J'avoue. Je ne connaissais pas la peinture de Françoise Gilot. A la vérité, des huit compagnes de Picasso, c'est Jacqueline qui m'a toujours fasciné. Dora Maar aussi, mais surtout Jacqueline qui accompagna le maître durant les dernières années de sa vie qui furent d'une prodigieuse créativité et lui inspira des portraits inoubliables. Le profil et les yeux de Jacqueline ! Elle est pour moi la muse! Démarche évidemment teintée de machisme, car elle ne voit en la femme que l'inspiratrice. A ma décharge, précisons que j'ai éprouvé mes premères émotions picturales avec Picasso qui a illuminé mon adolescence. Il était - il est toujours, mais pas seul - pour notre génération, le phare, le défricheur qui explose les dogmes de la beauté, déconstruit et réinvente, donne à voir derrière les apparences. Un révolutionnaire en peinture et en politique. Cette dernière dimension n'était pas étrangère à l'admiration que nous lui portions (et que je lui voue toujours) au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, alors que nous rêvions d'une autre société pour la France et puis, en ces temps de décolonisation, certaines de ses oeuvres inspirées des arts africains nous le rendaient éminemment sympathique. Je n'avais d'yeux que pour Picasso et ses compagnes, pour moi, étaient secondes. J'étais donc curieux de faire la connaissance des oeuvres de Françoise Gilot. Comment avait-elle pu s'affirmer au côtés de "l'ogre" ? J'étais d'autant plus curieux que leurs années de vie commune, 1943/46-1953, sont celles au cours desquelles Picasso s'affirme comme Communiste. Il adhère au PCF en 1944 et écrit dans le journal L'humanité qu'il y a été conduit par la guerre d'Espagne contre le franquisme et son admiration pour les Résistants français au nazisme. Quelle place tenait Françoise Gilot dans cet engagement ?
L'exposition de ses oeuvres n'apporte, ni même ne suggère, aucune réponse à cette interrogation. Elle peint des natures mortes, des vases, des fleurs, ses enfants, Claude et Paloma, des ustensiles de la vie courante. Aucune tonalité politique ne perce. Aucune allusion aux évènements du monde en cette époque de guerre froide qui peut, à tout moment, déboucher sur une conflagration atomique mondiale. L'affrontement entre les USA, les Occidentaux et l'URSS se durcit. La guerre fait rage en Indochine dont la France refuse l'indépendance et qui combat sous la direction de l'Oncle Hô et du PC Indochinois pour son droit imprescriptible à la Liberté. La guerre américaine en Corée menace la Paix du Monde. Picasso participe en 1948 au Congrès des Intellectuels pour la Paix à Wroclaw et peint en 1949 la Colombe de la Paix qui n'est pas sans rappeler le visage de Françoise. Il réalise les fresques de Guerre et Paix à Vallauris en 1952. Et, en contrepoint des scènes de guerre hallucinantes de douleur, il peint de nombreux portraits de Françoise: Femme à la résille en 1946 et Femme aux cheveux verts en 1949 (ci-contre); Femme dans un fauteuil (1947); Femme au soleil; Femme au noeud dans les cheveux (en haut à gauche); Françoise...Tout y est rondeurs et douceur. Les yeux ! Les yeux et les cils de Françoise ...
En 1953, à la demande du poète Louis Aragon, il dessine pour Les lettres françaises le visage de Staline qui vient de mourir. Un visage jeune, légèrement souriant, émouvant. Mais stylisé et dont la ressemblance avec le modèle n'est pas évidente. C'est le drame. La direction du PCF s'insurge contre ce qu'elle considère, en ces temps de"réalisme socialiste", comme un sacrilège. Aragon, quelle tristesse, fait son autocritique. Nous étions ainsi en ce temps là !
C'est à cette époque que Françoise Gilot quitte Picasso et part à Paris avec leurs deux enfants. Je ne crois pas que la rupture ait été politique. Elle le quitte car la vie est devenue insupportable. Françoise Gilot a toujours été jalouse de sa liberté. Elle avait d'ailleurs rompu avec son père, peu de temps avant sa rencontre avec Picasso. Elle a toujours voulu s'affirmer en tant que peintre. Elle va donc poursuivre son activité et devenir, selon certains critiques, "une figure maîtresse dans le monde de l'art" du XXe siècle. Féministe donc et c'est tout à son honneur, car avec la personnalité dévorante de Picasso, cela ne devait pas être facile.
Elle a un joli coup de crayon. J'ai aimé: Portrait de famille (1947) et Autoportrait (1949). Figurative avant Picasso: Ma mère sur fond jaune, elle empruntera à son seigneur et maître, certains traits de son style: Nature morte (1946); Claude dans son parc (1948); La leçon de lecture (1953); s'en évadant parfois et faisant preuve d'originalité: Claude une fleur à la main (ci-contre, 1951). Je ne suis pas du tout sensible à ses oeuvres plus récentes: La pluie et beau temps (1998) dont l'oiseau est loin d'avoir la force suggestive de la Colombe de Picasso ! Totem (2008)...Elle a par contre un art de la disposition des couleurs (ci-dessous). Désormais citoyenne américaine, elle a été admise par ses pairs à la National Académy of Design New York.