Les regards croisés de la mère de l’auteure (Lydie Salvayre, Seuil, août 2014) et de Georges Bernanos sur la cruelle guerre civile espagnole de 1936 à 1939. Ce récit nous touche particulièrement dans cette région dont la population accueilit de nombreux réfugiés qui firent souche après leur sortie des camps d’internement d’Argelès-sur-Mer, de Rivesaltes et de….Langlade dans le Gard.
Il faudrait toujours commencer la lecture d’un roman par la fin. Les impressions que l’on éprouve, l’opinion que l’on en a évoluent au fil de la lecture et le jugement définitif peut être sensiblement différent de celui que l’on avait au début. Les dernières pages du roman de Lydie Salvayre qui nous disent avec pudeur et émotion, la douleur de la Retirada et l’amour profond qu’elle porte à sa maman, incitent à la mansuétude et tempèrent quelque peu le malaise éprouvé devant ce qui apparait comme un parti-pris politique de l’auteure. Au fond c’est le ressenti de sa mère qu’elle a décrit et non le sien.
J’ai en effet été peiné et choqué de l’image qui est donnée des Communistes espagnols et étrangers qui se battaient contre Franco avec un esprit de sacrifice inouï. Diego, le maire communiste du village est un être froid, raide, dogmatique, calculateur, faux, méfiant, en un mot inhumain. A sa décharge, l’auteure invoque son enfance. Né hors mariage, il fut placé dans une famille d’accueil fort peu accueillante où l’affection lui fit défaut. Ce qui expliquerait son évolution et son adhésion au parti communiste, alors qu’il était le fils d’un important propriétaire terrien. Il y a longtemps que je n’avais pas lu cet ersatz d’explication, à prétention psychanalytique, de l’adhésion au communisme pourvoyeur de monstres. Ainsi, les Communistes seraient des tarés, des refoulés ? Les anarchistes, les libertaires du POUM, de la CNT, etc, sont au contraire dépeints avec une sympathie communicative comme des êtres spontanés, généreux, enthousiastes. Ils n’ont que des qualités, au point de justifier les crimes de masse qu’ils ont commis contre des prêtres. Il est vrai que l’épiscopat espagnol se compromit gravement avec Franco et la Phalange. La première page du roman commence avec raison par cette description : « Au nom du Père du Fils et du Saint Esprit, monseigneur l’évêque-archevêque de Palma désigne aux justiciers, d’une main vénérable où luit l’anneau pascal, la poitrine des mauvais pauvres. C’est Georges Bernanos qui le dit. C’est un fervent catholique qui le dit. » (P.11). Loin de moi l’idée de renvoyer dos à dos, l’assassin et sa victime. Cela n’autorisait pas pour autant de tuer les curés.
J’ai par contre été sensible à la description enthousiaste du romantisme des libertaires, de Montse et de son frère José. Certes ils sont souvent irréfléchis et ils paient parfois cruellement leurs erreurs, mais leurs rêves utopiques ne sont pas sans intérêt. Il faut rêver ! L’utopie a souvent repoussé les limites du possible. Le livre cependant évolue peu à peu vers une convergence affective et politique entre Don Jaime le beau-père et Montse la bru ancienne Anar elle-même, vers un entre-deux que l’on pourrait qualifier de social-démocrate, Je vais être méchant : le réalisme-socialiste dans les arts, cher à Staline et à Jdanov a vécu. Vive le social-libéralisme !
Ayant dit le malaise que j’ai éprouvé, je voudrais maintenant dire le bien que je pense de ce roman. J’ai apprécié sa construction où se mêlent et se répondent le récit de la vie mouvementée de la maman de l’auteure et la relation que nous fait Georges Bernanos dans Les Grands Cimetières sous la lune, de sa découverte de la réalité des crimes franquistes. Il est bien écrit et agréable à lire. Les audaces et les inventions lexicales fusent. Le bonheur des mots et des expressions inventés (ou entendus): « elle portait dans ses yeux la bonté de son cœur » ; « ce projet lui harasse l’âme » ; « une intimation »… N’étant pas hispanisant, je n’ai malheureusement pas pu apprécier toute la saveur des passages en espagnol. J’ai dû me contenter de la musique des mots qui contribue au charme du récit, devinant parfois le sens d’une invective ou la verdeur d’un propos. Je ne suis sans doute pas le seul dans ce cas. Qui m’aidera à apprécier pleinement cette belle langue?
Bernard DESCHAMPS
28/11/2014