Le hasard a fait que j’ai reçu en même temps deux romans qui racontent, l’un, Des cris de colère et d’espoir, la vie d’un grand-père militant syndical et politique; l’autre, Mon père, ce tueur, celle d’un père tortionnaire pendant la guerre d’Algérie. Les deux parcours se situant à peu près à la même époque.
Des cris de colère et d’espoir, Joël Fancini, Lacour éditeur, septembre 2019
Joël Francini est instituteur. Il retrace la vie d’Attilio Francini, son grand-père, à partir des nombreux écrits de celui-ci. J’ai été d’autant plus accroché par cet ouvrage que j’ai connu Attilio, l’ayant côtoyé au PCF. Issu d’une famille italienne qui avait fui la toscane sous Mussolini en 1922 pour se réfugier en France, Attilio fut secrétaire général de la Fédération régionale des mineurs CGT du Languedoc-Roussillon de 1950 à 1963, puis Secrétaire général de l’Union internationale des syndicats de mineurs (Prague 1970-1974). Cette biographie romancée fait une large place aux amours successives ou simultanées d’Attilio. Ce fut pour moi une découverte car je ne connaissais pas cet aspect de sa personnalité. J’ai surtout été intéressé par son évolution idéologique et par plusieurs épisodes de son activité de militant.
Le jeune Attilio sera placé par sa mère (qu’il vénérait) au Petit séminaire Notre-Dame des Sept Douleurs d’Avignon où il séjournera quatre ans et dont il gardera un souvenir douloureux. L’auteur décrit avec minutie son évolution, de la foi religieuse stricte inculquée par les Pères, au marxisme, en réaction au carcan et aux brimades subies pendant son noviciat. Cette évolution fut davantage une réaction contre l’église et ses pratiques, qu’une prise de distance intellectuelle, ce qui explique sans doute que jusqu’à la fin de sa vie, il lui arrivera encore parfois de prier.
Les conditions de travail au fond de la mine, particulièrement pénibles avant la deuxième guerre mondiale sont également décrites avec une grande précision. Elles s’amélioreront à la Libération avec la nationalisation des houillères et le Statut du mineur élaboré et mis en œuvre par le Président communiste des Charbonnages de France, Victorin Duguet, un Gardois. Les gouvernements suivants, sous la pression de la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier), n’auront de cesse de démanteler ce statut et l’on revit à travers le roman de Joël Francini les grandes grèves de 1948 et surtout celle de 1952 dans le Bassin des Cévennes. L’attitude de la CGT confrontée en 1952 à un mouvement de grande ampleur dont elle n’était pas l’initiatrice et qui se traduisit par l’occupation de la mine pendant 72 jours, est analysée avec finesse C’est une magnifique leçon de pratique syndicale. Plus singulière est l’attitude d’Attilio, Secrétaire général de l’USMM qui s’efforce en 1972 de convaincre les mineurs de cuivre chiliens de ne pas déclencher la grève contre le gouvernement d’Union Populaire de Salvador Allende.
Attilio Francini était également un poète et plusieurs de ses oeuvres émaillent le roman, notamment le poème qui a donné son titre à l’ouvrage, Des cris de colère et d’espoir, écrit en 1981 en l’honneur des mineurs de Ladrecht qui eux aussi occupèrent le fond.
J’ai rappelé dans Les Gardois contre la guerre d’Algérie (édition 2012, P.114 et 135) et dans Le fichier Z (édition 2012, P.34 et 36), le rôle important joué par le mineur immigré Attilio Francini pour donner toute leur place aux mineurs algériens dans les instances de la CGT et les actions de solidarité prises à son initiative pendant la guerre d’indépendance de 1954 à 1962. Il est dommage que cet aspect ne soit pas traité dans le livre de Joël. Il n’en reste pas moins que c’est un livre utile, bien documenté et agréable à lire.
(Photo: Attilio Francini souriant derrière Victorin Duguet avec des lunettes en conversation avec des mineurs algériens au congrès de Forbach de la CGT en mai 1953.)
Mon père, ce tueur, Thierry Crouzet, la manufacture de livres, août 2019
Ce récit se déroule précisément en grande partie en Algérie. Lorsque l’auteur était enfant, son père l’effrayait par sa violence. « Mon père était un tueur. A sa mort, il m’a laissé une lettre de tueur. Je n’ai pas encore le courage de l’ouvrir, de peur qu’elle m’explose à la figure. » Plusieurs années s’écouleront avant qu’il ne l’ouvre. Lorsqu’il se résoudra enfin à la lire, il prendra alors conscience de la complexité de ce père dont le comportement fut la résultante à la fois de son caractère, de l’éducation qu’il avait reçue et des circonstances – la guerre – auxquelles il fut confronté.
L’ouvrage est émaillé de descriptions de ratissages, d’opérations commando, de viols, d’interrogatoires sous la torture qu’il est utile de rappeler car on a parfois tendance à oublier l’horreur de l’occupation coloniale que les officiers de l’action psychologique s’acharnaient à justifier : « Des ratons, des bicots, des crouilles […] assimilés à des cancrelats prêts aux pires atrocités…»
Le titre racoleur, Mon père, ce tueur, m’avait indisposé. Etonnant de la part d’un fils ! La distance avec laquelle il relate les atrocités – qu’il condamne - commises en Algérie par l’armée et par son père, me parait tellement éloignée du traumatisme que doit éprouver un fils en les découvrant que je me demande s’il s’agit réellement du vécu de l’auteur.
Ce n’est pas un des ouvrages majeurs de la rentrée mais le style est alerte et cela se lit facilement.
Bernard DESCHAMPS
22 octobre 2019