La participation ou la non-participation à un gouvernement n’est pas une question de principe qui serait tranchée une fois pour toutes. Nous devons nous déterminer en fonction de l’utilité que cela présente pour nos concitoyens, en nous posant la question : le contexte permet-il que nous y soyons utiles ? A tous les échelons : celui de l’Etat comme celui des collectivités locales. Personnellement j’ai participé à l’exécutif du Conseil général du Gard avec un président socialiste. J’étais par contre opposé à notre participation avec Frêche, à la région Languedoc-Roussillon.
Dans la situation présente marquée par une crise mondiale d’une extrême gravité engendrée par la domination de la finance, seul, à mon sens, le programme du Front de Gauche apporte les réponses nécessaires. Mais nous sommes des démocrates et le résultat des élections présidentielle et législative ne nous permettent pas d’avoir la prétention, ni les moyens de le mettre en œuvre dans sa totalité. La question, dès lors, se pose à mon sens de la façon suivante : notre présence au gouvernement serait-elle de nature à permettre, au minimum, que celui-ci amorce un changement d’orientation en rupture avec celle de Sarkozy-Fillon-Merkel ?
Je suis d’une génération de communistes qui ont été formés dans l’esprit de la politique thorézienne et des leçons tirées de l’expérience du Front populaire de 1936 en France, dont les acquis sociaux furent particulièrement importants, mais qui céda, en 1937, devant « le mur d’argent ». Le PCF avait alors décidé de soutenir de l’extérieur (au Parlement et dans les luttes) le gouvernement de Front populaire dont il avait été un des principaux artisans, mais de ne pas y participer (sur pression de l’Internationale Communiste ?). Par la suite, Maurice Thorez, indiqua s’être interrogé sur le bien-fondé d’une telle décision et il considérait, avec le recul, que cela avait été une erreur. Selon lui, une participation au gouvernement aurait permis de peser de l’intérieur et d’infléchir sa politique. La tentation est donc grande aujourd’hui, pour ne pas renouveler cette erreur, de participer au prochain gouvernement de gauche.
Réfléchissons. La situation de 2012 est-elle identique à celle de 1936 ? Les luttes populaires sont-elles au même niveau ? Le rapport des forces au sein de la gauche, dans l’électorat et au Parlement, est-il comparable ? La situation mondiale est-elle semblable, à l’heure de la mondialisation et de la financiarisation de l’économie ? Le Parti Socialiste de 2012, a-t-il les mêmes fondements théoriques et les mêmes objectifs affichés que la SFIO des années 30 ? A l’évidence la situation est aujourd’hui radicalement différente. Mais auparavant une autre interrogation et non des moindres: l'union des forces de gauche s'imposait d'autant plus en 1934 que le nazisme venait d'accéder au pouvoir en Allemagne et que les forces les plus réactionnaires montaient dans toute l'Europe. Devons-nous avoir la même démarche face aux progrès du FN en France et de l'extrême-droite dans plusieurs autres pays? L'union bien sûr s'impose pour endiguer cette vague "brune". Mais l'union sur quelles bases? Pour quelle politique ?
Alors que la structure du capital permettait en 1936, d’arracher, dans le cadre national, des améliorations substancielles, cela n’est possible de nos jours qu’à la condition de s’attaquer résolument à la politique des organismes supra nationaux, FMI, Banque mondiale, etc, et de remettre en cause la politique de l’Union européenne et les traités qui enserrent la France dans un carcan. Un gouvernement qui ne remettrait pas en cause, les traités de Maastricht, Lisbonne et Merkozy serait dans l’incapacité de satisfaire les revendications de nos concitoyens. François Hollande, ne s’est pas engagé à renégocier ces traités et il a bien précisé que ce sont ses propres engagements politiques qui seront appliqués. Nous avons sur ces questions une divergence fondamentale avec le Parti Socialiste. Le rapport des forces dans le pays et au Parlement où il dispose de la majorité absolue des sièges de députés, lui laisse les mains libres. Demeure évidemment une inconnue de taille : que sera le mouvement populaire en France dans les semaines et les mois qui viennent ? Nous sommes en effet, de l’Amérique latine à la Grèce, au Maghreb, en Afrique…et au Canada, dans une nouvelle phase de montée des luttes. Tout peut arriver. Voilà à mon sens ce à quoi nous devons consacrer nos efforts. La participation communiste au gouvernement où nous serions pieds et poings liés serait source de confusion et d’illusions. Cela n’aiderait pas au développement de l’action populaire qui va être décisive, car comme le montrent quelques rares et timides avancées, le Président de la République et son gouvernement ne pourront pas rester sourds aux aspirations des Français. Mais le combat va être rude car les pressions intérieures et extérieures sont énormes.
Il me semble donc que dans les conditions actuelles, notre peuple ne trouverait aucun avantage à la présence de ministres communistes. D'ailleurs aucune proposition ne nous a été faite en ce sens. Mais évidemment la situation peut évoluer et nous conduire dans un avenir plus ou moins proche à modifier notre position.
Bernard DESCHAMPS
Ancien membre du Comité Central du PCF