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13 septembre 2019 5 13 /09 /septembre /2019 16:00

Je publie intégralement ci-dessous l'article paru dans Le Monde le 6 septembre dernier. C'est à mon sens une pression intolérable sur le hirak. Bernard DESCHAMPS

Après les purges, l’Algérie tourne au ralenti

Les poursuites engagées contre les industriels proches du clan Bouteflika contribuent aux difficultés économiques.

Par Julien Bouissou et Madjid Zerrouky  Publié le 06 septembre 2019  

"Rentrée plus tendue que jamais en Algérie. Au blocage politique opposant le mouvement populaire à l’armée s’ajoute désormais une longue liste de difficultés qui inquiètent institutions et investisseurs étrangers, et pourraient changer le visage de la contestation.

Excédés par l’incurie des services de l’Etat, la hausse du chômage, les coupures d’eau à répétition alors que des incendies brûlaient les forêts du nord du pays, les Algériens ont renoué, en août, avec les actions radicales de protestation en coupant routes et autoroutes. Vendredi 6 septembre, de nouvelles manifestations devaient se dérouler dans tout le pays après que le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, a annoncé, lundi, son intention de convoquer une élection présidentielle avant la fin de l’année dans des conditions aujourd’hui rejetées par la rue et l’opposition.

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 « Le blocage politique est susceptible de déboucher sur une crise économique. La situation économique est alarmante, et les deux visions, jusqu’à présent inconciliables, du peuple et du leadership ne font qu’exacerber une situation déjà très compliquée », alerte Dalia Ghanem, chercheuse résidente au Carnegie Middle East Center, qui poursuit :

« Avec une économie rentière fondée sur les exportations d’hydrocarbures, qui représentent 95 % des revenus en devises et plus de 60 % des recettes fiscales, la marge de manœuvre des dirigeants est limitée. Le recours à la planche à billets n’a fait que retarder l’échéance en plus de permettre plus ou moins à l’Etat de faire face à ses engagements internes – paiement des créditeurs, entreprises de construction… Le tableau dressé par le FMI montre que la situation économique se dégrade inexorablement : les réserves de change sont passées de 194 milliards de dollars en 2013 à 72 milliards en avril 2019. Ce qui reste pourra couvrir à peu près treize mois d’importations alors que l’Algérie importe 70 % des produits qu’elle consomme. »

Pour équilibrer son budget, le pays aurait besoin d’un baril à 116 dollars – soit 50 de plus que le cours actuel – et du maintien du niveau de sa production, en chute libre depuis le début de l’année. L’office des statistiques algérien projette même une décélération globale de ce secteur pour la troisième année consécutive en 2019, et une croissance globale limitée à 2,3 %, alors qu’il faut 7 % pour créer de l’emploi.

« Question de temps »

Pour Dalia Ghanem, le scénario est donc écrit, et « ce n’est qu’une question de temps avant que les revendications politiques du mouvement de protestation s’étendent à l’économie ». C’est cette rente pétrolière qui avait exempté Alger des « printemps arabes » de 2011, en satisfaisant les clientèles du pouvoir, fût-ce au prix d’une explosion de la corruption, d’une ampleur inédite cette dernière décennie.

 

Acculé par des manifestants qui pourchassent ministres et hauts fonctionnaires aux cris de « voleurs » à chacune de leur sortie sur le terrain, le régime s’est résolu à lancer une vaste campagne contre la délinquance financière qui gangrène le pays. Une tempête judiciaire s’abat donc depuis le printemps sur les milieux économiques proches du clan d’Abdelaziz Bouteflika, contraint à la démission début avril, et bon nombre de patrons de grands groupes algériens dorment aujourd’hui en prison, ce qui a entraîné leurs sociétés dans la spirale de la chute.

Des conglomérats qui aimaient à se présenter comme des fleurons de l’entreprenariat privé vacillent, victimes du gel des commandes publiques pour certains, mais aussi des assauts des magistrats pour d’autres. La justice algérienne a ainsi ordonné, début juin, le gel des comptes de toutes les entreprises et filiales appartenant aux groupes des familles Kouninef (KouGC), Tahkout, ou encore celles de l’empire d’Ali Haddad, l’pancien président du Forum des chefs d’entreprise (FCE) et patron du groupe ETRHB.

« Le problème : les comptes gelés »

Cette mesure conservatoire a des effets en cascade sur des dizaines de milliers de salariés, ceux des groupes concernés, licenciés ou dont les salaires ne sont plus versés, mais aussi chez leurs sous-traitants et fournisseurs, dont les factures ne sont plus réglées.

