30 octobre 2012
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Parmi les divers débats engagés par le PCF dans la perspective de son 36e congrès, il en est un qui, au delà des communistes, interpelle les antiracistes. Je livre ci-après l'opinion de notre camarade Isabelle Lorand.
Ethnicisation est le dernier mot à la mode. Mais de quoi parle-t-on ?
par Isabelle Lorand
La notion de racialisation, d’ethnicisation de la société française émerge dans les années 80 quand l’immigration de peuplement fait suite à l’immigration du travail. Les rares chercheurs s’intéressant alors à la question, émettaient l’idée que le racisme prenait une nouvelle forme. Au racisme classique (race inférieure), se substituaient une racialisation (immigrés, enfants d’immigrés). Aux inégalités institutionnelles (code de l’indigénat) se substituaient des discriminations dans toutes les sphères (attribution de logement sociaux, école, police, justice, positions sociales). Dans son analyse du nouveau racisme post colonial, Étienne Balibar (avec d’autres) voit dans la catégorie « immigration », en tant que signifiant sociologique, un substitut contemporain à la notion de « race ». Le néoracisme est un « racisme sans races » qui se focalise sur les différences culturelles et non sur l’hérédité biologique : un racisme différentialiste (Étienne Balibar, 1988). Et cela alors même que le modèle républicain d’assimilation-intégration proclamait le contraire.
Un glissement dangereux
Alors que dans les années 90, les écrits sur ces concepts de racialisation et d’ethnicisation se multiplient sous les plumes des chercheurs en sciences humaines, on voit s’opérer un glissement de leur contenu. D’une analyse des mécanismes et des conséquences de l’exclusion, on passe progressivement à une théorie renvoyant dos à dos les pratiques des excluants et de celles des exclus. L’accusation portée est de taille : en mettant en avant les singularités raciales et culturelles, les ethno-eco-bobos enfermeraient les personnes issues de la diversité dans leur « négritude » ou leur « arabo-islamité ». Ainsi, les tenants de cette thèse mette dans le même sac, la gauche et l’extrême gauche « multiculturalistes et postcoloniales », et la droite et l’extrême droite. L’éloge de la « diversité » serait l’autre face d’une même pièce, la stigmatisation et le racisme. « Les extrêmes se rejoignent » nous disent-ils… La messe est dite ! Cette dérive de la gauche s’expliquant par l’abandon de la lutte des classes faisant suite à la déshérence idéologique produite par l’effondrement du bloc soviétique et l’échec de la social-démocratie.
« Il faut combattre la constitution des communautés avec à leur tête des porte-paroles autoproclamés » nous disent-ils encore. Ainsi, ceux qui sont quotidiennement victimes du contrôles au faciès, ceux dont les grands-pères – les chibanis qui ont construit la France des années glorieuses pour trois francs six sous – sont aujourd’hui les biffins de la misère, ceux dont l’arrière grand-mère a été violée par le maître blanc, ceux pour qui le présent est dur et le passé passe mal, n’auraient pas le droit d’avoir une parole collective. De la même manière les associations de « Roms » seraient de l’ordre du « ciblage ethnique »... Je note au passage que l’existence des associations d’italiens, de portugais… ne semble pas être aussi dérangeante. Bref, la pente est plus que glissante. S’il faut choisir entre les ethno-éco-bobos et les Vallso-réaco-mondains mon choix est sans appel.
Combattre le « Tous-contre-tous ».
Nous avons raison d’avoir l’obsession de combattre le tous-contre-tous, la haine de l’autre. Nous l’avons qualifié lors de notre dernier congrès de l’unité des dominés. Je crois que la piste qui vise à réduire, même à notre corps défendant, le fractionnement du peuple à l’ethnicisation des rapports sociaux seraient tragique. Nous savons tous que le fractionnement à des dimensions multiples : les fonctionnaires contre les salariés du privé, les jeunes contre les vieux, les ruraux contre les urbains…
En surdimensionnant l’ethnicisation – dans son acception actuelle – non seulement nous ne parviendrons pas à nos fins, mais nous risquons de nous engager dans la voie contraire. « Si communautarisme il y a, c’est éventuellement un communautarisme d’attente, de réaction à la ségrégation, et non une construction sécessionniste. Outre que cette hypothèse tend à reporter la charge de la ségrégation sur ses victimes, à substituer aux mécanismes de la relégation un soupçon de séparatisme inavoué, elle rend tout simplement mal compte de la réalité.» (Éric Maurin, 2004.) Le rapport de l’INSEE sur l’immigration donne de ce point de vue des informations solides. Plus de 97% des descendants d’immigrés ont la nationalité française. Alors que près de neuf descendants d’immigrés sur dix se déclarent d’accord avec la proposition « je me sens Français », seulement 57 % d’entre eux en Zus et 79 % hors Zus se déclarent d’accord avec la proposition « on me voit comme un Français ». Ce sentiment de rejet est fortement corrélé au sentiment de discrimination. Est-il possible de construire du commun, sans réfléchir aux conditions de la réconciliation ? Je ne le crois pas.
