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13 juin 2016 1 13 /06 /juin /2016 16:51
M. ARBAOUI, devant, au milieu, dans l'amphi de l'université Abd El Kader de Constantine.
M. ARBAOUI, devant, au milieu, dans l'amphi de l'université Abd El Kader de Constantine.

INTERVIEW PARUE DANS EL WATAN

9 juin 2016

Originaire de la ville de Tébessa, qui l'a vu naître et grandir, Mohamed-Tahar Arbaoui garde toujours un lien charnel et émotionnel avec la ville de Constantine, qui l’a accueilli et adopté comme un fils digne de porter fièrement le titre de Constantinois. Du haut de ses 90 ans, l’homme n’a guère changé ses habitudes. Même s’il a réduit quelque peu ses déplacements, il demeure toujours un grand passionné de culture, de lecture, de musique et un grand «fan» des médias, surtout qu’il demeure à jour et colle à l’actualité. L’homme demeure surtout très apprécié par tous ceux qui l’ont connu pour ses qualités humaines et sa grande modestie.

Enfance à Tébessa

Troisième enfant d’une fratrie de douze garçons et filles, Mohamed-Tahar Arbaoui est né en 1926 à Tébessa, dans une famille modeste. «Mon regretté père était le seul à subvenir à nos besoins, en sa qualité de petit secrétaire au service des Domaines. C’était rare à l’époque de trouver une personne de son âge pouvant parler et écrire en français de niveau primaire, jusqu'à présent, on se demande comment a-t-il appris ce peu de français à Aïn Beïda, dont il était issu», notera-t-il. Mohamed-Tahar se rappelle encore de la maison «mauresque» que son père avait construite avec un proche parent sur un terrain commun. «Sa cour intérieure nous permettait d'organiser des matchs entre sœurs et frères, avec un petit ballon fait de chutes de tissus. Une des chambres servait de pièce à provisions annuelles, en blé surtout, provenant d'une parcelle louée et exploitée aux fins de soutenir le maigre salaire mensuel». Des souvenirs vivaces, après plusieurs décennies : «Je me souviens des jours où, à dos d'âne, on devait s'amuser à aller au moulin de M. Fabre, un film marrant et historique porte son nom, il fut réalisé par un ancien élève de mon collège, Si Ahmed Rachedi, le bien connu.» Pour Ammi Tahar, le mauvais souvenir de cette période était la non-scolarisation de ses premières sœurs sous le poids des traditions. Les trois dernières furent repêchées grâce à l'action courageuse en faveur des filles menée par le mouvement des Ouléma, représenté à Tébessa par Cheikh Larbi Tébessi.

Scolarité à Constantine

L’arrivée de Mohamed-Tahar Arbaoui à Constantine marque toujours le jeune collégien, qui quitte sa ville vers 1940 pour poursuivre ses études secondaires, après avoir été admis en 6e. «Seules Constantine, Bône (Annaba) et Sétif disposaient de lycées pour quasiment la moitié est de l'Algérie à cette époque. Moi j’ai choisi Constantine, car j’avais la famille qui m’accueillait durant le week-end comme élève interne.» Inscrit au collège des garçons (actuel lycée Youghourta de Constantine), il dut quitter l’établissement qui servira pour recevoir les troupes alliées durant la Seconde Guerre mondiale. Il sera scolarisé à Batna, jusqu’en seconde, avant de revenir en 1946 à Constantine pour rejoindre le lycée d’Aumale, devenu lycée Redha Houhou après l’indépendance. «C'est donc là que j'ai préparé mon bac 2e partie, et c'est là que venait Malek Haddad de l'Ecole normale voisine pour les séances de philo. C'est là que j'ai pu apprécier ses capacités littéraires. Souvent, notre prof de philo lui demandait de nous lire ses perles en classe. Il était d'une nature vive, active, aimable avec son franc sourire, mais on sentait sa gêne à ne pas pouvoir parler aisément l'arabe dans nos rencontres en récréation, ce qu'il traduisit plus tard par son expression : je suis exilé de ma langue», témoigne-t-il. Mohamed-Tahar Arbaoui remonte encore loin dans le temps pour évoquer sa rencontre avec un autre homme éminent : Malek Bennabi : «C'est la préparation du bac qui me permit d'avoir le privilège de le connaître, il accepta de m'aider en rédaction française lors de son passage à Tébessa. Quelques exercices m'ont marqué pour la vie : la précision et la concision dans l'expression de mes idées ne m'ont plus quitté à ce jour. Il m'impressionnait par sa rigueur, son regard sévère et les titres universitaires qu'il glanait en France. Rien d'étonnant à le redécouvrir plus tard dans son analyse profonde du Saint Coran.» Ne pouvant entamer des études universitaires à Alger, Arbaoui s’est résigné à demander un poste dans l'enseignement pour aider sa famille, à une époque où les possibilités de travail étaient rares pour «les indigènes».

