- le 12 Juillet 2012
Mali
Jean-Louis Triaud est historien, spécialiste de l’islam dans l’Afrique subsaharienne. Il est professeur émérite à l’université de Provence. Le recours à la force armée au Mali contre les milices islamistes serait, selon lui, une plaie ouverte en Afrique de l’Ouest.
Comment des groupes touareg ont-ils pu s’agglomérer avec des groupes djihadistes ?
Jean-Louis Triaud. Le leader d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghali, est passé par l’Arabie saoudite. Il y a sans doute là une connexion explicative. D’autre part, lui-même a été l’un des principaux dirigeants du mouvement touareg il y a une dizaine d’années. Il est ensuite devenu l’interlocuteur quasi officiel du gouvernement malien. C’est un personnage important qui a voulu reprendre la main. Pour cela, il a créé sa propre organisation qu’il a conçue sous l’influence de ces modèles islamiques qu’il a rencontrés. Par ailleurs, al-Qaida pour le Maghreb islamique (Aqmi) est très présent dans le Sud algérien et n’est donc pas loin. Tout ce monde-là a des relations d’indépendance réciproque et en même temps de connivence. Pour des raisons religieuses, bien sûr. Et puis, il y a tout un tas de trafics qui traversent le Sahara depuis des années et tout le monde essaie d’y prendre sa part. La religion, c’est une antienne commode pour tenir un discours anti-occidental qui correspond certainement à la réaction d’un certain nombre de gens face au décalage qui s’est institué entre l’Occident et l’Afrique, par exemple.
Que sait-on des relations qui peuvent exister entre le MNLA, Ansar Dine, le Mujao ?
Jean-Louis Triaud. Entre Mujao et Ansar Dine, il y a une compétition, des divergences. Les bases ethniques et sociales ne sont pas exactement les mêmes. Le MNLA est traversé par des tensions. Il ne sait pas très bien comment faire avec les islamistes. Certains sont partisans du dialogue avec eux, d’autres sont partisans de l’affrontement. Tout cela est très fragile et très mouvant. Et on voit bien la divergence fondamentale entre le MNLA et Ansar Dine, dont l’un des porte-parole rappelait qu’il n’était intéressé que par la loi d’Allah. Ils sont donc en opposition pour le contrôle de ces régions, pour le pouvoir.
On parle de plus en plus d’une intervention militaire des États africains de la région. Est-ce une solution ?
Jean-Louis Triaud. Dans l’état actuel des choses, ce serait assez désastreux. Le Nigeria, par exemple, est un pays de forêts et de savanes. Il est difficile d’imaginer des troupes nigérianes dans le désert, et c’est vrai aussi d’autres forces de l’Afrique de l’Ouest. Je ne vois pas très bien comment on peut s’engager dans des guerres sahariennes qui sont par nature des guerres extrêmement longues, parce que les gens qui connaissent leur terrain auront toutes les facilités pour échapper aux raids venus de l’extérieur. Ce ne sera pas l’Afghanistan parce que l’histoire et les conditions sont différentes, mais en même temps c’est la même tentation de régler quelque chose par la force en croyant que ce sera plié en deux semaines, alors que ça va s’enliser. Sous Sarkozy, les services français ont armé le MNLA pour lui permettre d’écraser Ansar Dine et les islamistes. C’est une stratégie extrêmement dangereuse aussi qui risque d’être contre-productive. Il y a trop de liens locaux, sociaux, pour que le MNLA veuille véritablement régler leur compte aux autres. Une telle éventualité serait une plaie ouverte en Afrique de l’Ouest qui attirerait des tas de jeunes avides d’une nouvelle utopie, qui rejoindraient les camps islamistes. Ce serait une catastrophe.
Nouvelles destructions à Tombouctou. Les islamistes de l’organisation Ansar Dine, qui contrôlent le nord du Mali, ont détruit deux autres mausolées de Tombouctou, situés dans l’enceinte de la grande mosquée Djingareyber, qui date du XIVe siècle. Une dizaine d’activistes se sont présentés à bord d’un fourgon blindé, armés de pioches. Ils ont tiré en l’air pour chasser les badauds et ont entrepris de détruire les tombes. Ces destructions s’ajoutent à celles qui ont déjà visé d’autres hauts lieux historiques et religieux de Tombouctou. Ansar Dine estime que les sanctuaires soufistes relèvent de l’idolâtrie. Avec ses alliés, il a démoli au moins huit des seize mausolées répertoriés de Tombouctou, ainsi qu’un certain nombre de tombes.
- A consulter:
Islam et sociétés en Afrique subsaharienne à l’épreuve de l’histoire. Un parcours en compagnie de Jean-Louis Triaud, sous la direction d’Odile Goerg et Anna Pondopoulo. Éditions Karthala, 504 pages, 35 euros (www.karthala.com)