PÂQUES
J’aime « Pâques », bien que je ne sois pas croyant. Pas seulement à cause du printemps et de la vie qui renaît. J’aime ce symbole chrétien, alors que je suis athée, pas agnostique, athée. J’aime l’histoire de cet homme simple Jésus, qui n’était pas le fils de « Dieu » et qui fut martyrisé par l’occupant de son pays parce qu’il refusait de se renier. Bien évidemment, il ne ressuscita pas le troisième jour. Son corps était bien mort, mais les valeurs qu’il avait portées lui survivaient : « Aimez vous les uns les autres », « Tu ne tueras point »…Il est aussi celui qui avait chassé les marchands du Temple. Ce qui, vous en conviendrez est toujours d’actualité. Au propre comme au figuré. Ainsi des femmes, des hommes, dans l’histoire, ont porté plus haut que d’autres des valeurs de civilisation : Jésus, Mahomet, Marx et bien d’autres…C’est pour cela que j’ai confiance en l’Etre humain, dans sa capacité à se dépasser (c’est le sens originel du mot arabe jihâd). Cela implique des efforts parfois douloureux que certains n’ont pas la force d’accomplir. Je suis donc réaliste. Il existe aussi malheureusement des criminels, mais même dans ce cas, la « rédemption » - pour utiliser un concept théologique - est toujours possible, sans intervention divine, mais à condition que la société s’en donne les moyens qui ne sont pas, dans la plupart des cas, l’enfermement, ni en aucun cas la peine de mort.
Dimanche, les enfants de notre famille viendront participer à la chasse aux œufs qui n’auront pas été semés par les cloches revenant de Rome, mais que j’aurai cachés dans mon jardin. L’œuf, Etre vivant en devenir, prêt à éclore pour peu qu’on lui apporte chaleur donc amour.
LE VOILE
Selon un sondage réalisé entre le 19 et le 21 mars 2013 par l’IFOP, 84% des Français seraient favorables à une aggravation de la loi sur le voile dit « islamique ». En 2006, 54% étaient contre cette loi ; seulement 4% aujourd’hui. Je fais partie de ces 4%, comme je faisais partie hier des 54%. L’islamophobie – car il s’agit bien de cela ; en effet les mêmes ou presque ne sont pas hostiles au voile des religieuses catholiques - l’islamophobie qui va de pair avec le racisme anti-arabe a progressé depuis sept ans. C’est le résultat, de la crise économique qui favorise la recherche irresponsable de boucs émissaires, mais aussi de la propagande du Front National désormais relayé par la Droite qui se dit républicaine. Mais quand un gouvernement socialiste poursuit la politique de ses prédécesseurs, diffère la mise en œuvre de sa promesse du droit de vote pour les élections locales aux résidents français non communautaires, ou poursuit la pratique des expulsions et le refus de la régularisation des sans-papiers, il ne faut pas s’étonner si la xénophobie et le racisme progressent dans notre pays. Certains s’en émeuvent aujourd’hui, qui s’étaient tus lors des manifestations contre notre colloque sur la guerre d’Algérie en mars 2012. Certains mêmes, ministres de l’époque et hauts fonctionnaires avaient tout fait pour torpiller ce colloque. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Je m’en réjouis donc. La leçon, me semble-t-il, à en tirer est que la lutte contre les idées xénophobes et racistes est incontournable et que cela passe par un débat d’idées quotidien. Des associations comme France-El Djazaïr et d’autres (qui n’ont pas été associées par la préfecture du Gard à la Semaine de la Fraternité ) ont donc bien leur raison d’être. Leur tâche est loin d’être terminée.
