
Rejetant le dialogue prôné par le pouvoir : Ils ont dit non au panel
El Watan
Madjid Makedhi 30 juillet 2019
Le panel de dialogue et de médiation * ne convainc pas les personnalités nationales les plus en vue. L’invitation, lancée avant-hier à 23 acteurs politiques et sociaux pour intégrer la commission chargée de mener le dialogue en vue d’aller vers une élection présidentielle, reçoit une cascade de refus.
Plusieurs personnalités, dont les noms ont figuré sur la liste, ont décliné l’offre, en rappelant les principes d’un sérieux dialogue qui prendrait entièrement en charge les revendications populaires. Au moins huit personnalités jouissant d’une forte estime au sein du mouvement populaire ont tout simplement dit «non» à l’instance que chapeaute l’ancien président de l’APN, Karim Younès. Il s’agit de Mouloud Hamrouche, Ahmed Benbitour, Mokrane Aït Larbi, Mustapha Bouchachi, Ahmed Taleb Ibrahimi, Lyes Merabet, Drifa Ben M’hidi et Djamila Bouhired.
La première réaction vient de l’ancien chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche, qui, dans un communiqué rendu public, invite ceux qui détiennent les commandes à répondre aux revendications du mouvement populaire. «Je souhaite rappeler aux honorables membres du panel et des forums ma déclaration du 18 avril dernier, où j’indiquais que ‘‘je ne serai pas candidat à d’éventuelles instances de transition ou élection’’», affirme-t-il d’emblée.
Mouloud Hamrouche rappelle, dans la foulée, l’exploit réalisé par le mouvement populaire pacifique depuis le 22 février dernier. «Le mouvement unitaire et pacifique du peuple a, depuis le 22 février dernier, neutralisé, momentanément, une série de facteurs de déstabilisation et stoppé d’imminentes menaces. Ces menaces n’ont pas disparu pour autant et sont toujours en gestation. Il revient à ceux qui sont aux commandes d’agir, de répondre au hirak et de mobiliser le pays pour lui éviter les pièges d’un chaos», précise-t-il.
L’avocat et militant des droits de l’homme, Mokrane Aït Larbi, de son côté, affirme, dans un communiqué, qu’il ne peut «pas réfléchir à un dialogue dont les objectifs ont été définis par le pouvoir». Il rappelle, de ce fait, aux membres du panel, «la différence entre l’appel du pouvoir et l’appel de la patrie». «D’un point de vue de principe, le dialogue est un moyen pour rapprocher les points de vue afin de régler les conflits. Mais l’unique but de ce dialogue tracé par le pouvoir ne dépasse pas l’organisation de l’élection présidentielle», note-t-il.
Selon lui, «aucun dialogue, quels que soient son but et sa composition, ne peut réussir avant la mise en place de mesures d’apaisement concrètes de la part du pouvoir : libération, sans condition, de tous les détenus politiques ; la fin des restrictions aux libertés individuelles et collectives ; l’interdiction de l’utilisation de la force contre les manifestants pacifiques ; libérer les accès à Alger lors des manifestations ; éloigner les symboles du régime corrompu ; cesser d’interdire le drapeau amazigh ; ouverture des médias publics au débat libre».
«Le temps du dialogue est dépassé»
L’ancien chef de gouvernement, Ahmed Benbitour, décline aussi l’invitation. Contacté, il précise que le temps du dialogue est dépassé. «Depuis le 22 février, le hirak ne cesse de réclamer un changement radical du système de gouvernance. Le temps du dialogue est dépassé. Nous sommes dans le temps des négociations sur les modalités du changement du système de gouvernance. Cela nécessite un rapport de force suffisamment puissant. Une fois cette condition mise en place, le pouvoir désignera une équipe qui négociera avec celle du hirak uniquement les modalités du changement du système de gouvernance», indique-t-il.
Remerciant ceux qui ont proposé son nom pour faire partie de cette commission de dialogue, l’avocat et militant des droits de l’homme, Mustapha Bouchachi, rejette également l’invitation du panel. «Je voudrais rappeler une nouvelle fois que personne ne refuse l’idée d’un vrai dialogue qui débouchera sur un passage en douceur vers une véritable démocratie. Mais, je ne crois pas que les conditions et les données sont réunies pour ma participation à cette commission», souligne-t-il, dans un post publié sur sa page Facebook.
Mustapha Bouchachi rappelle, dans la foulée, sa position de principe concernant les conditions devant être réunies pour la réussite de n’importe quel dialogue : libération des détenus d’opinion, levée de toutes les pressions sur le mouvement populaire, ouverture des médias, ouverture de l’espace public et le départ de tous les symboles du régime. «A ces conditions, j’ajoute l’exigence de garanties que le pouvoir accepte les décisions qui découleront du dialogue. Toute démarche qui prendrait sérieusement les revendications du hirak nous l’encouragerons et nous ferons tout pour qu’elle réussisse», souligne-t-il encore.
«Le dialogue doit être confié aux jeunes»
Ahmed Taleb Ibrahimi n’est pas, lui aussi, près de répondre à l’appel du panel. Selon ses proches, l’ancien ministre estime qu’«il n’y a rien de nouveau qui puisse l’amener à changer la position qu’il a déjà exprimée le 23 juin dernier».
Même rappel fait par les proches de la moudjahida Djamila Bouhired, qui avait déjà exprimé son refus de participer au dialogue avec ceux qui ont déjà servi le système.
Dans une déclaration à des sites d’information, la sœur de Larbi Ben M’hidi, Drifa Ben M’hidi, affirme que le dialogue doit être mené par des jeunes. «Je suis intimement convaincue que le dialogue doit être confié aux jeunes qui mènent le hirak et non aux vieux ni aux gens d’âge mûr comme moi», tranche-t-elle. Le syndicaliste et président du SNPSP, Lyes Merabet, rejette aussi l’offre du panel. «Le peuple est sorti, par millions, pour demander le départ de ces gens, la rupture avec le régime corrompu, la mise en place d’une nouvelle étape garantissant les libertés, les droits et la justice… Ce sont des revendications politiques, mais on constate que les membres du panel agissent comme s’ils cherchaient à amadouer le pouvoir», déplore-t-il.
* Le panel (photo ci-dessus):
Karim Younes: ancien président de l’APN)
FatihaBenabbou:constitutionnaliste,
Lazhari Bouzidi: professeur de droit constitutionnel à l’université de Constantine et ancien sénateur
Abdelwahab Bendjelloul: syndicaliste, membre du Cnapeste (Conseil national autonome des personnels enseignants du secteur ternaire de l’éducation),
Smail Lalmas: expert en économie,
Azzedine Benaissa: professeur à l’université de Tlemcen
Les 23 personnalités invitées sont sont Djamila Bouhired, Ahmed Taleb Ibrahimi, Mouloud Hamrouche, Ahmed Benbitour, Mokdad Sifi, Abdelaziz Rahabi, Lyes Merabet, Ilyas Zerhouni, Messaoud Boudiba, Guessoum Abderrazak, Rachid Benyelles, Hadda Hazzam, Brahim Ghouma, Brouri Mansour, Rachid Hanifi, Adda Bounedjar, Fares Mesdour, Mustapha Bouchachi, Chemseddine Chitour, Benbraheml Fatma-Zohra, Drifa Ben M’hidi, Saïd Bouizri, et Mokrane Aït Larbi.