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16 juillet 2012 1 16 /07 /juillet /2012 19:47

 

syrte-detruite-photo-afpLa revue trimestrielle Raison Présente éditée par l'Union Rationaliste publie deux numéros (181/182) sur "Les printemps arabes et le Monde".

(Pour s'abonner: Nouvelles Editions Rationalistes, 14, rue de l'Ecole-Polytechnique, 75005 Paris)

 

Parmi les nombreuses communications, mon texte:

    

                        

IL NE FALLAIT PAS INTERVENIR MILITAIREMENT

                                             

 

  L’intervention militaire de l’OTAN en Libye, sous l’égide de l’ONU,  pose une série de questions qu’on ne saurait éluder, car l’avenir des relations internationales dépend des réponses qu’on leur apportera. Fallait-il intervenir militairement en Libye ? Toutes les possibilités de négociations étaient-elles épuisées ? La résolution 1973 était-elle fondée au regard du « droit de protéger » ? A-t-elle été respectée par les puissances intervenantes ? Comment concilier le « droit de protéger » et l’article 1 de la Charte de l’ONU sur « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ?

   9 600 raids aériens de l’OTAN . Des dizaines de milliers de bombes. En dépit de l’incertitude sur les chiffres, en  raison de l’extrême discrétion de l’Otan, il est généralement admis que des milliers de civils sont morts sous le prétexte de venir en aide à une population dont on a délibérément surévalué le nombre de victimes de Kadhafi, comme l’affirmait en juin 2011, Donatella Rovera au nom d’Amnesty International . Plusieurs villes importantes sont en ruine. Syrte, selon Marc Bastian journaliste à l’AFP est « une ville ravagée, détruite, dans un état hallucinant. »  Tous les observateurs conviennent que la situation actuelle en Libye est dramatique. Le rapport de la Commission d’enquête de l’ONU pointe des crimes de guerre perpétrés par les deux parties, à la fois par Kadhafi et par les rebelles. C’est la loi du talion qui désormais règne en Libye. Enlèvements, meurtres, tortures, continuent contre les partisans supposés du dictateur et contre les étrangers, notamment africains. Une journaliste rapporte que l’ancien ambassadeur de la Libye aux Nations Unies, M. Abuzet Omar Dorda, arrêté en septembre 2011, a lui-même été torturé.  Les affrontements meurtriers entre tribus se multiplient. Le 6 mars dernier, le Congrès du Peuple de Cyrénaïque s’est prononcé pour l’autonomie de cette  province de l’est qui dispose des 4/5 des ressources en pétrole et en gaz du pays.  L’unité de la Libye, hier maintenue par le régime de la Jamahiriya qui n’était certes pas conforme aux canons occidentaux de la démocratie, est gravement menacée. En cas de partition, comment sera répartie la rente pétrolière qui assurait aux Libyens un des niveaux de vie les plus élevés d’Afrique ? Que deviendront les populations  des régions les plus pauvres ? Depuis l’intervention extérieure, ce sont les milices armées qui font régner leur loi. Le commandant de la Commission militaire de Tripoli, Abdelhakim Belhadj, formé dans les camps d’entraînement d’Afghanistan, était un  cadre du Groupe Islamique Combattant en Libye, dans les années 1990. Le Conseil National de Transition,  selon l’ancien ambassadeur Patrick Haimzadeh, « principalement reconnu par la communauté internationale et non par le peuple libyen »   est, de ce fait,  dans l’incapacité de rétablir l’ordre. Par contre, le jour même de la  proclamation de la « libération », le 23 octobre 2011, sa première décision fut de proclamer  que la nouvelle législation serait fondée sur la  shari’a , avec ses aspects les plus rétrogrades, dans un pays qui tenait l’islam radical à distance. La polygamie sera désormais autorisée, le divorce interdit. Les femmes adultères pourront être lapidées. Tranchera-t-on la main des voleurs comme en Afghanistan et en Arabie Saoudite ? Des dizaines de milliers d’armes lourdes (missiles sol-air, lance-roquettes, etc) ont été accaparées par des groupes  de trafiquants et beaucoup sont aux mains  d’AQMI, aggravant la situation sécuritaire de cette zone sensible et menaçant la fragile stabilité des pays limitrophes.

