
On lira avec intérêt (et inquiétude) l’article paru ce matin dans le grand quotidien algérien d’opposition, El Watan. Des cercles néo-libéraux travaillaient jusqu’alors dans l’ombre des manifestations. La pression s’exerce désormais au grand jour pour engager l’Algérie dans une adaptation au libéralisme économique mondial.
Bernard DESCHAMPS
El Watan
Nassima Oulebsir 14 juin 2019
Même si le contexte était différent de celui de l’Algérie, les Polonais, les Hongrois et les Tchèques ont exposé dans le détail leurs expériences de transition économique.
Aujourd’hui, ce sont modèles à méditer, mais difficiles à transposer. Mais il y a toujours un moyen de tirer les leçons de leurs expériences,surtout qu’un processus de transition économique doit être impérativement lancé dans les plus brefs délais, selon le Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise (CARE). Des experts algériens se réuniront bientôt pour élaborer une feuille de route qui devrait être rendue publique dans deux ou trois semaines. Quelle transition économique et quel modèle peut être suivi par l’Algérie ? Round-up.
L’expérience des ex-pays communistes a montré que le processus de transition est long, complexe et difficile. Malgré les défis colossaux qu’impose le passage de l’économie planifiée à l’économie de marché, le processus de transition en Europe centrale a fini par aboutir à un développement économique remarquable.
Les enseignements de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque en matière de réformes structurelles sont à partager. Elles sont présentées par Tomáš Sedláček de la République tchèque, Árpád Kovacs de Hongrie et Bronistaw Wildstein de Pologne.
Thérapie de choc
Comme l’exemple polonais. Le but est de se débarrasser rapidement de l’économie dirigée. Ce choix a été rendu possible grâce à l’existence d’une forte volonté politique qui ne s’est pas amenuisée avec le temps. Les experts polonais expliquent dans le détail le secret de la réussite de cette transition économique entamée en 1989.
On parle clairement d’un franc succès sur le plan économique. Mais il a fallu attendre plus de 25 ans pour entamer, il y a quatre ans seulement, les grandes réformes de la politique sociale du pays. Statistiquement, le pas positif franchi par la Pologne est un exemple, surtout que les experts ont souligné que ce pays avait des problèmes similaires à l’Algérie, dont l’incapacité de développer les exportations hors hydrocarbures.
Aujourd’hui, l’exportation de la technologie avancée représente 46% de l’économie polonaise. Entre 1989 et 2019, la croissance économique du pays – qui était le pays le plus pauvre d’Europe de l’Est – est ainsi passée de -11,6% (soit une grande récession) à +4,6% ; le PNB est passé de 228 milliards de dollars à 1193 milliards de dollars, les exportations de 19 milliards dollars à 262 milliards de dollars, le réseau autoroutier de 100 km à 3370 km et l’inflation de 251,1% à 2,3% seulement.
Mais du fait des privatisations, le taux de chômage a grimpé de 0,3% en 1989 à 20,6% en 2003 avant de redescendre à 5,6% en 2015. En plus, la grande ouverture de la Pologne sur les IDE a fait que les deux tiers des exportations sont contrôlées par les capitaux étrangers, privant l’Etat d’une bonne partie de ressources en devises, lesquelles sont rapatriées vers l’étranger.
Transition progressive
C’est l’exemple hongrois où la transition a été plus progressive, graduelle, par palier. Une transition caractérisée par un coût social important et surtout beaucoup d’inégalités. Le point négatif de ce modèle est le risque de retour en arrière à n’importe quel moment. Pour l’économiste hongrois Árpád Kovacs, «les oligarques essayaient d’avoir le pouvoir politique.»
C’est une transition économique qui avait suivi un processus plus graduel. Puis on a voulu en 1976 tenter la thérapie de choc, qui a été vouée à l’échec Il y a eu d’ailleurs la chute du gouvernement. Pourquoi ? Cette «thérapie de choc» a été rejetée par la population, d’où la première et importante condition : l’acceptabilité.
Autrement dit, le peuple, à qui le dernier mot revient, doit impérativement adopter le processus. (Lire les explications de Ali Harbi dans l’article suivant).
A cette époque-là, les banques hongroises étaient incapables de soutenir le processus de privatisations, ce qui a conduit à une liquidation massive des biens de l’Etat et à une ouverture massive sur les IDE, dans la perspective d’avoir les capitaux nécessaires au développement. La Hongrie est passée d’une économie où le secteur privé représentait 40% en 1990 à une économie privatisée à 90% actuellement.
Les 10% restant sont gérés par l’Etat et portent sur le secteur pétrolier, l’électricité, l’industrie automobile et certaines industries manufacturières. Cette transition a bien répondu à une condition primordiale qui est le contrôle. Les Hongrois se sont fait accompagner par des institutions de contrôle qui ont supervisé le processus et empêché la survenue de dérives majeures.
L’exemple Tchèque
Une ouverture massive sur les IDE. La République tchèque s’est basée sur son secteur bancaire qui était le seul à échapper à la privatisation, tout en s’appuyant sur une politique d’encouragement des IDE.
D’après Tomáš Sedláček, économiste tchèque, «nous avons voulu éviter que le capital politique se transforme en capital économique, éviter une redistribution des ressources au profit des oligarques, nous avons donc opté pour une ouverture massive sur les IDE». Pour simplifier la théorie, trois donnes essentielles s’imposent.
La réussite de la transition économique doit reposer sur trois piliers : la connaissance des forces du marché, le maintien du rôle régalien de l’Etat et le respect de l’éthique économique.
Statistiquement la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la Slovénie ont effectué une remontée considérable depuis le début de la transition. En deux décennies, la Slovénie a atteint 92% du niveau moyen de développement de l’Europe des 27. La seconde meilleure performance revient à la République tchèque, qui a atteint 81% de la moyenne de l’Europe des 27, ce qui constitue une amélioration de 17 points par rapport à son niveau de 1991.
En République tchèque, les investisseurs étrangers, par exemple, après la transition ont une position dominante dans le secteur bancaire et dans certaines branches de l’industrie manufacturière. Le noyau centre-européen de l’automobile (produits finis et pièces détachées) en est l’exemple le plus spectaculaire. Les chiffres montrent que plus de la moitié des exportations industrielles sont réalisées par des compagnies étrangères.