CONSTANTINE et OUARGLA
Le jeudi 14 mars, un millier de chômeurs (3000 selon les organisateurs) ont manifesté à Ouargla en brandissant le drapeau algérien, le drapeau de l’indépendance. Le dimanche 23 mars, Constantine a répondu à un mot d’ordre de grève générale à la suite du kidnapping et de la mort de deux enfants de 9 et 10 ans. Des extrémistes ont tenté de dévoyer cette manifestation en attaquant les forces de l’ordre. Tous les journaux algériens, de l’opposition comme ceux favorables au pouvoir, ont noté le calme de la police en dépit de plusieurs blessés dans ses rangs. Elles ont noté également l’échec de cette tentative de détournement qui n’a pas réussi à transformer la manifestation en émeute. Une trentaine de personnes ont été arrêtées, manipulées semble-t-il par des salafistes dont plusieurs n’étaient pas algériens. Ces deux évènements, à Ouargla et à Constantine, témoignent du sens des responsabilités du Peuple algérien attaché à sa patrie et qui refuse de se laisser entraîner dans une aventure dangereuse.
Comme en France, certains en Algérie réclament le rétablissement de la peine de mort qui existe toujours dans le code pénal algérien mais n’est plus appliquée depuis 1993, selon Amnesty International.
FOLCOCHE
Vous souvenez-vous de Folcoche et de Brasse-Bouillon ? Jean-Pierre (je vous parlerai de lui un jour prochain) m’a rappelé que sur le bateau qui nous ramenait du Maroc où nous avions été remobilisés dans l’armée en 1955, nous avons passé une partie de la nuit sur le pont à bavarder et que je lui avais dit tout le bien que je pensais du roman d’Hervé Bazin, « La mort du petit cheval ». A ma grande honte, je ne m’en souvenais pas et j’avais complètement chassé de ma mémoire le titre même de l’ouvrage, alors que j’avais conservé un souvenir assez précis de « Vipère au poing ». Comment expliquer cela ? Je viens de relire l’un et l’autre. En 1955, j’étais marié depuis un an, Frédéric venait de naître et je me retrouvai parfaitement dans le bonheur simple de Jean et de Monique de « La mort du petit cheval », y compris dans l’intérêt que Jean portait aux jeunes délinquants. C’était ma période « Graine de crapule » que je prolongerai, quelques années plus tard par « Poème pédagogique ».Par contre, pour diverses raisons personnelles, j’avais été déstabilisé par la cruauté de « Vipère au poing » qui cependant m’avait marqué comme au fer rouge et laissé son empreinte dans ma mémoire. Cinquante-sept ans plus tard, je l’ai relu d’une traite, avec passion et beaucoup d’intérêt. J’y retrouve les parfums, les couleurs, l’atmosphère, l’ambiance d’une région et d’une époque que je connais bien. Les noms des lieux me sont familiers, Doué-la-Fontaine, le Maine-et-Loire, les Deux-Sèvres, la Vendée… Les lourds nuages noirs venus de l’océan, les haies épaisses, les chemins creusés d’ornières boueuses du pays chouan…La description féroce d’une société qui certes mutait – c’était au lendemain de la Libération et on lisait l’Humanité et le Populaire - mais portait encore les stigmates de la société ancienne. La rigidité, la méchanceté et la cruelle ingéniosité de Folcoche, la mère, ne sont pas que des traits de son caractère, c’est l’archétype d’une certaine bourgeoisie décrite avec l’acidité que la haine procurait à l’auteur qui, dans ce roman autobiographique, règlait des comptes avec sa famille. La personnalité combative et radicale de Brasse-Bouillon (Jean Rezeau) emprunte aussi à la Résistance toute proche (la première édition de l’ouvrage date de 1948). Ah ! le bonheur des formules telles que : les pistolétades…Ce roman pourrait aussi se lire comme une chronique de l’occupation et de la résistance. La morgue de l’occupant (la mère), la collaboration de la bourgeoisie (le père), les compromissions du clergé, que certains refusent (les précepteurs), les audaces d’un Résistant (Brasse-Bouillon), la pusillanimité du Français moyen (ses frères). A la limite ce pourrait être un recueil des farces infligées à l’occupant par une certaine « résistance passive », voire une transposition aquatique du déraillement d’un train…J’ai beaucoup ri en le relisant, ce qui n’avait pas été le cas en 1950-51. Le style de « Vipère au poing » n’a pas vieilli. Je me permets de vous recommander de découvrir ou de relire Hervé Bazin.
Bernard DESCHAMPS
30 mars 2013, 00h.08