L’ensemble de la presse, en Algérie, se fait l’écho de la prochaine visite d’Etat du Président Hollande. Celle-ci, à de rares exceptions près, suscite un grand intérêt dans l’opinion publique algérienne, comme je l’avais constaté lors de mon dernier voyage.
Bien que le Président Bouteflika n’ait pas évoqué les questions « mémorielles » dans sa longue interview du 12 décembre dernier à l’Agence France Presse, il est évident que François Hollande devra faire des pas supplémentaires dans la condamnation de l’occupation coloniale, tant celle-ci est encore douloureusement présente dans la mémoire des Algériens ; sauf à les décevoir et à les faire désespérer de la France.
Qu’en sera-t-il ? Nous serons bientôt fixés puisque la visite a lieu mercredi 19 et jeudi 20 décembre. Le Président de la République française a, il est vrai, reconnu publiquement, et ce n’est pas rien, le crime qu’a constitué le pogrom du 17 octobre 1961. Sans pour autant dénoncer « un crime d’Etat ». Pour sa part, la majorité de gauche du Sénat français a voté la proposition de loi émanant des groupes socialiste et communiste, reconnaissant le 19 mars 1962, en tant que date officielle de la fin de la guerre d’Algérie. Ce sont de premiers pas, en rupture avec l’ère Sarkozy. Mais les Algériens attendent davantage pour se persuader que la page de la domination coloniale ou néocoloniale est définitivement tournée. Certains en doutent. L’hommage rendu au tortionnaire Bigeard par Jean-Yves Le Drian, Ministre de la Défense et certaines déclarations bellicistes de Laurent Fabius, Ministre des Affaires Etrangères concernant la Syrie et le Mali, donnent corps à ces doutes. On veut croire qu’il s’agit d’initiatives regrettables de certains Ministres et non d’une stratégie du Président de la République soucieux de ne pas « mettre tous ses oeufs dans le même panier ».
Sur le plan économique, le nombre de grands patrons qui seront du voyage, témoigne de l’importance que les deux Présidents attachent aux relations économiques. L’un et l’autre parlent de « partenariat gagnant-gagnant », « d’égal à égal », mais la presse algérienne (El Watan du 17/12/12) écrit que « La France est accusée de ne voir en l’Algérie qu’un marché pour ses produits dont elle est d’ailleurs le premier fournisseur », alors qu’ « en termes d’investissements directs, la France est à moins de 2 milliards d’euros, insuffisant, comparé à ce qui se fait au Maroc (plus de 8 milliards à la fin de 2009 ) ».
Certains investisseurs potentiels prennent prétexte de la règle dite des « 49/51% », en vigueur en Algérie, pour refuser d’y investir. Cette règle adoptée dans la Loi de Finance Complémentaire pour 2009 et confirmée en 2010, fait obligation aux entreprises étrangères de ne détenir que 49% du capital, 51% devant être souscrits par des Algériens. Cette règle a été instaurée par l’Etat algérien afin de préserver sa souveraineté économique. M. Cherif Rahmani, le Ministre algérien de l’Industrie, de la PME et de la Promotion de l’Investissement, lors d’une récente rencontre avec Jean-Pierre Raffarin, le délégué personnel de François Hollande pour l’Economie, a laissé entendre qu’elle pourrait être révisée. Il n’est cependant pas prouvé qu’elle soit un frein à l’investissement étranger. Le Premier ministre M. Abdelmalek Sellal fait remarquer qu’elle n’a pas réduit le flux des investissements étrangers directs (IDE) qui sont passés ces dernières années de 500 millions de dollars à 2,6 milliards de dollars. De grands patrons d’entreprises françaises, y compris le MEDEF, n’y sont plus hostiles, d’autant que l’Algérie est un pays solvable. En tout état de cause, certains économistes algériens font remarquer qu’il s’agit d’une barrière certes mais fragile, car il peut toujours se trouver un actionnaire algérien qui fasse cause commune avec l’investisseur principal étranger et surtout cela n’empêche pas l’entreprise de privilégier la rentabilité financière au détriment d’une gestion sociale au bénéfice des travailleurs algériens.
La presse annonce qu’une quinzaine de contrats seraient signés à l’issue de cette visite, notamment le projet d’usine Renault, mais on note que le PDG du groupe, M. Carlos Ghosn ne fait pas partie de la délégation présidentielle.
Au plan international, les Algériens ont apprécié que la France ait voté à l’ONU, pour l’admission de l’Autorité palestinienne comme Etat observateur. Des divergences, par contre, existent au sujet de la Syrie et du Mali, où la France préconise des interventions armées, option que l’Algérie ne partage pas. Au Mali, où des négociations sont en cours pour trouver une issue pacifique qui préserve l’unité du pays, c’est, jusqu'à maintenant, la position algérienne qui prévaut. Espérons qu’une guerre sera évitée. Quant au Sahara occidental, il est grand temps que la France soutienne, comme l'Algérie, la position de l'ONU favorable à l'autodéternination.
Bien d’autres sujets seront évoqués, notamment la question des visas dont le pourcentage de refus par les autorités françaises est un des plus élevés. C’est un sujet important car il conditionne l’essor des échanges de peuple à peuple, entre parents, associations, universitaires, artistes, groupes culturels, etc.
Et si les deux chefs d’Etat décidaient de donner la priorité à ce volet des relations algéro-françaises ?
Bernard DESCHAMPS
18 décembre 2012