C’est un ouvrage dense de 651 pages (Editions Tallandier, juin 2014), fourmillant de dates, de faits, de précisions inédites sur cette guerre de la France au Mali. Un livre à lire le crayon à la main, en n’hésitant pas à faire retour sur des passages déjà lus afin de bien en mesurer la portée.
L’auteur, Jean-Christophe Notin est un quadragénaire, auteur français de plusieurs romans et de publications historiques. Après des études scientifiques, il se consacre désormais à l’écriture et, depuis 2005, collabore régulièrement à l’hebdomadaire L’Express. Il apparaît bien renseigné du côté de la DGSE et de l’armée.
Les 28 chapitres traitent de: l’histoire contemporaine du Mali; de l’évolution de la pensée hollandienne le concernant ; de la préparation de l’intervention militaire; des différentes phases de celle-ci et d’une conclusion. Les résumer les appauvrirait. Je m’en garderai donc bien, me limitant à mettre l’accent sur les aspects qui m’ont le plus intéressé ou interpellé. A charge pour chacun de lire l’ouvrage afin de se faire sa propre opinion.
L’auteur rappelle opportunément que le « Le Mali n’a jamais compté parmi les pays les plus proches de la France. » Il mentionne les trois NON, à De Gaulle ; à Jacques Chirac et à Nicolas Sarkozy. Le père de l’indépendance lui-même, Modibo Keïta, qui avait été ministre de la IVe République française était un indépendantiste résolu, et la rupture avec la France le rapprocha de Moscou. (P. 19 et 20).
JCN affirme que la richesse du sous-sol du Mali qui est incontestable, n’est pas actuellement rentable et que l’intérêt de la France pour ce pays tient surtout à la présence des Touaregs (ils sont quelques centaines de milliers pour 15 millions de Maliens) qui constituent, selon lui, un des fantasmes qui d’ailleurs divise les autorités françaises entre « pro et anti-Touaregs ». Il relate les étapes de leurs luttes pour leur indépendance et les divers mouvements qui les ont animées. Cette grille de lecture qui sous-estime les intérêts économiques et politiques en jeu me parait contestable.
A propos du « jihadisme », il s’inscrit en faux contre l’idée que « l’avidité serait le moteur des fondamentalistes. » Ce serait selon lui « Un contresens grave. Croire que ceux-ci n’agissent que pour capter et faire fructifier les dividendes de la drogue, c’est s’interdire à coup sûr de comprendre la réussite de leur expansion et donc de la combattre efficacement. » La cause commune est « …le naufrage sahélien. L’écroulement des pouvoirs centraux… » Pour eux les trafics sont des moyens et non des buts.
Autre idée reçue mais erronée, selon Notin, l’affirmation: « L’Algérie serait la grande ordonnatrice de tous les troubles régionaux. […] Le GIA, le GSPC, et bientôt AQMI ne seraient que les marionnettes du mythique Département du renseignement et de la sécurité (DRS) algérien, l’ancienne sécurité militaire. » Il démontre que l’Algérie n’y a pas intérêt et qu’aucune preuve n’a été apportée à « ces constructions intellectuelles bercées d’un vague ressac « d’algérophobie » tout droit issu de la guerre d’indépendance. » Il n’exclut pas pour autant que l’Algérie ait vu d’un œil favorable la fuite du GSPC au Sahel. Au passage il note la qualité du travail algérien du Renseignement, de son expérience de la lutte anti-terroriste depuis la décennie noire et son « remarquable maillage de sources dans tout le Sahel. » (P. 29-30)
Plusieurs pages sont consacrées à la naissance d’AQMI en 2006 par allégeance du GSPC algérien à Al-Qaida, ainsi qu’à la politique de W. Bush qui a créé l’AFRICOM dont la principale force (2000 hommes) est basée à Djibouti, ce qui inquièta les chefs d’Etat africains qui refusèrent que son QG installé à Stuttgart soit transféré en Afrique. A cette époque, « Paris fait le choix […] de l’attentisme. »(CH. 2, p. 45 et suivantes), mais « Le Mali passe peu à peu en « zone rouge ». Fin 2011, vont se créer les trois mouvements touaregs qui dès lors seront sur le devant de la scène : le MPLA (« identitaire et indépendantiste »), Ansar Dine (« touareg et salafiste ») et le Mujao (« salafiste et djihadiste ») (P. 62 à 68).