  Il parait difficile, dans ces conditions, d’organiser démocratiquement en juin 2012 l’élection d’une assemblée constituante. Comment  d’ailleurs, pourrait-on dans ce but faire confiance au  CNT dont le président Mustafa Abdel Jalil, fut sous Kadhafi,  le ministre de la justice qui fit condamner à mort les infirmières bulgares et un médecin palestinien.

  Le bilan de l’intervention militaire de l’OTAN  est lourd, très lourd et il a encore accentué la mauvaise image  des Occidentaux en Afrique, alors qu’il existait des possibilités de dialogue et de règlement pacifique. L’Afrique du Sud et la Turquie notamment proposaient leur médiation. Le CNT les a systématiquement  refusées avec le soutien de la France, de l’Angleterre et des Etats-Unis qui lorgnaient sur les importantes richesses du pays (pétrole, gaz naturel, gypse...) Les ressources onshore en hydrocarbures étaient estimées en 2011 à plus de 50 milliards de barils et les ressources offshore, à 150 milliards de barils. Or, selon la revue Jeune Afrique du 10 juin 2010, « Le Vieux Continent doit accroître son approvisionnement en gaz de 100 à 120 milliards de m3 par an d’ici 2020 (soit 30% de plus qu’aujourd’hui.) » et la revue ajoutait : « L’Europe [qui] veut avant tout réduire sa dépendance croissante à l’égard du gaz russe, lorgne notamment du côté de l’Asie Centrale et de l’Afrique du Nord. »

  L‘intervention militaire fut déclenchée sur la base de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, afin « d’interdire à tout aéronef enregistré en Jamahiriya arabe libyenne […] de survoler »  le territoire de la Libye.  Cette résolution fut adoptée à la majorité,  moins les abstentions de l’Allemagne, du Brésil, de la Chine, de l’Inde et de la Russie. La résolution précise : « Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. » Ce chapitre est relatif à : « L'action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression. » Or, en l’occurrence, il ne s’agissait ni d’un acte d’agression, ni d’une menace contre la paix, mais d’une révolte intérieure à la Libye. Pour justifier la résolution 1973, on a aussi évoqué les risques encourus par la population.  Le Document final adopté à l’unanimité par le Sommet mondial qui s’était tenu en 2005, consacre les Articles 138, 139 et 140, au « Devoir de protéger des populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité. » Si graves soient les crimes commis par Kadhafi, aucun – jusqu’à preuve du contraire – ne relève de ces catégories. On peut donc affirmer que la résolution 1973 n’avait aucune base juridique en droit international. Certes, elle faisait référence à la résolution 1970 qui décrétait l’embargo sur les armes à destination de ce pays, mais cette résolution  ne peut constituer la base juridique qui remettrait en cause l’Article 1 de la Charte de l’ONU sur le « droit [des peuples] à disposer d’eux-mêmes. », ni l’Article 2-7 qui précise : « Aucune disposition de la présente charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat. » La résolution 1973, loin d’être  «  une avancée du droit international », constitue donc un recul par rapport aux fondements de la Charte. Fait plus grave, la résolution 1973 n’a pas été respectée. Elle excluait toute intervention au sol et ne se proposait pas d’abattre le régime de la Jamahiriya.  Un pouvoir illégitime, la CNT, a cependant été reconnu et Kadhafi assassiné.    En fait les objectifs de l’OTAN étaient bien d’abattre ce régime afin de faire main basse sur les richesses de ce pays. Cette intervention constitue une menace grave pour d’autres Nations.

  Comment dès lors se prémunir contre de telles menaces ?  Tout d’abord en respectant à la lettre les textes fondamentaux : le « droit de protéger » n’est pas « le droit d’ingérence » et tous les crimes ne constituent pas un génocide. Mais il restera toujours une marge d’appréciation qui est, actuellement, de la responsabilité du Conseil de Sécurité. Il convient donc de réfléchir à une composition de celui-ci qui soit plus représentative de la communauté internationale et il me parait indispensable que, sur les cas litigieux, l’Assemblée Générale soit systématiquement habilitée à prendre les décisions. En l’absence d’une telle évolution, le cas libyen risque de se reproduire et de conforter les visées néo-colonialistes des grandes puissances.

Bernard DESCHAMPS

Ancien député, membre de la Commission des Affaires étrangères.

 

 



















 

 

 





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