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FRANCOIS MITTERRAND, L’HOMME AUX CONVICTIONS SUCCESSIVES
(Dernière mise à jour, le 12 mai 2021)
Il y a quarante ans, le 10 mai 1981, était élu le premier président socialiste de la Ve république. Au soir de cette élection, alors qu’une foule majoritairement jeune envahissait les rues pour célébrer la victoire, mes sentiments étaient partagés. Partagés entre la joie de nous être débarrassés de la droite et l’inquiétude. Nous nous étions tellement investis pour cette victoire, depuis la diffusion de notre Programme pour un gouvernement démocratique d’union populaire, puis la signature en 1972 du Programme commun de la Gauche et la campagne en faveur de Georges Marchais au premier tour de l’élection présidentielle, et au 2e tour en faveur de François Mitterrand. Mais j’étais préoccupé. L’actualisation du Programme commun avait été difficile, nos partenaires socialistes se montrant réticents quant à la nationalisation de certains secteurs économiques et le programme de François Mitterrand ne reprenait qu’en partie le programme décidé en commun. Il en avait cependant conservé l’essentiel. Au premier tour de la présidentielle, notre candidat Georges Marchais avait recueilli 15,35 % des suffrages exprimés et François Mitterrand, 25,85%. Nous étions très en dessous des 21,27% obtenus en 1969 par Jacques Duclos et cela nous plaçait en position d’infériorité par rapport à Mitterrand.
Le parcours politique du nouveau Président de la République n’était pas sans susciter des interrogations. François Mitterrand, fonctionnaire du gouvernement de Vichy avait été décoré de la Francisque en 1943 avec l’accord cependant de Londres (BCRA) et au printemps il s’était rapproché de l’organisation de résistance l’ORA. Membre de plusieurs gouvernements de la Ive République, il avait notamment été Garde des Sceaux, ministre de la Justice pendant la guerre d’Algérie, dans le gouvernement de Guy Mollet du 1er février 1956 au 21 mai 1957. Tache indélébile, 45 condamnés à mort algériens furent alors guillotinés en 16 mois et il s’opposa notamment à la grâce du communiste algérien Fernand Iveton. Cette période semble-t-il le hantait et, devenu Président, il cherchera à se réhabiliter en faisant voter l’abolition de la peine de mort, à contrecourant de l’opinion publique qui n’y était pas favorable. J’assisterai en tant que membre du bureau de l’Assemblée Nationale, à son investiture le 21 mai 1981 au Palais de l’Elysée (photo ci-jointe).
De 1981 à 1983, en un an, la plupart des réformes promises furent votées : nationalisations, création d’un impôt sur la fortune, augmentation du SMIC et des allocations, retraite à 60 ans, cinquième semaine de congés payés, semaine de 39 heures, lois sur le droit du travail, réformes concernant la justice (abolition de la peine de mort, abolition de la Cour de sûreté de l’État et des tribunaux militaires, nouveau statut de la Fonction publique, politique de santé, formation professionnelle, transports, dépénalisation de certaines pratiques homosexuelles), décentralisation, libéralisation de l’audiovisuel, régularisation des étrangers en situation irrégulière…
J’ai vécu de très près les nationalisations. Député sortant et à nouveau candidat en 1981, j’avais été devancé au premier tour par le candidat socialiste Georges Bénédetti en faveur duquel je m’étais désisté et, à la demande de mes anciens collègues, j’étais devenu collaborateur du groupe communiste à l’Assemblée Nationale. Je fus alors chargé du dossier des nationalisations, sous la responsabilité de notre camarade Gustave Ansart, Président de la Commission de la Production et des Echanges de l’Assemblée Nationale et en liaison avec la section économique du Comité Central du PCF alors présidée par Jean-Claude Gayssot et Philippe Herzog. Nous étions chargés – comme me l’indiqua Georges Marchais – de « jouer les marges ». Je devais fournir des « billes » à nos camarades députés afin qu’ils puissent défendre et arracher en séances toutes les avancées possibles. Ce fut une bataille de chien, les députés de droite multipliant les obstacles afin de dénaturer