J'aime les rues d'Alger (1). Le boulevard Zirout Youcef, bien sûr, avec la mer à nos pieds, si bleue, sur laquelle veillent quelques paquebots en attente d'entrer au port. A droite ses arcades...La rue Didouche Mourad, ses magasins, ses terrasses de cafés et ses larges trottoirs ombragés où déambule à toute heure une foule de promeneurs en costume-cravate, ou des groupes de jeunes filles voilées et non voilées, ensemble...Mais la rue que je préfère est la rue Arbadji dans la basse Casbah. Bordée de boutiques où l'on trouve tout ce que l'on peut imaginer, de l'antique lampe Pigeon aux casquettes américaines et aux babouches multicolores; de la vaisselle, des fripes les plus invraisemblables et, mordant sur la chaussée, les étals des petits marchands, d'épices, de pâtisseries, de pièces de viande suspendues à des crochets, de légumes et de fruits dont la saveur est incomparable...Ce n'est pas le quartier des attaché-cases, mais celui du petit peuple, tchatcheur, moqueur, chaleureux. Une foule simple et bruyante, en djelaba ou en jean, où il faut jouer des coudes pour se frayer un passage. A droite, en descendant, l'escalier rendu célèbre par le film de Julien Duvivier avec Jean Gabin et Mireille Balin, forgeant à la Casbah, la réputation d'un repère de mauvais garçons, un "maquis" qui abritait Pépé le Moko. Ce "maquis" précisément résista avec héroïsme aux hordes en tenue léopard du Général Massu. Le souvenir encore si présent des martyrs de la guerre d'indépendance, flotte sur ces rues. Abderrahmane Arbadji fut un des tout premiers combattants de la Casbah, un des précurseurs de la Zone autonome, après avoir été quelques mois dans le maquis à Palestro. On dit qu'il serait devenu un responsable militaire important s'il n'avait été abattu le 18 février 1957. Son proche cousin, notre ami Mahmoud Arbadji, lui aussi ancien moudjahid responsable de la daïra de Bab El Oued, est avec son adjoint Kazmat Belkacem, notre précieux mentor dans la découverte des lieux de mémoire. Dans le prolongement de cette longue rue dont le ciel est peuplé d'une floraison de paraboles, la rue Ali Amari débouche sur une petite place que domine la façade de l'école Sarrouy, à l'angle de la rue Ourida Meddad. Une école comme les autres avec son portail en bois, sa cour que surplombent deux étages de balcons qui desservent les salles de classes. Ce lieu si tranquille dédié à l'étude (Krim Belkacem y étudia) fut, pendant la guerre d'indépendance, un lieu de supplices. Ici, le Capitaine Chabanne et le Lieutenant Schmidt qui deviendra le chef d'état-major des armées sous Mitterrand, torturèrent à mort des patriotes algériens. D'une de ces fenêtres, Ourida Meddad, elle avait 19 ans, se jeta dans le vide, pour échapper à ses tortionnaires. Lors de mon dernier voyage, j'ai pris cette photo, avec cette petite fille sur un des balcons...
(1) Lire "DJAZAÏR 2010" (Dans "Pages")