Michèle Tabarot, ou la revanche de l’Algérie française[1]
Alain Ruscio
Le nom de Michèle Tabarot, la nouvelle et sémillante Secrétaire générale de l’UMP, n’est pas encore connu du grand public. Faisons confiance à cette madame Sans-Gêne de la droite désormais copénisée, il le sera bientôt. Ajoutée à mille et un signaux qui nous viennent de ce côté de l’échiquier politique, depuis plusieurs années, sa promotion est un signe du retour en force du vieux parti de la réaction colonialiste.
Pour qui connaît sa biographie, cela n’étonnera personne. Née à Alicante mais, toutes les notices le précisent, « conçue à Oran », elle est la fille de Robert Tabarot, dit “Rocher”, ancien champion d’Afrique du Nord de boxe, un fonceur, un bagarreur, comme cette communauté en a enfantés beaucoup. Oui, mais sa bagarre ne s’est pas limitée aux rings de boxe. Il a été un élément moteur de la fondation, à Oran, de l’OAS. C’est dans cette ville qu’eurent lieu les affrontements les plus terribles entre Français et Algériens, dans les semaines qui précédèrent, puis qui suivirent les accord d’Évian. Après Évian, justement, l’accord FLN-OAS du 17 juin 1962, signé à Alger, n’est absolument pas suivi à Oran. « On ne leur laissera rien », tel est le Credo des pires – car les derniers – extrémistes de l’Algérie française. Du 22 au 26 juin tout brûle à Oran[2].
Après la défaite, Robert Tabarot emmène les siens en Espagne (fraquiste, est-il besoin de le rappeler ?). Là, il ouvre ouvert une pizzeria, mais consacre l’essentiel de son temps à une association qui cultive pieusement la mémoire Algérie française et organise le soutien matériel aux anciens activistes et terroristes OAS via l’association Solidarité et Union française[3]. La communauté pied-noir, très nombreuse, crée même sa propre école privée, la Nouvelle école française d’Alicante[4], où la jeune Michèle commence sa scolarité. Après la loi d’amnistie de 1968, la famille s’installe ensuite en France. Des années plus tard, Michèle Tabarot se souvenait : « À la table familiale, la politique était au centre de toutes les discussions. On parlait, gravement, du destin de la France et des grands sujets de réflexion du moment. C'est cette ambiance, certainement, qui m'a donné le goût de l'engagement »[5]. Quand on connaît la haine tenace, lancinante, obsessionnelle dont était l’objet le général de Gaulle dans ces milieux, on imagine dans quel sens.
Nul n’est responsable de son ascendance. Oui mais : toute le carrière politique de Michèle Tabarot se placera par la suite dans cette perspective revancharde. De son père, elle dira : « C’est un homme de contacts qui a passé toute sa vie à rendre beaucoup de services ». Et ajoutera : « Je revendique, j'assume mon héritage familial, c'est mon ADN »[6]. Du reste, son père est toujours le patriarche omniprésent auprès d’elle, notamment en période électorale[7].
Dès sa jeunesse, effectivement, elle prend parti. Elle aurait pu rejoindre le Front national, c’eût été cohérent. Mais – conviction ? plan de carrière ? – elle se rallie finalement au Parti Démocratie libérale, dirigé par l’ex-leader d’Occident Alain Madelin. Ce mouvement maigrelet a, au sein de l’UDF, une spécificité : il est la seule composante qui accepte les alliances de fait avec le Front national : lors des élections régionales de 1998, il soutient Jean-Pierre Soisson (Bourgogne), Jacques Blanc (Langedoc-Roussillon), Charles Baur (Picardie), enfin Charles Million (Rhône-Alpes), tous élus avec les voix des élus frontistes. C’est sur cette question – alliance de fait avec le Front national ou pas – que Démocratie libérale, d’ailleurs, rompt avec l’UDF.
Michèle Tabarot vient alors juste de commencer une carrière politique qui la mènera là où on sait. À 21 ans, elle devient adjointe au Maire du Cannet en charge de la Culture (la plus jeune élue alors à ce poste). Vingt années plus tard (2002), elle entre à l’Assemblée nationale, avec l’étiquette UMP.
Comme le hasard fait bien les choses, elle devient, sous le sarkozysme, vice-présidente du groupe de travail parlementaire sur les rapatriés, plaque tournante du lobby nostalgérique depuis des années.
Michèle Tabarot a, comme elle dit en forme d’euphémisme, « le goût de l’engagement ». Un peu plus, même. On peut évoquer, la concernant, une militance jamais démentie en faveur de l’Algérie française.