Une des parties, à mon sens, la plus intéressante de l’étude, est consacrée à l’évolution de l’attitude des autorités française à l’égard d’une éventuelle intervention militaire au Mali. Oppositions ? Contradictions ? Où doubles jeux de Sarkozy-Juppé puis de Hollande-Le Drian-Fabius, de l’Armée, des services de renseignement, du Quai d’Orsay ? Faut-il donner la priorité à la libération des otages ou à l’extermination du « terrorisme » ? Sarkozy en pleine campagne électorale élude y compris quand se produit le putsch du 21 mars du capitaine Sanogo contre Amadou Toumani Touré, le Président du Mali. Le 15 mai 2012, François Hollande est investi Président de la République française. Le 31 mai la décision est prise de ne plus acquitter les rançons, et « Dès le mois de juin - témoigne le chef d’état-major des armées, l’Amiral Guillaud - le président de la République m’a demandé, de lui présenter un plan, au cas où et de pousser les feux. »(P. 86). La doctrine officielle de l’Elysée demeure pourtant, comme celle du Parti socialiste : «…la résolution des problèmes africains par les Africains et la relance de l’Europe de la défense. », mais s’efforce de créer les conditions politiques d’une intervention militaire: l’accord de la CEDEAO est obtenu; en l’absence d’un feu vert de l’Union Africaine présidée par l’Afrique du Sud qui y est hostile, la « France » recherche une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU et une demande des autorités du Mali. Après de multiples « démarches » des ministres français, la demande d’intervention finira par être signée le 5 septembre 2012 par le Président par intérim Dioncouda Traoré. Par contre la résolution du conseil de sécurité ne constitue pas une autorisation d’intervenir. Qu’à cela ne tienne Hollande passe outre. La relation par l’auteur de ces diverses démarches et des pressions exercées est, à mon sens, éclairante de la volonté, dès son élection, du trio Hollande-Le Drian-Fabius d’intervenir militairement au Mali. Ce n’est pas l’opinion de Jean-Christophe Notin, mais son exposé des faits me conforte dans la mienne. En fait, Hollande, conformément aux vœux des milieux d’affaire, veut installer une base militaire française au Mali, à proximité de l’Algérie et du Niger où se trouvent les mines d’uranium d’Areva.
L’Algérie, pour sa part, s’en tient à la résolution du Conseil de sécurité et s’efforce d’obtenir un accord entre Bamako et les mouvements touaregs, ce que JCN traduit de la façon suivante : « …d’après elle [l’Algérie, ndlr], la France cache son jeu, et son but ultime est bien de prendre pied militairement au Mali. […] Il est par exemple hors de propos à ses yeux de faire passer des troupes algériennes de l’autre côté de la frontière : la Constitution nationale interdirait en effet tout engagement militaire à l’étranger.[…] à la place des armes, elle agace ses interlocuteurs français en proposant « une solution politique …»(P.112) A son initiative des négociations seront« ouvertes à Alger entre des émissaires maliens et Ansar Dine, représenté par Ahmada Ag Bibi, voire Iyad Ag Ghali… »(P.117). Ce dernier, transfuge du MNLA, considéré comme une personnalité touarègue représentative avait été nommé par le Président du Mali, en 2007, Conseiller consulaire du Mali à Djeddah en Arabie Saoudite. Bamako torpillera ces négociations et le 11 janvier 2013, François Hollande, en contradiction avec toutes ses déclarations antérieures, annoncera l’engagement des troupes françaises au Mali.(P. 162).
