Un article du journal algérien EL WATAN, 29 avril 2012
Les nouvelles autorités libyennes, qui peinent déjà à imposer ne serait-ce qu’un semblant de discipline dans un pays ouvert aux quatre vents, risquent d’aggraver leur cas.Par petites doses, le Conseil national de transition (CNT) est en train d’ouvrir la boîte de Pandore, alors même que la Libye est loin d’être pacifiée. Après avoir adopté quasiment à huis clos une loi sur les partis politiques étrangement tenue secrète à deux mois de la Constituante, Moustapha Abdeljalil et ses camarades veulent désormais institutionnaliser l’exclusion de tous les Libyens qui ont le malheur d’avoir servi – de gré ou de force – sous Mouammar El Gueddafi.
Ces derniers seraient désormais déclarés persona non grata dans les institutions élues. De fait, la future «République» libyenne prend les contours non pas d’un Etat apaisé et réconcilié, mais celui d’une caste décidée à s’approprier le pouvoir quitte à laisser sur le carreau des bataillons de mécontents. Et ce serait alors une véritable bombe à retardement que de tourner le dos à des milliers de Libyens qui n’ont pas tous choisi de soutenir l’ex-dictateur.
Il serait politiquement suicidaire pour le CNT de marginaliser des pans entiers de la société libyenne dans la conduite des affaires du pays.
Leur coller l’étiquette politique de pestiférés et les désigner ainsi à la vindicte populaire ne ferait qu’attiser leur sentiment de haine. Avoir été sous la botte de l’omnipotent El Gueddafi est certainement mieux que d’être décrétés rebuts de la société par Abdeljalil et ses lieutenants.
L’organisation Human Rights Watch (HRW) n’a pas manqué, hier, de dénoncer cette exclusion des partisans de l’ancien régime d’El Gueddafi. Elle précise à juste titre qu’une exclusion de toute fonction officielle devrait être fondée sur des «allégations concrètes et prouvables de mauvais agissements, plutôt que sur des liens mal définis avec l’ancien gouvernement».
Or, le pouvoir de fait en Libye s’est arrogé arbitrairement le droit de vie ou de mort politique en créant une «commission de l’intégrité et du patriotisme» dont on ignore le mode de désignation des membres et même le fonctionnement.
Cette commission, chargée de dire «qui peut et qui ne peut pas participer à la vie politique de la nouvelle Libye» apparaît comme une cour martiale où le prévenu est pratiquement coupable d’avance. Une sorte de casting politique dans lequel les nouvelles autorités libyennes seraient juge et partie.
Il aurait été sans doute plus judicieux et moins risqué de tendre la perche à ceux qui ont été enrôlés de force dans les comités populaires et autres appendices du pouvoir de l’ex-guide. Après tout, ils ne devaient être tenus responsables d’un choix qu’ils n’ont pas eu. Question à un dinar libyen : le chef du CNT, Moustapha Abdeljalil, qui a servi quatre années en tant que ministre de la Justice d’El Gueddafi et qui a certainement fait tuer ou emprisonner des opposants libyens, n’est-il pas lui aussi et surtout éligible à cette liste noire en préparation ?
C’est dire que cette discrimination politique dont a accouché un régime censé prêcher la réconciliation constitue un faux. Un faux presque interdit dans le cas de la Libye.