En tout cas, le retour nostalgique à une vision des dominations réduite à la domination capitaliste contribuerait plus encore à nous mettre hors jeu.
Un congrès utile pour prendre parti
Du voile au travail pendant le ramadan, en passant par les caricatures, nous peinons à prendre parti. Les élus communistes, eux n’ont pas le choix. Alors, ils font comme ils peuvent. Seuls. Il est grand temps d’assumer nos débats, pour dégager au mieux des postions consensuelles, au moins des positions majoritaires. Nous sommes contre les statistiques ethniques et contre la discrimination positive. C’est clair et net. Mais allons aussi sur des sujets plus sensibles. Nous faisons des quartiers populaires une priorité. Force est de constater que nous sommes loin du compte. Parmi les habitants des Zus, il y a environ 25% d’immigrés (nés à l’étranger de parents étrangers) et on franchit allègrement les 50% lorsque l’on considère également les enfants d’immigrés. Pour reprendre pied, il faut partir de cette réalité. De la même manière, on parle des ouvriers. Mais on oublie de dire, que les ouvriers sont massivement des immigrés (qui n’ont pas le droit de vote) ou des enfants d’immigrés (qui ne se sentent pas représenté par la classe politique). Les catégories populaires sont blacks, blancs, beurs. Et force est de constater que leur support d’identification politique et même de classe est actuellement plus territorial (le quartier) et ethnique (arabe ou noir) que par le travail. Il est impératif de réhabiliter le travail comme support d’identification. Ce n’est pas en l’opposant aux deux autres que nous nous ferons entendre. « La véritable désaliénation du Noir implique une prise de conscience abrupte des réalités économiques et sociales. S’il y a complexe d’infériorité, c’est à la suite d’un double processus : économique d’abord ; par intériorisation, ou, mieux, épidermisation de cette infériorité, ensuite », écrit Fanon. Si ce dernier revendique une identité noire, la conscience ethnique semble donc chez lui inséparable de la conscience de classe.
Place au Peuple
En choisissant de commencer sa première émission de grande écoute par un discours sur l’Algérie, notre candidat a permis ce formidable accueil dans les quartiers populaires. Nous avons démontré que la conscience d’une destinée commune est indissociable de la reconnaissance de la diversité. Enfin, le peuple dans toutes ses composantes s’est senti représenté, respecté. « Place au peuple », avec notre slogan nous a permis de porter haut l’ambition d’un peuple uni et combattif. Construire du commun est au centre de nos préoccupations. Mais pour ce faire, nous ne pouvons faire l’économie de respecter ceux qui portent en eux des siècles d’esclavage, de colonialisme, de discrimination, d’islamophobie. Le conflit Israélo-palestiniens est aujourd’hui l’incarnation de ces dominations. Pour construire un nous le peuple, il faut respecter les nous multiples. Pour être ne serait-ce qu’écouter, peut-être entendu, suppose d’intégrer pleinement le passif. Le devoir de mémoire, le devoir de savoir, le devoir de reconnaître sont consubstantielles de la construction du nous. La négation, la sous-estimation produit de la division, et même du repli identitaire. Dans une enquête réalisée par Eleb-Campana-Sablic, une jeune femme voilée ayant voté Front de gauche, classe le droit des femmes comme un marqueur essentiel de la gauche. D’ailleurs dans les conseils d’école, les amicales de locataires, les associations de quartiers… le constat est le même. Elles sont combatives, elles sont modernes, elles sont engagées, elles sont au cœur de la vie du quartier. Et elles sont voilées. Il y a de quoi perturber un universalisme, même abouti !
Aux échecs des politiques multiculturelles à l’anglo-saxonne ou intégrationnistes, nous opposons l’interculturalité et la mondialité comme un processus d’enrichissement mutuel. Mais qu’est ce que l’interculturalité sans reconnaissance de la diversité ?
Dans le même temps, il y a lieu de veiller en permanence à ne pas cantonner nos concitoyens dans des cases qui n’existent pas. Exemple : le récépissé contre le contrôle au faciès n’est pas une affaire de migrants, c’est un enjeu de liberté, d’égalité et de fraternité pour des citoyens français. Le droit de vote des étrangers n’est pas un enjeu de migrants, mais de citoyens habitants en France et de nationalité étrangère… Engager des campagnes d’ampleur avec l’ambition de gagner sur ces deux objectifs me paraît contribuer à la construction du Nous.
Comme Rémi Lefebvre, je pense qu’il faut « structurer des alliances autour de mots d’ordre susceptibles d’unifier des demandes sociales hétérogènes ». Je crois quePlace au peuple est un slogan de cet ordre. Il doit vivre.