Je viens d'achever la lecture de tes chroniques relatives aux rencontres qui furent les tiennes depuis dix ans avec l'Algérie, son peuple, tes amis de là-bas et, bien sûr, le pays lui-même dont tu sais nous parler avec émotion et beaucoup de chaleur et d'affection. J'ai pris un réel intérêt (tout comme Raymond Huard, d'ailleurs !) et pas mal de plaisir à te suivre (te re-suivre quelquefois) dans ce récit de dix années de rencontres, ici ou là, entre Alger-la-blanche, somptueuse dans sa baie et devenue cette énorme conurbation historique et capitalistique (si j'ose dire !), et la Mitidjia, Oran/Tlemcen vers l'ouest, Bejaïa et la kabylie à l'est (plus humide !) et même jusqu'au sud, âpre et saharien : un bel itinéraire parsemé de découvertes et de retrouvailles, avec dans les débuts la présence de Annie dont l'ombre protectrice t'accompagne encore in fine, mais en compagnie de ta petite fille lors de l'ultime voyage... L'ami de l'Algérie indépendante, devenue l'une des grandes puissances de l'Afrique, au nord de celle-ci, ouverte sur le Sahel en pleine crise et donc aussi devenue partie essentielle du possible règlement des affaires du continent, sort grandie de ton récit, mais aussi, plus familière, évolutive, interrogative et plurielle, comme le montrent d'ailleurs les titres de la presse algérienne que tu cites abondamment. Tu aimes profondément ce pays dont tu as soutenu l'aspiration à l'indépendance politique et à la conquête de sa liberté de jugement autonome qui font les conditions, pour une large part, de son poids actuel dans les relations internationales du monde. Tu sais parler de sa guerre d'indépendance avec respect et sympathie, comme je le fais moi-même quand il faut en rappeler la légitimité et la nécessité après un siècle et demi de domination coloniale, de ségrégation et de pillages honteux, sans compter les épisodes répressifs incroyablement sauvages, illimités, vengeurs, auxquels la France a procédé, systématiquement de 1830 à 1888, par la suite encore, enfin en 1945 puis après 1954 et jusqu'à la fin ! L'horreur colonialiste et raciste ... Cette horreur dont nous ne pouvons oublier, voire ignorer la trace mémorielle, même présente en nous-mêmes qui ne l'avons jamais "excusée", ni même "comprise", cela parce qu'elle "nous" a, nous les français, compromis pour l'éternité de l'Histoire humaine au grand dam de ce pays qui est pourtant le nôtre. Tu rappelles tout cela fort justement.
Tu aimes Al Djazaïr : c'est en somme ta seconde ou ta première patrie, du moins affectivement : je peux le comprendre et même l'approuver. Tu montres les progrès accomplis depuis 1962, les moments de crise mortifère surmontés, les diversités plus ou moins bien assumées, etc. On apprend beaucoup à te lire... Même sur la propriété du sol (ça m'a rappelé les cours de Jean Dresh à l'Institut de géo en 1954 qui me rendaient incollable !). Je trouve cependant que tu montres beaucoup de complaisance pour le régime actuel (instable ?) dont je n'ignore pas qu'il a dû et su faire face à une crise entropique qui aurait pu retourner en défaite mortelle la victoire politique de l'indépendance acquise et assumée. Mais, prisonnier d'un moule culturel hérité de mille ans de conservatisme dominateur et de contraintes diverses dont tu ne tais pas la profondeur (quoique tu n'en fasses pas un état définitif), les complaisances qu'il manifeste pour la "réaction" me paraissent à moi, modeste témoin et jamais acteur, insupportables : je suis un pur produit sur certains points du Code civil issu de la Révolution française, de la révolution (longue) des Lumières, de l'égalité successorale et de l'égalité pour le "genre", et de mille autres choses aussi comme le refus de considérer que l'édification du plus grand monument cultuel de l'Afrique continentale soit le signe d'une vertueuse et émancipatrice modernité ! Mais ces réserves n'entachent en rien le plaisir et l'intérêt que j'ai pris à lire ton ouvrage qui nous raconte une Algérie "in progress" et plus plurielle qu'on ne croit !
Salut et amitié à toi et merci pour la dédicace et l'attention dont témoigne l'envoi de ton livre bien reçu par la poste. J'espère que ta santé est remise. Salut et fraternité, CM.
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L'historien Claude Mazauric est d’ascendance paysanne, cévenole et protestante du côté paternel, savoyarde et catholique du côté maternel. Le père de Claude Mazauric monta à Paris et devint ouvrier dans une usine métallurgique puis régisseur d'un domaine viticole dans le Gard. Au cours de la Première Guerre mondiale, il fut grièvement blessé au Chemin des Dames en 1917. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les deux sœurs aînées de Claude Mazauric furent résistantes, l'une gaulliste, l'autre communiste.
Sa rencontre avec Albert Soboul l'amena à consacrer ses travaux de recherche à la Révolution française1. Ayant obtenu l'agrégation d'histoire en 1957, il a achevé sa carrière universitaire en qualité de professeur émérite à l'université de Rouen .
Claude Mazauric a rempli de nombreuses responsabilités dans des collectifs de chercheurs nationaux et internationaux : il a également présidé l’Association nationale « Vive 89 » et participé à des dizaines de colloques, congrès, conférences qui ont accompagné dans le monde la commémoration du bicentenaire de la Révolution française.
Se revendiquant lui-même comme un « intellectuel communiste », Claude Mazauric est membre du PCF et a siégé au comité central de 1979 à 1987.
Succédant à Lucien Sève, il a dirigé les Éditions sociales de 1982 à 1986.
Syndicaliste, il a exercé les fonctions de secrétaire général du syndicat national de l'enseignement supérieur en 1972-1973 et appartenu au bureau national de cette organisation de 1970 à 1978.
Claude Mazauric a inscrit son travail d'historien dans la voie tracée par Georges Lefebvre, Ernest Labrousse et Albert Soboul.
Spécialiste de la Révolution française, plus particulièrement de Gracchus Babeuf et du babouvisme, Claude Mazauric est membre de nombreuses sociétés savantes