par Moncef Wafi
Les essais nucléaires français au début des années 60 en Algérie reviennent cette semaine aux devants de l'actualité par la porte d'une enquête judiciaire ouverte en 2004 sur les personnes civiles et militaires qui y assistaient. Selon les conclusions de Florent de Vathaire, auteur d'expertises médicales sur le sujet, il existe un faisceau de présomptions qui permet de dire que le lien entre les retombées radioactives et les cancers est « vraisemblable » pour certains des cas expertisés, six sur les quinze dossiers traités. L'expert nuance pourtant en estimant qu'on ne peut certifier, d'un point de vue scientifique, telle ou telle causalité pour la simple raison que ces cancers ou ces leucémies ne sont pas uniquement causés par les radiations. Ce rapport est une étape décisive pour les 150 000 victimes potentielles des essais menés dans le Sahara algérien et la Polynésie, entre 1960 et 1996, et qui pourrait aboutir à des mises en cause. Pourtant de nombreuses zones d'ombre persistent encore rendues d'autant plus opaques par le caractère « secret-défense » qui entoure certaines informations. Et ce sont justement ces données que cherchent à connaitre les familles des victimes et appuyées par Yannick Jadot, député européen d'Europe-Ecologie, Les Verts, qui avait regretté que François Hollande, qui s'était rendu le 4 juillet dernier, à bord du «Terrible», sous-marin nucléaire français lanceur de bombe, n'a pas plutôt choisi cette date, jour du 50e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, pour régler la question des déchets nucléaires toujours enfouis dans les sols du Sahara algérien. Il a déclaré qu'il aurait mieux valu de la part du nouveau président de lever le secret-défense sur les activités nucléaires de la France dans le Sahara. « Aujourd'hui, encore, il y a toujours des déchets nucléaires enfouis au Sud-Sahara et des milliers de personnes qu'il faudrait indemniser », dira-t-il en appelant M. Hollande à ouvrir les archives militaires pour que les Français dépolluent ces sites. Des archives qui contiennent des informations susceptibles de localiser le matériel laissé sur place et des déchets radioactifs. « Des dizaines de milliers de personnes ont été soumises aux radiations, dont près de 10.000 soldats français. Avec, à l'arrivée, un taux de mortalité et de cancer beaucoup plus important que la moyenne parmi les vétérans, en poste, en Algérie, et les habitants. Et toujours pas de reconnaissance de ces dommages causés. Des personnes vivent toujours à proximité de zones contaminées », affirmeYannick Jadot. Concernant la loi Morin de 2010, il estime qu'elle a fait un premier pas mais qu'elle est trop contraignante et trop peu de personnes ont pu faire reconnaître leur droit à indemnisation. Pour rappel, la loi Morin considère que ce sont les explosions nucléaires elles-mêmes qui sont à l'origine du dommage, alors que le fait générateur du dommage réside non pas dans les explosions ou les essais, mais dans les émanations radioactives qui perdurent au-delà des dates butoirs fixées par cette loi, selon Zalani Azzedine, juriste algérien installé en France. Et parmi ces victimes dans l'incapacité matérielle de se pourvoir administrativement et juridiquement auprès des tribunaux français pour obtenir réparation morale et matérielle, la population algérienne. Les experts et juristes qui ont pris part à la Caravane de solidarité avec la population d'Adrar, organisée dans le cadre de la commémoration du 51e anniversaire du premier essai nucléaire français à Reggane, affirment que ces essais continuent insidieusement, et pour des générations encore, de faire des victimes parmi la population algérienne. Zalani Azzedine avait affirmé que cette incapacité à répondre aux exigences du décret exécutif promulgué en France, le 13 juin 2010, en application de la loi Morin sur les conditions et modalités d'indemnisation des victimes des explosions et essais nucléaires français, est «synonyme de déni de justice ».
QUID DES ALGERIENS ?
Il précisera qu'il est impossible aux victimes de présenter des documents attestant de leur séjour ou d'avoir résidé dans les centres d'In Ekker et de Reggane. De plus, ce décret ne prend en compte que les périodes de présence comprises entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967, et « ne prend pas en compte les radioactivités induites et qui durent très longtemps », a-t-il dit. Pour sa part, Me Fatma-Zohra Benbraha constate que « les victimes algériennes ne sont pas concernées par cette loi » en appelant également les autorités françaises à restituer les archives des essais nucléaires effectués dans le Sahara algérien aux autorités algériennes compétentes en la matière. En donnant, en mars 2009, son quitus pour l'indemnisation des victimes des essais nucléaires, le Parlement français avait entrouvert une petite porte pour les « autochtones » irradiés en laissant entendre que la population locale de Reggane peut « également prétendre à indemnisation ». Le projet de loi évite d'évoquer clairement l'indemnisation des Algériens qui ont été victimes des essais nucléaires pendant et après la présence française en Algérie. Le dossier des essais nucléaires français dans le sud algérien, ouvert depuis 1996, est-il pour autant clos ? A première vue oui, le projet de loi entériné par le Sénat français scelle ce problème qui a empoisonné les relations bilatérales entre les deux pays et suscité l'ire du gouvernement algérien qui avait même exigé de Paris l'ouverture des archives de l'armée française en vue de connaître la vérité sur la question. A première vue seulement, car si on regarde de plus près l'annonce française d'indemniser « ses » victimes entre civils et militaires, on se rend compte qu' il n'est nulle part affirmé avec certitude l'intention du gouvernement français l'indemnisation de futures générations qui ont souffert des effets des radiations, des années plus tard, à cause de la présence encore aujourd'hui, sur les lieux, des équipements ayant servi aux essais, enfouis après le départ des Français mais qui ont réapparu, au gré de l'érosion, et constituent des sources de radiation importantes. Une indication de taille pour les Algériens qui réclament toujours la prise en charge totale, sinon en partenariat, du problème de la radioactivité dans la région des tirs. Un chercheur en génie nucléaire avait affirmé en 2007 que contrairement aux idées reçues, les victimes ne sont pas seulement les habitants des zones où les expériences ont eu lieu, mais se trouvent aussi très loin avec des possibilités de contamination à plus de 700 kilomètres des régions des essais. Hervé Morin, alors ministre français de la Défense, reconnaît plusieurs incidents dont quatre lors d'essais conduits dans des galeries au Sahara qui n'ont pas été totalement confinés, en particulier le 1er mai 1962 lorsque des retombées radioactives importantes ont été relevées dans une bande de plus de 150 Km. De quoi alimenter la polémique mais aussi de ramener la décision française à sa véritable portée qui a pour principal objectif de calmer ses propres troupes. Selon les spécialistes algériens, le nombre de victimes de ces essais augmente inexorablement, souvent dans l'anonymat. Ils dénoncent l'absence de dépistage et d'archives sanitaires qui contribuent à occulter les innombrables maladies comme le cancer et les décès, entraînés par les radiations. Pour rappel, la France a effectué son premier test en Algérie le 13 février 1960 à Reggane sous le nom de code «La Gerboise bleue».