Aussi, lorsqu’une pétition d’enseignants contre la loi du 23 février 2005, puis la gauche parlementaire (qui se réveille avec quelque retard) demandent l’abrogation de l’article 4 (qui ordonnait aux enseignants d’insister dans leurs cours sur les aspects positifs de la colonisation française, en particulier en Afrique du Nord), Michèle Tabarot s’emporte :
« Je ne peux accepter que cet hommage à la présence française outre-mer soit aujourd’hui attaqué {par} une minorité d’enseignants signataires d’une pétition contre l’article 4 de la loi du 23 février 2005 (…) les mêmes qui nous ont enseigné pendant toutes ces années que les modèles communistes de Moscou, Pékin ou Phnom Penh permettaient à l’être humain de s’épanouir dans une société juste, égalitaire, et dans le respect des droits de l’homme, les mêmes qui, aujourd’hui, désemparés de ne plus pouvoir enseigner leur modèle de démocratie, font quotidiennement à leurs élèves le procès de la colonisation (…). La France coloniale a permis d’éradiquer des épidémies dévastatrices, grâce aux traitements dispensés par les médecins militaires. Les Français d’outre-mer ont permis la fertilisation de terres incultes et marécageuses, la réalisation d’infrastructures que les Algériens utilisent encore aujourd’hui. La France a posé les jalons de la modernité en Algérie, en lui donnant les moyens d’exploiter les richesses naturelles de son sous-sol ». Elle est interrompue par un député socialiste du nom de Manuel Valls :« Voilà le vrai visage de la droite ! »[8].
Alors, qu’on ne lui parle pas, à elle, de repentance. Elle est au premier plan lorsque la frange la plus droitière de l’UMP s’oppose publiquement et frontalement au président Chirac, lequel a eu le culot de vouloir abroger l’article 4, déjà cité. Le 3 février 2006, le très réactionnaire Lionnel Luca (plus tard lui aussi soutien de Copé) organise à Saint-Laurent-du-Var un rassemblement de protestation et d’hommage à « l’œuvre colonisatrice des Français d’outre-mer ». Des milliers de pieds-nois sont présents, chantant à tue-tête C’est nous les Africains qui leur sert de chant de ralliement depuis la guerre d’Algérie. C’est vers Michèle Tabarot que se tendent d’abord les micros[9] : « Faire repentance de quoi ? D’avoir créé 126 hôpitaux, éradiqué des endémies, fertilisé des terres incultes, d’avoir bâti 23 ports et 4 aéroports ? Pieds noirs et harkis n’ont à faire repentance devant personne »[10].
Voilà la femme qui prend aujourd’hui, sous le contrôle de Jean-François Copé, la direction de l’UMP.
Que pensent, ce matin, M. Tabarot père, sur ses vieux jours, et avec lui les anciens terroristes de l’OAS ? On peut imaginer leur jubilation. La promotion Mme Tabarot fille est un véritable camouflet – un bras d’honneur, pourrait-on écrire, si le geste n’avait été déjà utilisé par n certain Longuet – pour la politique que mena le général de Gaulle, naguère, en Algérie.
L’OAS tient ainsi sa victoire posthume. L’Algérie française revient, par la grande porte, au sein d ‘un parti qui ose encore se prétendre gaulliste. À quel prix, pour la droite ?
[1] Information essentiellement basée sur mon ouvrage, Y’a bon les colonies ? La France sarkozyste face à l’histoire coloniale, à l’identité nationale et à l’immigration, Paris, Éd. Le Temps des Cerises, 2011
[2] Fouad Soufi , « Ils sont partis ! Oran 1962, le grand départ des Européens », in René Gallissot (éd.), Les Accords d’Evian, en conjoncture et en longue durée, Actes du Colloque, Université Paris VIII, Saint-Denis, les 19, 20 et 21 mars 1992, Paris, Éd. Karthala 1997 ; Site LDH Toulon
[3]Anne Dulphy, « Les exilés français en Espagne depuis la Seconde guerre mondiale : des vaincus de la Libération aux combattants d’Algérie française, 1944-1970 », Matériaux pour l’histoire de notre temps, Vol. 67, 2002
[4]Id.
[5]Interview accordée à Roger-Louis Bianchini, L’Express, 1 er novembre 2007
[6] Citée par Vanessa Schneider Pegomas, Le Monde, 11 octobre 2012
[7] Roger-Louis Bianchini, art. cité
[8]Assemblée nationale, 29 novembre 2005 ; Site Internet Assemblée-nationale.fr
[9] Journal télévisé, FR 3 Côte d’Azur, 3 février 2006, Site Internet Repères méditerranéens, Libération, 4 février
[10]Déclaration, Saint-Laurent du Var, 3 février 2006, Libération, 4 février