort et sa nomination comme sénateur (Conseil de la Nation) en 2021  par le président Tebboune sur le tiers présidentiel. A l’issue de l’allocution du ministre, Kassaman sera chanté à l’unisson par l’assistance.

Après la cérémonie, nous continuons d’échanger en nous promettant de nous revoir. Je suis  présenté au ministre des Moudjahidines avec lequel je pourrai m’entretenir un long moment.

 

SOIREE DE DEUIL EN FAMILLE

Mme la Sénatrice Nadjia Ouedjdi Demerdji, la veuve de Mustapha, que j’avais pu joindre au téléphone  pour lui présenter mes condoléances, m’avait invité pour le soir même à la soirée de deuil en famille à son domicile au Club des Pins à 25 kilomètres à l’ouest d’Alger

Je ne connaissais pas cette résidence sur laquelle on a beaucoup fantasmé, conçue pour mettre à l’abri des terroristes dans les années 1990 : ministres, anciens ministres, responsables de partis politiques, procureurs, juges, haut gradés de la police, de l’armée, des douanes, hommes d’affaires, directeurs de médias…

Un mur d’enceinte l’entoure. Nous franchissons le portail sous surveillance qui y donne accès après avoir décliné notre identité auprès des policiers de service. L’appartement de la famille Boudina se trouve au 4e étage auquel nous accédons par un escalier qui ne reflète pas le luxe que l’opinion publique prête à ces lieux. Mme Boudina, très émue,  dont les traits tirés témoignent de sa douleur, nous accueille entourée de ses enfants, petits-enfants, conjointes et conjoints ainsi que de quelques ami.es proches. Nous évoquerons longuement la personnalité de M. Boudina et, parce que celui-ci était très politique, la conversation en viendra tout naturellement à la situation en France et en Algérie et aux tensions actuelles entre nos deux pays. Je suis toujours étonné de la connaissance fine des Algériennes et des Algériens de la situation politique en France. Toutes les personnes présentes, je n’en suis pas surpris, ont une excellente image de Jean-Luc Mélenchon et approuvent ses prises de position. Les divers aspects de la politique algérienne sont abordés sans tabou, ainsi entre autres du récent décret présidentiel qui permet aux officiers supérieurs de l’armée d’accéder à des postes de responsabilité dans l’administration et l’économie. La plupart y voient le moyen d’introduire plus de rigueur dans la gestion et de lutter contre la corruption. Certaines et certains s’interrogeant toutefois sur les compétences techniques de ces hauts dirigeants.

Une délicieuse chorba qui a été préparée par une  voisine, nous permet de poursuivre à table les conversations engagées. On m’a réservé – j’en suis très ému – la place qui était celle de M. Boudina, avec à mes pieds, son chat, qui les yeux levés vers moi, attend que je lui cède des miettes de mon repas.

Lorsque je partirai, très tard, des personnes continuaient d’arriver pour présenter leurs condoléances à la famille.

VENDREDI, JOUR DE L’AÏD

Les rue d’Alger habituellement animées d’une vie intense sont aujourd’hui désertes. Tous les commerces sont fermés. Je ne croise pratiquement personne sur les trottoirs de l’avenue Didouche Mourad bordés d’orangers dont les troncs sont blanchis à la chaux. J’avais pris heureusement mes précautions et fais provision de délicieuses pizzas qui me feront quatre repas pour 1600 dinars, soit 11 euros.

Je n’étais jamais retourné à la Grande mosqu

ée (Djamaâ El-Djazaïr) depuis que j’y étais allé lorsqu’elle était en construction. Merouane, le fils de Mohamed,mon ami et éminent chauffeur, s’est renseigné, nous pourrons la visiter  après la prière de l’après-midi, vers 17 heures.

Avec son minaret haut de 265 mètres et sa surface de 400 000 m2, c’est la troisième mosquée la plus grande au Monde, après celles La Mecque et de Médine. De style mauresque, avec ses proportions harmonieuses et sa diversité architecturale, c’est une splendeur. Nous pénétrons dans la cour pavée qui permet d’accueillir 120 000 fidèles et, après nous être déchaussés et avoir placé nos chaussures dans des casiers aménagés à cet effet, nous entrons dans l’immense salle de prières entourée de 612 colonnades octogonales d’une éclatante blancheur qui lui confère une luminosité incomparable. Elle est couronnée d’un lustre doré suspendu au dôme qui coiffe l’édifice. Son  sol est entièrement recouvert d’un épais tapis de laine de 10 000 m2 tissé en Iran et décoré de motifs floraux sur fond vert.

Dans la partie Est de la salle se trouve le minbar, une haute chaire utilisée pour les prêches

Quelques rares fidèles de passage font la prière que nous veillons à ne pas déranger. Un père, à demi allongé sur le sol, son fils dans les bras, lit un Coran qu’il tient à la main. Avec son autorisation, je réalise cette belle et émouvante photo. En raison de l’Aïd nous ne pourrons pas voir les boutiques de souvenirs et les restaurants aujourd’hui fermés. Ni visiter la bibliothèque et les nombreux espaces culturels.