L’essentiel de l’ouvrage de Jean-Christophe Notin est ensuite consacré aux opérations militaires avec un luxe de détails puisés, semble-t-il, à bonne source et qui intéresseront vraisemblablement les passionnés de la chose militaire. Ce n’est donc pas la partie qui m’a le plus intéressé. Sauf peut-être – certainement même – les pages au cours desquelles il évoque le calvaire de notre compatriote gardois Daniel Larribe et des trois autres otages d’Arlit qui seront libérés le 29 octobre 2013. Leurs changements de lieux de détention en fonction des incursions des troupes françaises qui passeront à plusieurs reprises à proximité sans les découvrir. Ce qui n’était d’ailleurs pas la mission qui leur était confiée par le commandement sur ordre de l’Elysée (P. 595 et suivantes). On lira également avec curiosité et étonnement l’opinion de certaines ONG françaises qui ont poursuivi leur tâche dans le Nord-Mali, malgré la guerre et en relation à la fois avec les autorités françaises et maliennes et…avec les organisations armées touarègues. (P.96 et suivantes)
Les conclusions de Jean-Christophe Notin.
Selon lui, « …le Mali consacre un vrai changement. Le gouvernement français n’a pas eu peur de parler de « guerre », ni de célébrer celle-ci comme une « victoire ». Je trouve pour ma part qu’il a fait preuve de beaucoup de duplicité en préparant la guerre tout en affirmant le contraire. Mais c’est vrai, qu’une fois celle-ci engagée, puis provisoirement gagnée, il a crié victoire. L’auteur appelle de ses vœux une attitude décomplexée de la France. Après une courte évocation de la nécessité de s’attaquer « aux racines du mal […] la misère et ses corollaires indissociables, les trafics en tous genres… », il affirme : « Paris se doit d’assumer ce lien si singulier avec le continent [africain, ndlr]. » et il se réjouit de la déclaration du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian affirmant le 31 décembre 2013 que la France resterait au Mali « le temps qu’il faudra ». Ce qui implique « forcément le maintien sur le continent de forces prépositionnées. »(P.611). Enfonçant le clou, JCN écrit page 612 : « …la France se doit de tirer profit de l’énorme potentiel de croissance africaine […] Serait-ce enfin le coup de sifflet final à cette incroyable pudibonderie nationale qui conduit à ne pas chercher à retirer les dividendes ( sic ! ndlr) d’un investissement militaire massif ? » Ite missa est…Nous sommes entrés dans une époque de néocolonialisme décomplexé.
Résumons
Pourquoi donc Hollande, est-il allé faire la guerre au Mali ? Officiellement, conformément au souhait de la CEDEAO et de son président Ouattara, un homme de la France et pour répondre à la demande du Président par intérim du Mali dont la signature a été « forcée » et sans l’aval du conseil de sécurité de l’ONU. C’est donc en fait une décision unilatérale de la France. Pourquoi cette décision ? Je ne crois pas que ce soit pour des raisons de prestige personnel, bien que Hollande en ait bénéficié. Je pense qu’il y a des motifs politiques et économiques. Economiques avec la proximité des mines d’uranium du Niger et des richesses du sous-sol malien (or, pétrole, uranium). Mais les raisons me semblent avant tout politiques. En raison de l’importance croissante du continent africain, les milieux d’affaire français ne veulent pas céder leur pré-carré sur lequel lorgnent les USA et, quand l’opportunité de l’installation d’une nouvelle base militaire se présente – c’était le cas au Mali qui s’y refusait depuis l’indépendance – la France et notamment l’armée, nostalgique de l’époque coloniale, s’empresse de profiter de l’occasion, surtout si c’est à proximité de l’Algérie qui demeure un objet de convoitise en raison de sa situation géographique, de son poids économique et de son rayonnement.
L’Algérie, me semble-t-il, en a conscience. Pour sa part, elle n’a pas intérêt à la création d’un Etat terroriste à ses frontières, notamment au sud, la plus difficile à surveiller. Elle n’a pas intérêt non plus à la présence de bases militaires occidentales sur son territoire ou à proximité. Par principe et par intérêt, elle est donc favorable à l’unité du Mali qui peut revêtir diverses formes, et, en ayant des relations plutôt confiantes avec les Touaregs, elle est en position de jouer un rôle de médiateur entre le Nord et le Sud-Mali comme en témoignent les pourparlers engagés sous son égide à Alger. Tâche difficile cependant. Je lui souhaite de réussir.
Bernard DESCHAMPS
17/09/2014