De l’école aux camps d’emprisonnement

Ammi Tahar se rappelle toujours de ses premiers pas d’instituteur dans une petite localité de Mila. «Sans aucune formation pédagogique, c'est à Aziz Ben Tellis (actuelle commune Benyahia Abderrahmane, wilaya de Mila) que j'ai fait mes premières armes, beaucoup plus sociales que pédagogiques. Ma vingtaine d'élèves, tous garçons, de milieu pauvre, enfants de fellahs ''khemmassa'' étaient répartis en deux paliers dans la même classe, dite classe unique, ce qui nécessitait une formation spécifique», raconte-t-il. Après un an, le jeune instituteur Arbaoui rejoint sa famille à Tébessa. Il connaîtra de dures péripéties pendant la période coloniale. «Ce fut une nouvelle étape dans mon expérience professionnelle, complétée par une courte activité au sein des scouts et un ''bain politique'' qui me valurent, en mai 1956, de faire partie des milliers d'internés dans des camps "d'hébergement" répartis sur tout le territoire algérien, surtout au Sud. Malgré tous les interdits, nous les transformâmes en centres de formation dans tous les domaines : religion, langues, sport, histoire et politique, sans oublier les commentaires des rares journaux dont nous disposions.» Après quatre ans dans les camps, la libération en 1960 de Mohamed-Tahar Arbaoui fut changée en expulsion du territoire algérien, avec une résidence surveillée en France, comme ce fut le cas de ses collègues enseignants. «C'est ainsi que j'ai repris mon tablier d'instituteur dans une école semi-rurale de Normandie pour 2 ans, au bout desquels j'ai rejoint avec mon épouse le village d’El Khroub, à 15 km de Constantine, où nous avons participé au lancement de l'école de l'Algérie indépendante.

De notre séjour particulier en Normandie (Saint-Clair de Halouze dans l'Orne), nos bons souvenirs sont ceux que nous ont laissés nos élèves et leurs familles reconnaissantes, de même que certains amis français ayant compris et adopté notre cause, nous aidant de leur mieux.» Avec l’avènement de l’indépendance, les besoins du pays sont importants, après le départ des instituteurs français. «Il fallait surtout rattraper un énorme retard, car seuls 15% des enfants algériens fréquentaient l'école. On me confia l’organisation, la formation et l’inspection d’une circonscription des écoles à Constantine, El Khroub et Aïn Beïda, ce fut la méthode vietnamienne imposée pour sauver la situation, en faisant appel à tout expérimenté pour combler le vide.»

Deux mandats à l’hôtel de ville

Interrogé sur les circonstances qui l’ont amené à être maire de la troisième ville d’Algérie, Arbaoui rappelle que cette «incursion» est survenue dans le cheminement de ses activités à la base du FLN, «encore guidée par ses principes d'origine», comme il aime à le noter, mais surtout ses activités au sein de la kasma de Sidi Mabrouk et d'autre part de l'action pédagogique et éducative qu’il a menée durant sa carrière d’inspecteur de l’éducation. C’était lors d’un premier mandat de 1975 à 1979, puis d’un second (1980-1984). Les Constntinois, qui se rappellent encore de cette belle époque, gardent en mémoire les actions d’un maire dévoué, réaliste, intègre, désintéressé, à l’esprit ouvert, très accessible par les citoyens, mais surtout bosseur et toujours présent sur le terrain. En dépit des difficultés rencontrées dans la gestion d’une ville confrontée à différents fléaux, dont l’épineux problème de l’exode rural et des bidonvilles, cela ne l’empêchera pas d’être élue la ville la plus propre en Algérie. Mohamed-Tahar Arbaoui, maire de la ville à l’époque s’en souvient : «Constantine avait participé au concours national de propreté et d'embellissement des villes et des villages d'Algérie dans la catégorie des grandes villes, et elle a décroché le premier prix à deux reprises dans les années 1980.

Nous avions mis en place un plan d’action. La participation des services extérieurs à la commune et des entreprises nationales fut acquise, le concours de la population fut encouragé par des commissions mobiles de sensibilisation et d'aide au moyen de sacs-poubelles et autres moyens de meilleure collecte des ordures. Les restaurateurs, les boulangers, les coiffeurs et autres furent réunis par corporation pour rappel des règles d'hygiène, les cités furent invitées à participer au concours des balcons fleuris et d'un environnement verdoyant, c’est ainsi que nous avons réussi grâce à la collaboration de la population.»

Journal d’un président d’APC

Tous ceux qui connaissaient le maire Arbaoui se rappelaient de ces «petits cartons» qu’il tenait avec lui. Une sorte de feuilles de route dans lesquelles il notait toutes les observations et remarques pertinentes lors de ses tournées, mais aussi les doléances des citoyens. Des cartons qui seront dispatchés aux concernés pour régler tel ou tel problème. Une méthode qui rappelle un homme méthodique, très attaché à la bonne gestion. Des cartons qui serviront plus tard à rédiger Le journal d’un président d’APC, réalisé par l’ancien édile de Constantine en 1988 et édité à compte d’auteur. Un moyen pour laisser un précieux témoignage pour la postérité, malgré les assauts de l’âge que subit la mémoire. Un ouvrage de 123 pages, d’une grande pertinence, récit de deux mandats pleins, qui sera plus enrichi et mieux illustré.

Vivant aujourd’hui une retraite amplement méritée, Mohamed-Tahar Arbaoui fait tout pour meubler utilement ses journées. «Ces dernières années, l’écriture demeure une de mes principales occupations, en plus de ma participation de moins en moins active au sein des associations éducatives et culturelles (scoutisme ; fondation Ben Badis ; Amis du musée Cirta ; Club du lundi) et sociales (Syndic de notre immeuble durant près de 25 ans ; Oncologica et symboliquement à toutes celles s’occupant de la santé, de la femme et de la famille). Bien entendu, ma famille si large a sa part dans notre programme, mon épouse et moi. Tout ceci s'ajoute aux soins de notre santé qui prennent, naturellement, de plus en plus de temps et de moyens. Evidemment, j'inclus dans mon emploi du temps la lecture, la télé, la radio, la presse et certains spectacles culturels, sans oublier la musique, surtout andalouse des genres tunisiens, turcs et, bien entendu, constantinois. Inutile d'évoquer la marche quotidienne adaptée et des travaux domestiques, comme occupations prescrites aux octogénaires et leurs aînés.»

Arslan Selmane

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