Des amis m'ont appelé hier soir d'Algérie pour me dire leur satisfaction de l'élection de François Hollande. Les journaux algériens, dans leur diversité, proches du pouvoir ou dans l'opposition, expriment ce matin le même sentiment qui reflète ce que pensent la plupart des Algériens. Sarkozy et Juppé leur avaient manifesté tellement de mépris, qu'ils sont heureux de leur échec.
Le Président Bouteflika, dès l'annonce des résultats, a adressé au nouveau Président de la République française, un message de félicitation dont peu de journaux français font état. Il y déclare notamment : "...j'ai le plaisir de vous adresser au nom du peuple et du gouvernement algérien et en mon nom personnel, nos chaleureuses félicitations ainsi que nos voeux de succès dans l'accomplissement des hautes charges dont vous venez d'être investi [...] Je veux également vous exprimer ma pleine disponibilité à oeuvrer, avec vous, en faveur d'une coopération algéro-française qui soit à la hauteur des potentialités des deux pays et en adéquation avec la dimension humaine de nos relations et du partenariat d'exception que nous ambitionnons de construire."
Ce message dont on notera, au-delà des termes protocolaires tous mûrement pesés, la très grande cordialité, répond, nous en avons maints exemples, aux souhaits du peuple et de l'Etat algérien qui aspirent à des relations privilégiées avec la France et les Français.
Evidemment beaucoup s'interrogent sur ce que sera la politique de Hollande à l'égard de l'Algérie. Comment pourrait-il en être autrement, au regard de l'histoire et des souvenirs douloureux laissés par Guy Mollet, François Mitterrand et Robert Lacoste. Une méfiance compréhensible subsiste à l'égard des socialistes français. Les 60 engagements, les déclarations et les interviews du candidat Hollande, permettent de se faire une première idée générale qui méritera cependant d'être précisée et confirmée par des actes.
A plusieurs reprises et nous nous en réjouissons, François Hollande a indiqué, vouloir instaurer entre Paris et Alger des "relations apaisées", après les relations tumultueuses avec Sarkozy et Juppé. Contrairement à son prédécesseur, et cela inquiétait fort Alger, il n'envisage pas, pour l'instant, de renégocier l'accord de 1968 relatif aux visas des Algériens désireux de séjourner en France.
Concernant le passé colonial de la France, il se dit "prêt à faire un geste important". On sait combien cela est attendu par un peuple qui a terriblement souffert des 132 ans de présence coloniale française et qui en porte encore les stigmates. C'est un des points en faveur desquels agit notre association France-El Djazaîr qui s'est créée en réaction à la loi du 23 février 2005 sur les prétendus "bienfaits de la colonisation".
Les Algériens sont également sensibles à sa décision de retirer les troupes françaises d'Afghanistan "avant la fin de 2012", alors que Sarkozy s'alignait sur le calendrier des Etats-Unis. Par contre, François Hollande n'est pas opposé à une intervention militaire en Syrie "si l'ONU le décide" et l'on n'a pas oublié le refus des députés socialistes de voter contre l'intervention militaire de la France et de l'OTAN en Libye.
Sur la question palestinienne particulièrement sensible en Algérie, l'ex-candidat socialiste a indiqué en décembre 2011, au Président M. Abbas, qu'il est "en faveur d'un processus conduisant à la paix au Proche-Orient, à un état palestinien viable et à la sécurité d'Israël.", ainsi qu'à "la reconnaissance internationale de l'Etat palestinien."' (Nouvel Obs,18 avril 2012), mais il ne remet pas en cause la politique actuelle de la France "qui a de bonnes relations bilatérales avec Israël, quel que soit l'état du processus de paix" (Pascal Boniface,02 mai 2012). Or l'expérience nous enseigne que si la "communauté internationale", notamment les USA et l'Union Européenne, ne prennent pas de sanctions à l'égard d'Israël, la colonisation des territoires palestiniens va se poursuivre.
Enfin, François Hollande "veut relancer l'Union pour la Méditerranée sur des bases solides et avec des objectifs précis dans le domaine économique et politique. [ Il ] veut faire de l'UPM un univers d'échanges entre le Grand Maghreb et l'Europe dont la france". En d'autres termes il ne remet pas en cause l'orientation néo-libérale du traité de Barcelone et de l'UPM qui visent à instaurer une zone de libre échange entre les deux rives de la Méditerranée qui serait catastrophique pour les pays du Sud dont l'Algérie.
François Hollande dit aimer l'Algérie où il a séjourné à plusieurs reprises et récemment encore pour rencontrer, avant qu'il disparaisse, Ahmed Ben Bella. Enfin, il a missionné il y a quelques jours à Alger, une délégation de responsables socialistes de haut niveau, dont la nouvelle Vice Présidente du Sénat, Mme Bariza Khiari, Secrétaire nationale du PS chargée de la coopération, qui a la double nationalité algérienne et française. Mme Bariza Khiari est laïque et musulmane. C'est un choix qui témoigne de la volonté du nouveau Président de tenir compte de la place de l'islam dans l'histoire de l'Algérie.
A l'évidence, nous allons assister à un changement de style. La démarche sera différente de celle du Président sortant. Les changements ne seront-ils qu'à la marge, ou bien seront-ils plus profonds comme nous le souhaitons. Cela va dépendre pour une part de nos initiatives et de la volonté du nouveau Président. Les prochains sommets de l'OTAN (20 et 21 mai) et du G20 (juin), nous fourniront, à cet égard, de précieuses indications sur sa capacité à promouvoir un nouveau cours à la marche du Monde. La France en a la force et les moyens.
Bernard DESCHAMPS
Président d'honneur de France-El Djazaïr
Ancien député, membre de la Commission des Affaires Etrangères