22 octobre 2012
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| par Pierre Morville (Le Quotidien d'Oran) Délégué syndical CGC (Confédération Générale des Cadres)-Chroniqueur en géopolitique. Début décembre, le chef de l'Etat français se rend en Algérie. Une bonne occasion pour revoir la dernière décennie des relations franco-algériennes Le dimanche 2 mars 2003, Abdelaziz Bouteflika et Jacques Chirac initiaient une nouvelle ère des relations franco-algériennes : « Conscientes de l'extrême densité et de la richesse exceptionnelle des liens multiformes qui les unissent tout en assumant pleinement le legs du passé et soucieuses d'inscrire leurs relations dans une vision novatrice résolument tournée vers le progrès et l'avenir, adossée aux valeurs d'amitié, de solidarité et de coopération, la France et l'Algérie veulent s'engager dans la construction d'un avenir partagé ». La « déclaration d'Alger » ouvrait la porte à un « traité d'amitié » qui devait être conclu dans les mois qui suivaient. Les termes avaient toute leur puissance symbolique. La France en effet n'a signé en effet qu'un seul traité d'amitié, et ce avec l'Allemagne, ennemi tutélaire. En 1963, Charles de Gaulle et Konrad Adenauer ont signé le « traité de l'Elysée » qui scellait l'amitié franco-allemande. Ce qui parait aujourd'hui une banalité ne l'était pas à l'époque. En un siècle, trois guerres, dont deux mondiales -1870, 1914-18, 1939-45, avaient vu s'affronter Français et Allemands, au prix de millions de morts. Les signataires de la Déclaration d'Alger avaient également la particularité d'avoir personnellement été des acteurs directs de la guerre d'indépendance, Abdelaziz Bouteflika dans les rangs de l'ALN, Jacques Chirac, comme jeune officier de l'armée française. La page se tournait enfin et l'amitié l'emportait sur les rancœurs. Et puis, et puis plus rien ! Le traité d'amitié ne fut jamais signé par les deux parties. « TRAITE D'AMITIE » : RAPPEL DU PROJET A la veille de la venue de François Hollande, programmé début décembre, il n'est pas inintéressant de revisiter ce projet mort-né « d'amitié ». Quatre volets étaient prévus, dessinant une véritable coopération franco-algérienne. Dans cette déclaration, l'Algérie et la France convenaient d'un accord supérieur à celui qui lie l'union européenne « 1 Un dialogue politique renforcé au service d'une vision novatrice et ambitieuse des relations internationales : ( ) A cet effet, les deux pays envisageront de concert les actions à mener, tant sur un plan bilatéral que multilatéral, pour assurer la prévention et le règlement des conflits, faire prévaloir le droit international, lutter contre le terrorisme international, relever les défis du développement et faire face aux enjeux liés à la mondialisation. » « A cet égard, la France et l'Algérie entendent : - Favoriser ensemble, et si besoin est en concertation avec les autres pays de la région, la construction de l'Union du Maghreb arabe, soutenir à cet effet les efforts d'intégration dans les pays du Maghreb, tout en encourageant un plus grand rapprochement et une coopération renforcée entre l'Union du Maghreb arabe et l'Union européenne. - Mettre en valeur la solidarité entre les deux rives de la Méditerranée à travers les enceintes de coopération régionale appropriées, en particulier le processus de Barcelone, le Forum méditerranéen et le cadre de dialogue et de concertation 5+5. - uvrer de concert en faveur de la préservation de la stabilité, de la paix et du développement en Afrique, notamment à travers une implication active des deux pays dans l'appui à la mise en œuvre du Nouveau partenariat pour le développement en Afrique (NEPAD). Dans ce contexte, la coopération entre la France et l'Algérie constituera un point d'appui essentiel à l'expression pleine et entière des relations d'ensemble entre les deux pays. - Renforcer à travers leur coopération, les valeurs essentielles de démocratie et de respect des Droits de l'Homme. » 2 - Partenariat économique : La France et l'Algérie, conscientes que les échanges économiques doivent concourir