Dans un texte récent, Patrice Bessac, dirigeant national du PCF, aborde ce qu’il appelle : « La racialisation du débat politique français. » Ce sujet est également repris dans le texte du Comité national du PCF soumis au 36e congrès. Sujet complexe rarement évoqué en dehors de cercles intellectuels restreints. Ce n’est pourtant pas une question secondaire donc mineure. En effet, selon que l’on considère les difficultés rencontrées, par exemple, par les jeunes des quartiers populaires, comme étant le résultat d’une politique de classe ou comme le seul prolongement des politiques coloniales du passé, l’éventail des victimes ne sera pas le même, ni les responsables de ces difficultés. Dans un cas, on considère que tous les jeunes du quartier sont confrontés à la déscolarisation, au chômage, à la mal vie. Dans l’autre, que seuls les jeunes « issus de l’immigration » sont des victimes, ce qui restreint le champ des alliances et des luttes.
Patrice Bessac note avec raison que : « à droite on ethnoculturalise la francité autour de la blancheur et de la chrétienté », ce qui nie les apports des populations nouvelles et encourage la xénophobie. De son côté, « l’abandon d’ambition [par le PS, ndlr] d’un profond changement social [provoque] le passage d’une lecture de classe de la société française » à une lecture ethniciste. « Cela répond à un besoin profond du capitalisme dans la situation actuelle […] Les individus sont enfermés dans des politiques identitaires » qui les divise et les affaiblit dans leurs luttes.
Les deux textes ont le mérite et le courage de mettre ces questions sur la table afin que chacun s’en empare. Il était effectivement urgent de remettre la notion de classe au cœur de nos analyses.
Dans le même temps je m’interroge. En remettant l’accent sur la notion de classe, Patrice Bessac ne mord-il pas un peu le trait et ne sous-estime-t-il pas la dimension spécifique des discriminations à caractère racial. Le jeune immigré est doublement exploité, comme jeune issu du peuple et comme enfant de l’immigration. Les contrôles de police au faciès, les discriminations à l’embauche mais aussi dans certains lieux de loisirs, cafés, boites de nuit, etc, sont une réalité. Cela doit être pris en compte.
La notion d’égalité que recouvre le concept de citoyen, ne signifie pas le nivellement, le rejet des particularités, l’oubli des cultures traditionnelles transmises par les familles. Les immigrations italiennes, puis espagnoles ont apporté avec elles des sensibilités, des habitudes, des styles de vie, une démarche de pensée dont nous nous sommes souvent imprégnés et qui nous ont enrichis. Cela n’a pas favorisé le communautarisme. Pourquoi le refuser à l’immigration plus récente ? Parce qu’elle est majoritairement africaine, maghrébine et musulmane ?
Il faut jeter par-dessus bord les politiques multiculturelles, nous dit Patrice Bessac. Attention danger. C’est en niant le multiculturalisme que l’on encourage par réaction le communautarisme et la violence identitaire. « Puisque le voile est interdit, je vais le porter. » nous disent des jeunes filles et des femmes. Non seulement il ne faut pas interdire, mais dans certains cas, il faut encourager. Par exemple, il est très dommageable, y compris pour l’apprentissage du français, que la langue arabe ne soit pas enseignée dans nos écoles. Et il est très dommageable que l’histoire de la colonisation soit si peu et parfois si mal enseignée, car cela valoriserait aux yeux des enfants dont les parents sont originaires des anciennes colonies, leurs ancêtres si communément dévalorisés.
Le PCF a le mérite de soulever un vrai problème, mais, comme il se produit souvent quand on redresse la barre, le risque existe de mordre le trait dans l’autre sens.
En résumé, la société est fondamentalement divisée en classes antagonistes, mais sur cette base ne nions pas les spécificités.
Bernard DESCHAMPS, 01/11/2012