les propositions du gouvernement de gauche et retarder le vote de la loi. Nos camarades étaient souvent bien seuls pour affronter ces offensives réactionnaires. Les séances se terminaient rarement avant trois heures du matin. Les députés communistes défendirent de nombreuses propositions: pour produire français, recruter du personnel, augmenter les salaires, améliorer les conditions de travail, étendre aux filiales la gestion tripartite (Etat, salariés, usagers) des entreprises nationalisées…Grâce à la pugnacité des députés communistes, la loi fut améliorée sur plusieurs points, au sujet notamment des pouvoirs et des droits des salariés élus dans les conseils d’administration des sociétés, y compris dans les sociétés-mères.(1)
Quand je serai élu conseiller général de Beaucaire en 1982, je vivrai intensément la décentralisation des collèges qui constituera un très important progrès et, à partir de 1985, la mise en application de la décentralisation de l’action sociale dont j’aurai ensuite la responsabilité de 1994 à 2001 qui nous permit entre autres, avant le gouvernement Jospin, d’instaurer dans le Gard la carte générale de Sécurité Sociale qui deviendra la CMU pour les ressortissants de l’Aide sociale. Ce fut une période intense et passionnante sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir.
Ces avancées sociales et démocratiques furent brutalement stoppées en 1983 avec le « tournant de la rigueur » décrété par François Mitterrand et qui entraîna en juillet 1984, la décision du PCF de ne pas participer au nouveau gouvernement à direction socialiste.
Avions-nous eu tort de faire élire François Mitterrand et de participer au gouvernement? Ses prises de position politiques contradictoires relevaient-elles de la duplicité ?
Il est difficile de sonder les ressorts intérieurs d’un être humain, mais je crédite François Mitterrand de sincérités successives. Après avoir été vichyste, c’était le cas de 80% des Français, il a choisi la résistance en 1943. La victoire future sur le nazisme n’était pourtant pas évidente. Au temps de la guerre d’Algérie, l’opinion majoritaire considérait l’Algérie comme un territoire français qu’il fallait défendre à tout prix. Les décisions de Mitterrand seront dans l’air du temps…Mais j’ai du mal à passer l’éponge sur son action d’alors. Je l’ai combattu. Ce n’est sans doute pas étranger au fait qu’il m’ait récusé lorsque le PCF en 1981 me proposa parmi les quatre « ministrables » (2). En 1983, je crois qu’il pensa sincèrement, ne pas être en mesure d’affronter la finance mondialisée. Le putsch de Pinochet avec le soutien des USA, dix ans plus tôt au Chili, qui avait traumatisé les gens de gauche, était encore très présent dans les mémoires. Je suis persuadé que nous aurions été en mesure de résister, à condition de s’appuyer résolument sur l’action populaire, mais ce n’était pas la culture de Mitterrand et notre parti sorti affaibli de l’élection présidentielle de 81, ne pesait plus d’un poids suffisant pour être déterminant. Le « peuple de gauche » pour sa part, qui s’était réjoui des réformes de début de mandat, les avaient reçues comme un cadeau venant d’en haut et non comme l’application d’un programme qu’il aurait lui-même construit et dont il se sentirait comptable. Le Programme commun de la gauche certes avancé était en effet une décision de sommet prise par les partis.
Je continue de penser que nous avons eu raison de nous engager dans cette expérience. Il aurait été irresponsable, par je ne sais quel souci de pureté révolutionnaire, de priver notre peuple d’une possibilité de progrès. Mais rien n’est jamais totalement prévisible et certain dans l’évolution des sociétés. Il reste qu’ayant tiré les leçons de la démarche de sommet du Programme commun, nous devons désormais défricher des chemins nouveaux. Mais c’est une autre histoire que j’ai déjà eu l’occasion de traiter par ailleurs.
1- Economie et Politique, n°56, décembre 1981, page 13 et suivantes.
2-Voyage à l’intérieur du parti communiste, André Harris, Alain de Sédouy, Seuil, 1974.
RECHERCHES INTERNATIONALES
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