à la prospérité commune et au développement, décident d'établir un partenariat économique privilégié, fécond et mutuellement avantageux, fondé sur : - L'encouragement des investissements directs français en Algérie. - L'appui institutionnel aux réformes économiques entreprises par l'Algérie. - La mobilisation des instruments de financement adaptés pour les grands projets d'infrastructures programmés en Algérie et l'appui français pour la mobilisation d'autres financements concessionnels auprès des institutions financières internationales et leur mise en synergie. - Le transfert de technologies et de savoir-faire des entreprises françaises, notamment dans les secteurs de l'énergie, de l'eau, des transports, de l'habitat et de l'urbanisme et les nouvelles technologies de l'information et de la communication, dans le cadre de la promotion de relations économiques et commerciales exemplaires. 3 - Une coopération culturelle, technique et scientifique rénovée : La France et l'Algérie entendent : - Renforcer leur coopération culturelle, technique et scientifique, dans le cadre du comité mixte des projets et des financements du Fonds de solidarité prioritaire. Cette coopération qui doit s'inscrire dans le cadre de l'appui aux réformes décidées et engagées en Algérie, contribuera à la modernisation et la mise à niveau du cadre institutionnel et répondra aux besoins de formation et de perfectionnement. - Envisager la conclusion d'une nouvelle Convention-cadre de coopération culturelle, technique et scientifique. - Encourager et promouvoir la coopération décentralisée. - Favoriser la coopération inter-universitaire, la formation supérieure et la recherche scientifique. - Tirer profit du déroulement de l'Année de l'Algérie en France, événement historique facteur de rapprochement et de promotion de la compréhension entre les deux peuples, par une coopération approfondie dans les domaines de la production culturelle et artistique et de l'audiovisuel. Dans ce cadre, les deux pays se félicitent des projets de mise en place : - Du «Haut Conseil franco-algérien de coopération universitaire et de recherche». - D'une «Ecole supérieure algérienne des Affaires» destinée à former les cadres et dirigeants d'entreprise. FAVORISER LA CIRCULATION DES PERSONNES 4 - La coopération humaine et de la circulation des personnes : La France et l'Algérie - Se félicitent du climat de bonne coopération qui prévaut entre les deux pays, et de ce que le dialogue entretenu au plus haut niveau ait facilité les contacts et la concertation dans ce domaine si sensible. L'ensemble des questions relevant de ce volet des relations bilatérales sont examinées au niveau des groupes mixtes d'experts. Un groupe de travail franco-algérien de haut niveau chargé des questions consulaires, des relations et des échanges humains se réunira au moins une fois par an. - S'engagent à favoriser la circulation des ressortissants algériens en France et des ressortissants français en Algérie. - Rappellent toute l'importance qu'elles accordent à la communauté algérienne établie en France qui a toute sa place dans la société française, à la prospérité de laquelle elle contribue activement. Le travail de mémoire que la France et l'Algérie ont engagé sera poursuivi dans un esprit de respect mutuel. A cet égard, une attention particulière sera accordée par les deux pays à la sauvegarde de l'héritage du passé. Dans cet esprit, elles dégageront ensemble des solutions positives susceptibles de conforter le nouvel élan que connaissent les relations entre les deux pays. La relation d'amitié et de confiance que la France et l'Algérie entendent établir entre elles se doit d'être à tous égards exceptionnelle et exemplaire. Dans cette perspective, elles conviennent de l'élaboration et de la finalisation d'un Traité qui consacrera leur volonté de mettre en place un partenariat d'exception dans le respect de leur histoire et de leur identité. » L'essentiel était dit, la page pouvait se tourner, l'amitié prendre toute sa place et l'affaire capotât. Laissons aux historiens la tâche ardue de