
Ce vers de Louis Aragon avait été choisi cette année comme thème du Festival International du documentaire de Lasalle (30) organisé par l’association CHAMP- CONTRECHAMP du 9 au 12 mai.
Quelques jours avant l’ouverture, le président des Etats-Unis avait unilatéralement déchiré l’accord de paix conclu en 2015 avec l’Iran.
« Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage. »
C’est dans ce lourd contexte que s’est ouverte cette 17e édition avec au programme 50 films dont un hommage à la réalisatrice d’origine tunisienne Michka Saäl récemment disparue ; des focus sur la Chine avec 5 films ; sur le Québec avec 7 films ; une Carte blanche à l’IRIS avec 4 films ; des débats, des soirées musicales et les innombrables rencontres imprévues lors des repas pris en commun dans la cour du Foyer ou sous le chapiteau dressé au centre de la Place.
Ce programme avait l’ambition de donner à voir comment vivent les humains dans le Monde, en Chine, en Grande Bretagne, en Syrie, au Canada, au Québec, en Afghanistan, au Japon, en Egypte, en Iran, en Corse , en Albanie, au Congo, au Mexique, en Israël, en Tchéquie, en Bulgarie, en Ukraine, en Belgique, en Tunisie, en Côte d’Ivoire, en Suisse et…en France, singulièrement dans les Cévennes.
Il était d’une telle richesse qu’il était difficile de tout voir. Il fallait donc faire des choix nécessairement arbitraires au risque d’avoir une vue d’ensemble partiale parce qu’incomplète.
J’en prends le risque. Commençons par Michka Saäl.
L’arbre qui dort rêve à ses racines. Ce film sorti en 1991 était son premier long métrage documentaire. C’est un essai sur l’identité. « Il est à la fois l’autoportrait de la réalisatrice juive et un jeu de miroir avec son amie Nadine Lataïf, arabe originaire du Liban, toutes les deux immigrées au Québec. » (Guilhem Brouillet). Dialogue éclairant, invitant au débat sur la notion d’intégration qui n’implique pas l’enrichissement mutuel. J’aurai l’occasion de revenir sur cette notion et sur celle d’identité à propos du livre d’Edouard Glissant Traité du Tout-Monde (Poétique IV) et de ce qu’il nomme la créolisation.
A great day in Paris. Le saxophoniste Ricky Ford avait convié pour une photo historique sur les marches d’un escalier de Montmartre, quelque 75 jazzmen étatsuniens noirs pour la plupart ayant choisi de vivre en France depuis les années 70. Sur le modèle de la célèbre photographie réalisée en 1958 par Art Kana à Harlem. C’est d’abord un film musical qui consacre une large part aux extraits de concerts. « Avec subtilité et douceur, Michka Saäl nous raconte une histoire de musiciens et d’amitié qui pose la question de l’exil artistique. » (Guilhem Brouillet) Nous avons été enthousiasmés par le solo de batterie de Sangona Everett. Ce film est également un vibrant plaidoyer contre le racisme.
Nous avions débuté le festival avec A Syrian love story du réalisateur britannique Sean Mac Allister, commencé en 2000 et tourné sur 5 années. Amer et Raghda sont réfugiés à Albi où ils ont pu reconstruire leur vie au point que leur petite fille se considère spontanément comme française. Mais leur histoire pèse et les oriente vers des choix personnels divergents. Amer a trouvé la quiétude en France. Son épouse Raghda veut par contre continuer le combat avec l’opposition syrienne. On assiste au déchirement de ce couple à l’origine uni, allant jusqu’à la tentative de suicide de Raghda. Ce film résolument anti-Bachar s’interroge sur le prix élevé de la révolution syrienne, mais ce questionnement est faussé par non prise en compte des atrocités de Daech et de la responsabilité de la Turquie et des Occidentaux dont l’engagement militaire non avoué mais réel a contribué à la prééminence des terroristes djihadistes sur les forces démocratiques à l’origine du soulèvement.
La situation à l’est de l’Europe était présente avec Piano, film polonais de Vita Maria Drygas qui évoque la « révolution orange » de 2014 en Ukraine. Un piano est traîné sur la place Maïdan, lieu névralgique de l’affrontement à Kiev entre les manifestants et les forces de sécurité du gouvernement prorusse. « Peint aux couleurs nationales d’Ukraine, au milieu de la foule […] les mélodies qui s’échappent du piano, reflètent les émotions des interprètes et des moments » (Marion Blanchaud). Contrairement à Comme la rosée au soleil de Peter Entell programmé en 2016 à ce même festival, qui exposait objectivement la complexité de l’affrontement entre la Russie et l’Ukraine, Piano est un film de propagande antirusse qui passe sous silence les manœuvres des USA et de la France pour attirer l’Ukraine dans l’orbite de l’Union européenne et de l ’OTAN.
Nous avons retrouvé l’inspiration altermondialiste avec Dépossession, second volet d’une enquête menée sur les cinq continents, le premier étant Les dépossédés, et réalisé en 2017 par le québécois Mathieu Roy. Ce film s’attache à montrer les problèmes rencontrés par les paysans à travers le monde, victimes de la politique néo-libérale des groupes occidentaux de l’agro-industrie et des effets du "libre-échange".
J’ai été particulièrement irrité, et je l’ai dit dans le débat, par Vivre riches de Joël Akafou réalisé en 2017 qui nous fait pénétrer dans le « monde des brouteurs ivoiriens, experts en arnaques sur le net […] La combine est simple, et bien répandue en Côte d’Ivoire. Il s’agit de draguer des femmes solitaires plutôt aisées [… Le poisson ferré, il s’agit de lui faire cracher le maximum de monnaie… » (Gérard Feldman). Ce film projeté sans explications sur la situation générale en Côte d’Ivoire et en Afrique et présenté par la sociologue Eliane de Latour comme le reflet du comportement de l’ensemble de la jeunesse des ghettos en passant sous silence les luttes progressistes d’une partie de celle-ci, conforte une image erronée de l’Afrique et apporte de l’eau au moulin de la droite extrême et de Le Pen.
Les Cévennes, leurs traditions d’accueil, les combats pour les libertés et pour une société enfin humaine tenaient bien sûr une place importante dans ce festival et j’ai découvert avec émotion les paysages de Lasalle avec le château du Solier et Alex le dernier des représentants (militant anti-système) de la lignée des De Cazenove et son cheval Aka ainsi que Florent Lo Pastre de Soudorgues et son troupeau. Florent dont l’institutrice a conservé un souvenir ému.
Au total, une riche programmation dont on peut cependant s’étonner qu’elle n’ait comporté en cette année 2018 aucune évocation du 13 Mai 1958 en Algérie, ni du mois de Mai 1968 en France, ni de la grève en cours des cheminots, ni de la Palestine victime d’une occupation coloniale intensifiée de la part d’Israël, ni des Nuits Debout, ni de l’Afrique du Sud qui vient de changer de Président…D’aucuns, et je suis de ceux- là, ont également été surpris que l’éditorial du programme (non signé nominativement) réduise Aragon, le poète de la Résistance au nazisme, à Vive le guépéou.
Il reste que ce festival constitue un des lieux pas si nombreux en France où est présenté, disséqué, débattu le politiquement non-correct. Il faut en remercier les organisateurs et les nombreuses/eux bénévoles qui se dévouent pour sa réussite.
A toutes/tous, merci pour les bons moments que vous nous avez permis de vivre.
Bernard DESCHAMPS
13 mai 2018