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5 juillet 2015 7 05 /07 /juillet /2015 04:09
CHARLES PASQUA (souvenir personnel)

Je n’ai pas versé une larme à l’annonce de la disparition de Charles Pasqua. Il est en effet avant tout à mes yeux – au-delà de la longue liste de ses turpitudes et de ses coups fourrés - le Ministre de l’Intérieur responsable de l’ assassinat en 1986 du jeune étudiant Malik Oussekine.

Ce jeune franco-algérien, né en 1962 dans une famille ouvrière dont le père fut successivement mineur à Thionville, maçon, transporteur routier, était étudiant à l’Ecole Supérieure des Professions Immobilières à Paris.

Le 5 décembre 1986, la police fait dans les rues de Paris la chasse aux étudiants qui manifestent contre le projet de loi Devaquet de sélection à l’entrée des universités. Le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua et son ministre délégué chargé de la sécurité Robert Pandraud ont créé à cet effet des brigades de voltigeurs motocyclistes armés de longues matraques. Dans la nuit du 5 au 6, une de ces brigades poursuit Malik dans le hall d’un immeuble où il s’est réfugié. Roué de coups par les policiers il mourra de ses blessures. Cet assassinat soulève une immense émotion qui contraindra le ministre Devaquet à démissionner.

Le groupe des députés communistes à l’Assemblée Nationale où j’avais été réélu en mars, me chargea alors d’interpeller Pasqua et Pandraud au sujet de ce crime. Ma question parut au Journal Officiel et fut suivie d’un échange en séance publique dans l’hémicycle le vendredi 12 décembre. Voici quelques extraits de mon interpellation qui peut être consultée dans son intégralité au Journal Officiel des débats, numéro 124 du 13 décembre 1986 :

Bernard Deschamps. Monsieur le président, nous constatons tout d’abord, en le regrettant très vivement, que M. le ministre de l’intérieur se dérobe puisqu’il n’est pas présent personnellement au banc du gouvernement (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste et socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe R.P.R.)

...(Interruption de la droite.)

Nous nous élevons contre ce silence.

Mais avant d’aborder les questions que nous avons l’intention de poser sur les violences policières de la semaine passée, nous tenons tout d’abord, au nom de tous les députés communistes, à nous incliner devant la mémoire de Malik Oussekine et à dire notre profonde sympathie aux dizaines de blessés, victimes de la répression pour avoir, comme des centaines de milliers de lycéens et d’étudiants, exprimé leur refus de l’inégalité et de l’injustice que voulait imposer la loi Devaquet-Monory.

Avant-hier à Paris et dans toutes les villes de France, des foules considérables se sont rassemblées et ont défilé dans le calme et le recueillement avec pour unique et commun mot d’ordre : « Plus jamais ça ! »

Leur exigence est la nôtre. Nous ne tolérons pas une telle haine, une telle violence contre la jeunesse de notre pays.

Pour que cela ne se reproduise plus…

…toute la clarté doit être faite sur les responsabilités. Nous n’acceptons pas, monsieur le ministre chargé de la sécurité, les réponses dilatoires qui nous ont été présentées jusqu’à ce jour. C’est pourquoi nous vous posons des questions précises auxquelles vous avez le devoir de répondre devant la représentation nationale.

Premièrement, pour tenter de justifier l’intervention de la police contre de jeunes manifestants pacifiques dans la soirée du 4 décembre (en fait le 6 décembre, ndlr), vous évoquez la présence de casseurs. Pourquoi la police n’a-t-elle pas interpellé préventivement ces éléments provocateurs repérables à l’avance, comme en témoignent les films de télévision.

Deuxièmement, ces individus prétendument incontrôlés n’étaient-ils pas téléguidés par la police elle-même…

… comme ce fut le cas dans le passé, notamment le 23 mars 1979, lors d’une manifestation de sidérurgistes à Paris ?

Pouvez-vous nous rappeler qui était alors directeur de la police nationale ?

Troisièmement, quel est l’officier qui, comme l’a montré la télévision, a autorisé des nervis d’extrême-droite à franchir les barrages de police ? Cet officier était-il couvert par un ordre supérieur et d’où émanait éventuellement cet ordre ?

Quatrièmement, qui a ordonné les charges brutales contre des adolescents place des Invalides, alors que les casseurs n’étaient pas inquiétés ?

Cinquièmement, des tirs de grenades lacrymogènes ont grièvement blessé plusieurs jeunes, arrachant une main à l’un d’eux…

…un autre, touché à la tête, ayant perdu un œil. Comment cela a-t-il été possible ? Y a-t- il eu tir tendu de grenades, contrairement aux instructions de mars 1969 ? Qui en a donné l’ordre ? Sixièmement, en ce qui concerne l’assassinat du jeune Malik Oussekine, des témoignages concordants confirment l’acharnement meurtrier de plusieurs policiers. A quel corps appartiennent-ils ? L’anonymat qui continue de les couvrir sept jours après ira-t-il jusqu’à l’impunité ?

Septièmement, qui a donné l’ordre d’intervenir aux brigades spéciales motocyclistes ? Les dissoudrez-vous comme cela s’impose ?

Huitièmement, ne pensez-vous pas que les déclarations selon lesquelles vous couvririez « par avance tous les actes des policiers » encouragent les éléments racistes, xénophobes et antijeunes, ce que déplorent les éléments sains de la police ?

Ce ne sont là, monsieur le ministre, que quelques-unes des questions que se pose aujourd’hui l’opinion publique après les tragiques évènements de la semaine dernière. Le ministre de l’intérieur a lui-même déclaré que « le préfet de police a parfaitement appliqué les instructions qui lui avaient été données » et, au nom du Gouvernement, il a rendu « hommage à son calme, à sa lucidité et à ses qualités exceptionnelles ». C’est dire combien M. Pasqua est informé, donc en mesure de répondre aux questions que nous lui posons.

Le Gouvernement a le devoir de répondre à ces questions. La nation tout entière doit connaître la Vérité. ( Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

(Transcription fidèle du compte-rendu paru au Journal Officiel du 13 décembre 1986. Les points de suspension … correspondent aux interruptions par les députés de droite.)

Il s’agissait de questions précises et non d’effets de manches. Le ministre Pandraud ne répondit qu’ à la question concernant le nom du chef de la police lors de la manifestation des sidérurgistes du 23 mars 1979. Il ne répondit à aucune des autres questions posées, se bornant à justifier l’action de la police. (B.D.)

Bernard DESCHAMPS, 3 juillet 2015

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