démêler le rang des responsabilités mutuelles. Elles furent certainement conjointes. Le responsable à l'époque de la diplomatie algérienne Mohammed Bedjaoui voit dans l'échec cette affaire une preuve que «l'opinion publique française n'est peut-être pas prête» à «s'engager dans la construction d'un avenir partagé». L'ECHEC Il est vrai que pour un projet de traité qui voulait dépasser le passé, celui-ci resurgit en force. L'Assemblée nationale française adopte un texte de loi en février 2005, grotesque et inepte sur « le rôle positif de la colonisation ». Jacques Chirac, dit-on, a voulu amender ce texte de circonstance, écrit sous pression du reste du lobby pied-noir. Il n'y a pas réussi. Selon Wikileaks, qui rendit publics les commentaires de la diplomatie américaine, Missoum Sbih, ambassadeur d'Algérie en France à, l'époque estimait que : «Le gouvernement algérien a pensé à introduire la mention de «colonisation» dans le traité, ce à quoi les Français se sont opposés». Et le diplomate algérien de rappeler que le refus de l'Assemblée nationale de revenir sur la loi de février 2005 sur le rôle positif de la colonisation «a compliqué encore davantage le sujet, devenu une controverse de politique intérieure à la fois en Algérie et en France» et que «les efforts pour réécrire cette loi à la demande du président Chirac n'aboutiront vraisemblablement pas, en raison des réticences publiques à reconnaître les méfaits de la colonisation et de la pression des élections présidentielles imminentes». L'abandon du traité ne serait pas, selon lui, «une terrible perte pour l'Algérie mais un gros revers pour la France». Sans accord, les relations franco-algériennes resteraient à un «excellent niveau» sans atteindre toutefois le »niveau exceptionnel» (selon la définition de Missoum Sbih «meilleures que les relations françaises avec le Maroc et la Tunisie») promis par le traité». A l'inverse, La loi adoptée par le parlement algérien criminalisant le prosélytisme religieux adoptée le 20 mars dernier faisait craindre à l'archevêque d'Alger, Mgr Henri Teissier, que «des gens mal intentionnés [puissent] en faire un usage abusif». Elle a quand même déjà vu le départ des derniers gestionnaires du monastère français de Tibhirine où, le 27 mars 1996, avaient été enlevés sept moines assassinés deux mois plus tard. Jacques Chirac était à l'époque coincé par son mandat présidentiel qui arrivait à son terme. Son successeur, Nicolas Sarkozy, était sur une toute autre orientation. Il enterra le projet en 2007, sans regrets apparents : «Il ne faut pas faire des questions de mémoire un préalable car, dans ce cas, nous pénaliserions tous les Algériens et les Français qui attendent de nous des avancées rapides dans nos relations», a-t-il déclaré dans une interview à la presse algérienne, lors de l'un de ses deux déplacements. «Je n'ai jamais pensé que le traité d'amitié était une solution», a-t-il renchéri lors de sa conférence de presse en présence d'Abdelaziz Bouteflika. «Quand on est amis, on n'a pas besoin de l'écrire, il faut le vivre (...). Alors ne divisons pas l'avenir en faisant renaître le passé.» Paris et Alger avaient donc, semble-t-il, décidé de renforcer leurs relations sans passer par un traité d'amitié. Les relations ne se renforcèrent pas. Côté algérien, on peut déplorer certaines déclarations pour le moins intempestives : alors que Nicolas Sarkozy doit se rendre en Algérie pour une visite d'Etat, fin 2007, Mohamed-Cherif Abbas, le ministre algérien des Moudjahidines, provoque la polémique sur les «origines juives» du président français et le «soutien» dont il aurait bénéficié auprès d'un prétendu «lobby juif» pour accéder à l'Elysée. L'évocation du passé n'est évidemment pas la seule raison de l'échec du Traité d'amitié. Les raisons économiques et géopolitiques, politiques, voire politiciennes furent à l'époque de puissants ressorts. Une décennie plus tard, François Hollande nouvellement élu et, le croit-on, très fermement attaché aux liens particuliers unissant la France et l'Algérie, pourra-t-il faire avancer le dossier ? |