LE 3e JOUR

Avant mon retour en France je vais, le matin, me recueillir devant le commissariat de la rue Cavaignac, derrière la Grande poste, près de la rue Asselah Hocine, qui a remplacé le Tribunal des forces armées où Annie Fiorio- Steiner fut jugée en mars 1957. Je n’ai pu entrer ni prendre une photo, mais un policier m’a affirmé qu’à l’intérieur une plaque perpétue le souvenir de la mujâhida.

 

PETITE REVUE DE PRESSE

En raison de la fête de l’Aïd, les journaux ne paraissent pas vendredi, samedi et dimanche. Cette revue de presse repose donc sur les journaux du jeudi 5 juin. Tous annoncent, le plus souvent en Une, le décès de Mustapha Boudina en publiant de larges extraits du message du président Tebboune.

L’expression fait sa Une sur l’action du Premier ministre Nadir Larbaoui (en photo) qui « met la pression » pour la réduction des délais d’attente dans les ports des navires transportant des marchandises importées ; il dénonce  « L’ombre des Etats-Unis |qui) plane sur Gaza ». En page intérieure, l’éditorial porte sur l’attitude de l’Allemagne à l’égard du génocide en cours à Gaza. Plusieurs pages sont consacrées à la situation économique de l’Algérie et…sur le match de foot entre l’Algérie et le Rwanda  programmé pour le soir même (que l’Algérie gagnera par 2 buts à 0)

Le Soir publie en Une les photos du président Tebboune et du nouveau président syrien Ahmed Al Charaa, à propos de l’aide apportée par l’Algérie à la Syrie dans le domaine énergétique. De très nombreuses pages élogieuses sont consacrées à la situation économique de l’Algérie… et au futur match Algérie-Rwanda. J’ai la surprise d’y découvrir une longue chronique d’Hassan Zerrouki,  l’ancien journaliste du Matin  puis de l’Humanité, intitulée : « Logique d’éradication et résistance » à Gaza.

El Watan consacre sa Une à « l’islamophobie » « qui tue » et à la « Communauté musulmane stigmatisée en France » ainsi qu’à la condamnation, en gros titres, de l’ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, Abdelkader Khomri, à 8 ans de prison ferme. Un long article en dernière page traite de « La France malade de l’extrême-droite ». En page 8, El Watan affirme qu’à l’heure de l’intelligence artificielle, le « non alignement » n’est plus d’actualité comme au temps de Bandung, et s’interroge sur quelles nations doit s’aligner l’Algérie. La page 16, publie les déclarations d’une poétesse et dramaturge, curieusement titrées « Je ne fais pas dans le féminisme ». La victoire des Verts sur le Rwanda est évidemment souhaitée mais de façon succincte.

En France, aucun quotidien, pas même mon journal l’Humanité n’a relayé l’information du décès du président national des Anciens condamnés à mort pendant la guerre d’indépendance. Pourquoi ?

Bernard DESCHAMPS

9 juin 2025

 

QUELQUES MESSAGES RECUS LORS DU DECES DU MUDJAHID MUSTAPHA BOUDINA

Denis LANOY

Secrétaire de la section de Nîmes (30) du PCF

Mercredi  4 juin 2025

Bonsoir Bernard

Je suis très ému par cette triste nouvelle.

Je l'avais rencontré très courtement lorsqu'il était venu au cercle et son témoignage et sa personnalité m'avait impressionné.

Je présente donc auprès de toi mes sincères condoléances à présenter à sa famille.

Denis Lanoy

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Omar BESSAOUD

Professeur émérite des Universités d’Alger et de Montpellier

4 juin 2025

Cher ami,

 Boudina fut un allié fidèle du temps où il dirigeait le syndicat d’Alger centre. Un patriote fidèle aux idéaux de novembre. Qu’il repose en paix.

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Nacer KHAMLA

Premier adjoint à Mme la maire de Vénissieux.

4 juin 2025

Bonjour Bernard, j'espère que tu vas bien. Bien triste nouvelle que d'apprendre le décès de cette grande figure de l'Algérie, toutes mes condoléances à sa famille et à tous ces amis [e], je sais qu'il est pour toi un frère. Je garderai le souvenir d'un homme de grande valeur. Merci grâce à toi j'ai pu faire sa connaissance.

Amitiés fraternelles

Nacer

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 Mireille et Michel BERTHIER

Professeur.es retraité.es.

jeudi 5 juin 2025

Nous sommes très tristes d'apprendre le décès de monsieur Boudina. Lui et son épouse nous avaient accueillis avec grande bienveillance lors du voyage de FED que j'avais conduit en 2012. Nous présentons nos condoléances attristées à madame Boudina et à sa famille..

Mireille et Michel Berthier

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