« Normalement, dans un système où l’économie de marché est régie par une législation adaptée, les poursuites pénales et l’incarcération du patron d’une société commerciale, a fortiori s’il s’agit d’une société par actions, n’ont aucun effet notable sur l’activité et le fonctionnement de cette société », estime Mohamed Brahimi, avocat agréé à la cour suprême et au Conseil d’Etat – ce qui n’est pas le cas ici, et, de l’aveu même de M. Brahimi, le pays souffre « d’une législation pénale et commerciale inadaptée et d’une non-maîtrise des outils du droit des affaires par la plupart des propriétaires des sociétés commerciales d’une part, et le manque de spécialisation des magistrats de l’autre ».

L’arrivée d’administrateurs désignés par la justice permettra le dégel des comptes bancaires de ces entreprises « dans les plus brefs délais », a bien promis, le 1er septembre, le ministre des finances, Mohamed Loukal, dans une déclaration à l’agence de presse officielle, APS. Mais en attendant, les salariés continuent de compter les jours.

 

Cette opération « mains propres » inquiète aussi les investisseurs étrangers. La coentreprise Fertial, un producteur de fertilisants qui compte parmi ses actionnaires l’espagnol Grupo Villar Mir et comme actionnaire minoritaire Ali Haddad – placé en détention provisoire en avril –, n’est plus en mesure de payer ses fournisseurs et ses 1 300 salariés depuis le mois d’août. « Le problème, ce sont les comptes gelés, bien davantage que les arrestations de dirigeants », témoigne un observateur sur place, car « les entreprises visées ont une place importante dans l’économie algérienne, et leur paralysie bloque des pans entiers de l’activité du pays ».

Le secteur du BTP, qui emploie près d’un million de personnes, serait particulièrement touché, selon le quotidien El Watan, qui évoque l’arrêt de nombreuses commandes publiques et les faillites en série qui amènent « les entreprises étrangères à différer leurs investissements, ou à suspendre leurs projets sur place ».

Créances

Les investissements français en Algérie, qui ont atteint 283 millions d’euros en 2018 (un record depuis 2009), devraient fortement baisser en 2019. Signe du ralentissement, les exportations et les importations algériennes ont baissé respectivement de 1,86 % et de 5,32 % sur les cinq premiers mois de l’année par rapport à la même période de l’année précédente. Or, le pays est le premier importateur de produits français en Afrique.

Depuis le début de l’année, plusieurs dirigeants du groupe algérien Condor, partenaire du constructeur automobile PSA dans la coentreprise Peugeot Citroën Production Algérie (PCPA), ont été placés en détention provisoire. Pourtant, la construction de l’usine de Tafraoui (près d’Oran) « se poursuit selon le planning prévu », affirme-t-on chez le constructeur automobile, qui assure le management opérationnel de la coentreprise dans laquelle Condor est actionnaire minoritaire.

Les entreprises étrangères les plus exposées sont les banques qui détiennent des créances dans les entreprises dont les comptes ont été gelés. Et si les françaises ne se partagent que 10 % des parts de marché des banques étrangères dans le pays, elles sont quand même exposées à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros. « Le gel des comptes de plusieurs entreprises clientes va être provisionné progressivement dans le bilan des banques, mais ces provisions pourraient vite devenir insoutenables si la situation s’éternise », analyse un responsable du secteur. Autre difficulté pour les banques, les autorités algériennes les ont contraintes à doubler leur capital social d’ici à mi-2020, avec pour objectif d’assainir le secteur et de mieux amortir les chocs financiers.

« Plus de nouvelles »

Au-delà des banques, de nombreux sous-traitants français ne sont plus payés ou voient leurs carnets de commande diminuer au point que l’opération « mains propres » pourrait avoir des conséquences sur l’emploi en France. L’entreprise algérienne Cevital, dont le dirigeant, Issad Rebrab, avait annoncé des investissements dans les Ardennes, lors de la visite d’Emmanuel Macron en novembre 2018, a été placé en détention provisoire en avril, accusé de fausses déclarations douanières.

« Depuis, nous n’avons plus de nouvelles du projet et nous ignorons si la promesse de création de 1 000 emplois va être tenue », explique Pierre Cordier, député Les Républicains des Ardennes. Or, Cevital réalise plusieurs centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires en France et y emploie près de 1 500 personnes. »

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commentaires

D
André Genot Terrible constat. Le pire est à craindre.<br /> Bernard Deschamps C'est inquiétant. Ce n'est pas bon pour l'image de la France. Cependant je ne pense pas que l'Occident s'attaquera militairement à l'Algérie dont le patriotisme est très fort par-delà les polémiques et les divisions. D'autre part l'armée algérienne qui est iiée au peuple est bien entraînée et bien équipée.
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